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![]() ![]() ![]() ![]() Parmi tant de livres instructifs et pertinents, encyclopédies,
dictionnaires, œuvres complètes de grands poètes et écrivains, l'excellente
collection «Bouquins», dirigée depuis quelques années par Jean-Luc Barré,
talentueux auteur d'une biographie de François Mauriac, prix Nobel de
littérature, romancier et contempteur de la torture pendant la guerre
d'Algérie, compte dans ses fleurons le «Dictionnaire des étrangers qui ont fait
la France ».
Dû à Pascal Ory et Marie-Claude Blanc-Chaléard, ce dictionnaire fourmillant d'informations nous convie à nous souvenir de la décisive contribution des étrangers à la prospérité, au rayonnement international, à la grandeur et à l'identité de la France à l'heure où la France semble douter d'elle-même, où, comme il est d'usage en temps de crise, les Français ont tendance à considérer que s'ils en sont là, c'est la faute de l'étranger. " Sale temps pour l'étranger " me confiait un de mes amis français pourtant de souche qui avait du mal à reconnaître dans les éructations des représentants de la droite extrême, dans les propos irresponsables d'un ministre si ostensiblement de gauche, dans le renouveau d'un intégrisme catholique aux relents nauséabonds, dans ce peuple qui semble n'avoir rien appris de l'histoire et se préparer mentalement à de nouveaux pogroms et à de nouvelles proscriptions un pays dont on lui avait toujours dit qu'il était " la patrie des Droits de l'homme ". Et pourtant il ne faut pas être grand clerc pour s'apercevoir que sans les étrangers la France ne serait pas ce qu'elle est. Ce dictionnaire vient à point nommé pour rappeler qu'un nombre considérable de soldats étrangers, et d'abord maghrébins, ont joué un rôle décisif dans la libération de la France. Le maréchal Juin en parle comme de " furieux qui, s'ils ne savent pas lire, n'en ont que plus le combat dans les veines ". Les croix de guerre et les médailles militaires décorent les poitrines de nombre d'entre eux. " Beaucoup d'entre eux, écrit Yves Courrière, ont fait la guerre 1939-1945 avec héroïsme ", ajoutant que " la moisson de médailles et le chiffre des pertes montre l'ampleur du sacrifice, la vaillance et la fidélité à la France ". (Les Fils de la Toussaint) Mais ce n'est pas tout. C'est à des littérateurs, des artistes, des philosophes, des compositeurs, des gastronomes étrangers que la France doit une bonne partie de sa culture et de sa civilisation. Mais elle ne le sait pas et c'est peut-être un des effets pervers du parcours de certains étrangers qui ont si bien réussi, oubliant leur naissance allogène ou leur ascendance étrangère, qui ont si bien épousé le destin, le goût, les lettres, l'identité de la nation française que nul ne songe plus à leur origine. Italiens, Polonais, Chinois, ils sont si bien insérés dans le tissu de la France qu'on les célébrant, on n'évoque jamais leurs origines. " Quoi de plus français que le couturier et mécène Pierre Cardin ou le premier vainqueur du Tour de France, Maurice Garin ? Sauf que l'un et l'autre sont nés citoyens italiens. A l'inverse combien de Français savent que le prix Nobel de littérature a été attribué à un citoyen français -naturalisé alors depuis trois ans-Gao Xingjian, né à Ganzhou, soixante ans plus tôt ? " A cette liste, il faudrait ajouter un nombre considérable de noms, célèbres ou anonymes, qui ont façonné la France, apportant leur écot décisif à sa richesse et à sa prospérité. Et c'est tant mieux, on s'en félicite pour notre part dans un pays qui compte 25% de citoyens qui sont d'ascendance étrangère. A l'heure où plus de 30% de Français sont séduits par les idées de l'extrême droite, où, à peu près, 20% d'entre eux votent pour le Front national, où l'on entend dans les pays des propos, des formules, des slogans nauséabonds, où les malheurs sont attribués, non pas à la mauvaise gestion et à l'impéritie des élites et des politiques, toutes couleurs confondues, mais à l'étranger, parfait bouc émissaire de tous les vicissitudes et les crises de la France, il était bon qu'un livre vînt rappeler la considérable et bienfaisante contribution étrangère à l'identité française qui est plus métissée qu'on ne l'imagine, n'en déplaise aux détracteurs du melting pot. Les faits, comme le disait Lénine, sont heureusement têtus. Et ils sont les mieux à même de démentir les lectures idéologiques qui nous présentent toujours la réalité inversée. La France n'est plus gauloise et il faut s'en féliciter, la France est le pays natif de descendants africains, arabes, vietnamiens, juifs etc. " La France est un vieux pays d'immigration " notait le sociologue François Dubet. Le problème est que cette vieille terre que des peuples divers ont traversée, sur laquelle ils se sont établis, remplacés par d'autres peuples, vit sa multiethnicité dans le déni, confortant le fantasme de sa " blanchitude " par des réactions peu dignes des peuples se hissant à la hauteur d'une remarquable maturité. " Notre imaginaire national et nos représentations sociales n'ont jamais laissé aux étrangers la place qui était en fait la leur " assène le même François Dubet, qui ajoute : " Régulièrement se développaient des campagnes xénophobes contre les Espagnols, les Italiens ou les Polonais, qui semblent maintenant si proches, et tout aussi régulièrement se reconstruisait l'image d'une France culturellement homogène, accueillante et universaliste, mêlant dans son creuset républicain tous ces immigrés devenus citoyens ". Même ceux qui Arabes, Musulmans et Africains qui ont versé le lourd tribut du sang pour la libération de la France ne sont pas reconnus et restent ignorés. Leurs enfants sont méprisés, subissent les discriminations de toutes sortes alors même que les rejetons des collaborateurs de l'occupant nazi n'en subissent aucune, bien au contraire. Telles sont les manifestations les plus criardes de la schizophrénie française, un peuple inconstant, versatile qui brûle vite ce qu'il avait adoré. Un pays ingrat qui ne respecte que les puissants qui en imposent et méprise le faible et l'étranger. Un pays furieusement antisémite : car après tout l'Affaire Dreyfus, c'est bien en France qu'elle a eu lieu et non autre part. Serait-ce sans raison ? C'est en France, non en Italie fasciste ou en Allemagne nazie, que, dès 1892, " La Libre parole ", ce journal nauséabond déversait tous les jours son poison raciste et antisémite. Ce journal affichait le slogan de triste mémoire " La France aux Français " dont " la préférence nationale " est à peine un euphémisme. Aussi n'est-on pas loin de la vérité si, à partir des travaux de Zeev Sternhell, on suggère que la France est la terre nourricière du fascisme. C'est en France qu'un ministre de l'Intérieur, qui n'était pas encore français il y a encore trente ans, prend si bien le tropisme national qu'il décide de son propre chef qu'une population entière n'est pas assimilable. Qu'eût-il dit si un ministre de la République avait, au temps où il était encore un étranger, déclaré que les catalans n'étaient pas assimilables ? On aimerait vivement le savoir. Mais, à cette époque, les ministres ne parlaient pas comme des batteurs d'estrade. Il était donc essentiel qu'un livre comme celui-ci vînt, en ces temps de désarroi, rafraîchir les mémoires et rappeler à une nation qui a perdu la boussole, un certain nombre de faits et de vérités dont elle ne saurait, même dans sa névrose, faire l'économie. C'est un bienfait considérable que ce livre la force à une douloureuse anamnèse. Il est temps que cette nation qui se croit encore une grande puissance -alors qu'elle n'est plus que le nain de l'Europe et le caniche de l'Allemagne- apprenne les vertus de la modestie, cesse de mépriser les " boches " et d'insulter les étrangers (qui veulent bien contre des salaires de misère) nettoyer son vomi et se charger des travaux pénibles auxquels les 'bons et beaux Français' sont rétifs. Ce sont les Algériens qui ont fait la France qui, au premier chef, retiennent mon attention. L'article signé Naima Yahi et Muriel Cohen est doublement instructif. D'abord parce qu'il part d'une idée très juste : " On ne peut comprendre l'ambivalence qui entoure la composante algérienne au sein de la société française sans rappeler le contexte colonial qui a longtemps servi de cadre aux migrations vers la France ". C'est bien entendu la colonisation des terres algériennes qui provoque le départ vers la métropole des populations kabyles. Peu avant la Première Guerre mondiale, un journaliste du " Petit Marseillais " remarquait que " grâce à leurs économies, quelque 10000 kabyles faisaient tomber une pluie d'or sur les villages du Djurdjura ". Pourtant les conditions de vie étaient rudes, les Algériens souffraient de l'exil, du climat, des conditions de travail. Les tracasseries policières et l'indifférence des Français étaient ce qu'il y avait de plus pénible pour eux. Quelques journalistes osèrent se pencher sur ce drame. " Partout, écrivait un reporter du Figaro en 1930, les malheureux sidis grelottaient, partout dans la banlieue se commettaient ces crimes, car c'est un crime que de loger des êtres là où on ne logerait pas des chiens ". Et ce journaliste concluait : " 80.000 à 100000 Africains sont dans nos mains. Qu'on les guide, ces exilés, au lieu de les traquer. Qu'on les soutienne. Nous en avons vu qui pleuraient parce que nous prononcions le nom de leur village. De notre civilisation, ils ne connaissent que la police ". Maurice Merleau-Ponty, avant la guerre d'Algérie, s'exprimera dans les mêmes termes à peu près : " Que répondre, écrivait-il, à un Indochinois, à un Algérien qui nous dit qu'il a bien vu nos armes, mais non notre humanité ". Cette émigration, devenue plus régulière, au début du XXe siècle, formera les bataillons de l'Etoile nord-africaine, puisque c'est en France que naît, sous la tutelle du Komintern, ce mouvement dont la doctrine indépendantiste, diffusée avec constance et opiniâtreté, qui sera le fossoyeur du colonialisme français en Algérie. On dira que les immigrés ne sont pas français au sens juridique du terme, mais on ne saurait nier qu'ils ont contribué à faire la France et que leurs descendants sont français. S'ils n'étaient pas considérés comme français, c'est parce qu'on a les a réduits à une force de travail et on a nié en eux des dimensions essentielles de leur humanité. Rappelons que le droit " au regroupement familial " ne leur a été accordé qu'au milieu des années 1970, assez tardivement et pas pour les raisons humaines que l'hypocrisie française met en avant, mais tout simplement parce qu'un homme vivant en famille est moins instable et plus responsable. On est tout de même quelque peu surpris de ne pas trouver dans ce Dictionnaire certains noms, nés à l'étranger et ayant contribué au rayonnement de la France ou de la culture française. Ne pas retenir un nom comme celui de Ferhat Abbas, c'est accréditer le mythe des " trois départements français d'Algérie ". On ne fera pas l'injure aux maîtres d'œuvre de ce livre capital d'estimer qu'ils ignorent que les Algériens n'étaient pas des citoyens, qu'ils n'en avaient aucun droit, qu'ils étaient des sujets aliénés sur la terre de leurs ancêtres. C'est sur ce fond de misère, d'humiliations, de massacres, qu'on appelait alors 'civilisation' que la révolte a éclaté ; révolte qui allait emporter le colonialisme. Mais le néo-colonialisme a pris le relais ; le ventre de la bête immonde est encore fécond. |
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