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Arabiser les sciences médicales : est-ce une bonne idée ? Comment faire ?

par Bouchikhi Nourredine*

Le vent en poupe est à l'arabisation tous azimuts chaque secteur économique ou administratif est confronté à cette problématique et le secteur de la santé n'y échappe pas.

Des initiatives sont déjà prises par certains médecins qui ont arabisé leurs ordonnances et leurs prescriptions bien avant la vague en cours mais faute de stratégie concertée cela n'a pas eu grand impactdans la pratique de la corporation sauf pour quelques émules ici et là. D'ailleurs des tentatives ont été faites par le passé mais sitôt réprimées par le conseil de l'ordre sans que celui-ciavance d'explications plausibles à sa prise de position sinon la crainte de ne pouvoir surfer avec la vague alors qu'il aurait dû engager une réflexion qui tôt ou tard s'invitera au débat.

L'arabisation est une question qui se trouve tiraillée depuis des décennies entre des opposants séculaires et des fervents supporters convaincus, les uns ne voulant pas abandonner une langue considérée comme butin de guerre ou juste un gagne-pain qu'ils ont simplement subi sans avoir pu choisir et constitue leur seule manière d'expression et les autres qui pensent qu'il est temps que la langue nationale puisse avoir la primauté et accéder au rang qu'elle mérite mais les deux parties ont majoritairement à l'évidence un dénominateur commun d'ordre politique et surtout idéologique sur fond de dispute sur le projet de société que chacun veut instaurer ou imposer;tous les coups sont permis, la fin justifie les moyens;dans cette bataille acharnée qui refait surface au gré des évènements nationaux et même internationaux on ne laisse guère de place aux spécialistes; linguistes ,sociologues et surtout aux premiers concernés.

Une langue nationale est le ciment qui renforce la cohésion d'un peuple,son référentiel et l?attachement à ses racines et à son histoire et c'est surtout un gage de sa survie, son émancipation et son progrès ; et sur ce la quasi-totalité des nations est unanime et ne permette aucun écart ni aucune concession quel que soit le régime ;démocratique ou autoritaire développé ou du tiers monde exception faite des pays qui ont été sous le joug colonial des siècles durant au point de perdre toute référence linguistique; des pays comme la France chantre de la démocratie et de la liberté et référence absolue comme le veut décrire les pourfendeurs de l'arabisation il se trouve qu'elle ne tolère aucune autre langue ou dialecte qui essaye de faire de l'ombre à la langue de Molière bien que des franges entières de la population parlent le corse, l'occitan, le breton ou le basque de même qu'un grand pays comme les Etats unis où la communauté hispanophone est très nombreuse et même majoritaire dans beaucoup d'états du sud c'est l'anglais qui reste la langue officielle dans l'éducation ,l'administration ou la diplomatie ;un autre exemple est aussi édifiant celui de l'état d'Israël , une panachée de peuplades venues des quatre coins du monde parlant une multitude de langues et qui se trouvent contraints d'apprendre et de pratiquer l'hébreu; une langue qui a failli disparaitre pour aspirer faire partie de cette communauté crée de toutes pièces ; tous ces pays sont conscients qu'ouvrir une brèche à une autre langue ou dialecte concurrents constitue le tendon d'Achille par lequel la société pourrait se disloquer et disparaitre; la maitrise d'une langue est une condition impérative à la naturalisation une règle sacrée et un consensus assumé dans tous les pays ou presque. Adopter une langue commune cela ne veut pas dire réprimer toutes les autres mais c'est un garant de stabilité et de prospérité intellectuelle et nationaliste et un investissement sûr au maintien de l'unité nationale.

La langue arabe a été jusqu'alors le terrain de confrontation dont les conséquences ont été et restent dévastatrices; Il est alors désolant que soixante ans après l'indépendance une grande partie de l'élite nationaleà tous les niveaux de responsabilité est incapable de s'exprimer dans la langue officielle et nationale;si pour certains il s'agit d'un manque de volonté manifeste et d'un choix délibéré, c'est surtout l'absence de stratégie pour le développement et la généralisation de la langue arabe qui a fait défaut.

Nous n'allons pas nous cantonner dans des explications et des prétextes fallacieux qui tantôt trouvent leur prétendue légitimité dans la nature même du colonialisme et ses séquelles tantôt dans la croyance ou plutôt dans la non croyance en la capacité de la langue arabe de servir de véhicule à la science ; car la réalité nous contredit ;et s'agissant de la médecine qui est notre sujet elle est enseignée en français et en anglais mais aussi en russe, espagnol, chinois ,allemand ou néerlandais cela demande bien des moyens mais surtout une volonté politique à travers une méthodologie efficace et mûrement réfléchie . Ce n'est donc pas une question d'outil linguistique !

Dans notre contexte le pragmatisme nous interdit d'arabiser la médecine du jour au lendemain sur un coup de tête ou bien en réaction à des provocations politiciennes bien que cela ait été déjà appliqué à la fin des années 70 et au début des années 80 quand les enseignants de physique, mathématiques et sciences naturelles se sont trouvés contraints d'abandonner le français pour le remplacerillico presto par l'arabe et par la force des choses ils se sont adaptés et cela reconnaissons-le n'a pas eu de grosses répercussions sur la qualité de l'enseignement.

Mais pour la médecine il va falloir aller par étapes ,sans précipitation mais avec détermination en établissant des échéanciers pour arriver au début à ce qu'au moins les professionnels puissent acquérir la terminologie technique comme c'est le cas de la plupart de leurs collègues dans les pays arabes et même maghrébins et là il me revient une anecdote le jour où j'ai assisté à un congrès maghrébin de pédiatrie en Tunisie ;la ministre de la santé à l'époque médecin de son état manillé à la perfection les deux langues elle a fait une allocution d'ouverture dans un français parfait et puis en arabe dans un style qui nous a laissé complètement ébahis à en croire qu'elle était une exclusive arabophone !

Nos confrères et consœurs égyptiens, irakiens, syriens ,ceux du Golfe ou même maghrébins bien qu'ils suivent pour les uns leurs cursus en français et pour les autres en anglais hormis en Syrie où la formation médicale est en arabe sont très à l'aise avec l'arabe technique médicale chose qui fait défaut parmi la majorité de la corporation médicale algérienne qui ne fait pas exception à l'instar des nombreux cadres et responsables algériens dont certains se sont trouvés souvent dans des situations qui frisent l'humiliation quand leurs homologues étrangers de surcroit non arabes s'exprimaient avec aisance dans notre langue nationale devant un parterre de journalistes et de caméras.

Il faudrait donc engager une réflexion sérieuse scientifique et académique loin des influences idéologiques pourque la corporation médicale puisse apporter sa contribution au développement de la langue officielle et nationale.Le rôle des élites est déterminant pour booster la reconversion ou à la limite la maitrise d'un bilinguisme n'intégrant pas forcément le français non pas par animosité mais comme une nécessité stratégique.

Nous pouvons donc opter pour une solution réaliste qui fera épargner aux médecins algériens le temps et leur abrégera le parcours tout en leur ouvrantsurtout pour les jeunes diplômés de vastes horizons sur le plan formation et opportunités professionnelles au lieu de rester cloitrés dans une sphère francophone très limitée ; si la majorité des médecins algériens optent pour la France comme destination d'exil ; ce n'est pas par hasard mais c'est qu'ils sont otages d'une seule et unique langue qui désormais n'est plus à la pointe du progrès ; il faudrait donc adopter carrément l'anglais tout en assimilant progressivement la terminologie technique arabe ;il ne s'agit nullement de démagogie comme tend à le faire croire les francophiles fanatiques mais d'une nécessité vitale et pour s'en convaincre il n'y a rien qu'à consulter les publications des scientifiques français eux-mêmes qui se font de plus en plus en anglais ; on ne peut être plus royalistes que le roi.

Cela pourrait se faire sans encombre en valorisant les modules d'arabe tout au long du cursus médical dont la durée minimale de sept années est largement suffisante pour maitriser ses rouages et cela facilitera aussi par l'occasion l'intégration des nouveaux bacheliers admis en sciences médicales qui se retrouvent confrontés à la dure réalité d'apprendre une autre langue ; le français dont la majorité n'arrive pas à s'en accommoder pour pouvoir poursuivre leurs études.

Les outils modernes disponibles tel l'informatique et le web sont une opportunité qui peuvent faciliter l'application de cette stratégie qui devra être épargnée de tout revirement et remise en cause politique et être menée jusqu'à bon port loin des tumultes byzantines qui nous ferons que perdre un précieux temps.

*Docteur