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Ecrits de cris !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

LE DERNIER CHANT DU ROSSIGNOL. Les chroniques de Djamal Amrani, réunies et présentées par Djilali Khellas.Enag Editions, Alger 2001. 329 pages, 550 dinars

L'auteur, poète, écrivain, journaliste, homme de large culture, traducteur émérite, toujours à l'écoute des autres, tout en étant, par ailleurs, très critique s'en est allé, cette fois-ci, à la récolte des oeuvres poétiques, en prose et journalistiques d'un grand homme de la culture nationale contemporaine : moudjahid (ayant souffert mille maux dans les geôles des paras colonialistes), militant infatigable de l'humain, journaliste et aussi, et surtout, grand poète devant l'éternel et des concitoyens qui le lisaient (El Watan, quotidien), l'écoutaient à la radio (Chaîne III) ou, tout simplement le connaissaient . Durant les années 60 et 70, Alger et son centre ville étaient certes la «Mecque des révolutionnaires », mais, aussi, un mélange de Greenwich village, Quartier latin et Café El Fischaoui. Un espace allant du haut de la Rue Didouche (Restaurant le Bardo) à la Place de l'Opéra (Tantonville)? avec ses mille et une «escales» (radios, télé, journaux, cinémathèque, salles de cinéma et de théâtre, cafés, restaurants et bars, librairies et bibliothèques, pour toutes les bourses et à n'importe quelle heure de la nuit? dans la sécurité la plus totale et sans problème de parking)? Toutes les couleurs, toutes les odeurs, tous les goûts et surtout toutes les idées. Il y avait, bien sûr, quelques «rois» (Boumediène, et certains de ses ministres et autres responsables) mais mes vrais princes étaient ceux de la vie culturelle. Djamal Amrani était l'un d'entre-eux. Le plus présent !

Comme l'écrit si bien (une préface qui suinte d'émotion, d'amitié et de gratitude) Zahia Yahi, Djamal Amrani, «très ouvert à l'autre, mais terriblement solitaire (la torture ne s'oublie pas facilement et il en avait gardé durant toute sa vie la «douleur corporelle et psychique») était un «fouineur impénitent», «un puisatier dévoué à la beauté», toujours à la recherche d'une harmonie lumineuse entre le texte, sa sonorité, sa portée, son impact.

Avis : Un recueil de textes (des chroniques journalistiques) qui vous transporte à travers le monde (national et universel) des arts, des lettres. Leur lecture vous réconciliera avec le grand, le bon, le beau? et vous démontrera que l'humain, malgré toutes ses dérives, existe (a existé ?) bel et bien

Extraits (de la préface de Djilali Khellas) : «Pour lui (Djamal Amrani), la parole est tout ensemble glorieuse et périssable. Il fut un grand dévorateur du verbe. Il a montré que tout était possible? » (p 8), «Fils unique, le poète n'avait que sa mère. La mort de cette dernière lui a été fatale. Il ne supporta pas l'immense chagrin de cette séparation» (p 9)

ALGER, LE CRI Un Récit De Samir Toumi. Enag Editions Barzakh, Alger 2013. 165 pages, 600 dinars

L'auteur l'avoue : «Mon écriture fait le yoyo, elle oscille entre jets de mots, souvent ineptes, maladroits, et silences coupables, toujours inexplicables». Il ne raconte aucune histoire. Il raconte sa mal-vie dans une ville de plus en plus tentaculaire, une ville qu'il veut fuir mais qui le prend, le jette, mais le reprend, à chaque approche ou retour, dans ses bras. Attraction-répulsion. De la passion plus que de l'amour.

Grâce aux mots ?et uniquement grâce à eux, heureusement, encore qu'il y a des mots et des phrases qui tuent - avec lesquels il jongle, qu'il triture, qu'il torture parfois, pour construire sa pensée, ses envies, ses voyages, ses impressions, ses doutes, il décrit Alger et les pulsations du monde environnant. De la haine bien plus que de l'admiration. Lui qui n'avait pas crié juste au sortir du ventre de sa mère n'eût été une sage-femme qui lui a secoué vigoureusement ses jambes, il hurle son désespoir d'être né dans un monde qu'il n'aime pas mais qu'il est obligé de subir? et auquel il s'est habitué. «Rester ou partir, partir en restant ou rester en partant, s'adapter ou adapter, gesticuler et se débattre ?». Que de questions !? Notre «héros» préfère évacuer la question, alors qu' «un cordon ombilical s'enroule autour de son cou, jusqu'à l'étouffer». A chacun son addiction ! A chacun son exutoire ! Un livre, par exemple. Sainte-Beuve (1829) ne disait-il pas que «le désespoir lui-même, pour peu qu'il se prolonge, devient une sorte d'asile dans lequel on peut s'asseoir et reposer».

Avis : Difficile à lire, mais pour ceux qui aiment les textes difficiles et compliqués, c'est un trésor. De plus, il peut servir de texte thérapeutique aux stressés, aux angoissés des grandes villes, aux «mal dans leur peau»? d'où beaucoup de lecteurs en perspective. A noter que les photos introduites dans le texte n'apportent rien de nouveau d'autant que la qualité de reproduction est banale.

Extraits : «Alger est une ville sans berger qui maltraite son troupeau d'habitants, à commencer par moi» (p 14)», «Chez l'Algérois, le bonheur est capté par une parabole, il est virtuel» (p 30), «Même mes cheveux sont énervés ! Ils sont secs, rebelles, indomptables, comme nous autres, Algériens, toujours en colère, toujours énervés»(146)

LE DERNIER ETE D'UN JEUNE HOMME. Un roman de Salim Bachi. Editions Barzakh, Alger 2013. 269 pages, 750 dinars

L'auteur revisite Albert Camus? après l'avoir embarqué pour le Brésil (un voyage réellement effectué). Un long voyage de vingt jours en mer, côtoyant les nantis de la première, et les pauvres de la quatrième classe entassés dans des couchettes superposées. Une misère sociale qui lui rappelle son enfance et sa jeunesse en Algérie

Au fil du voyage, il pense, il se souvient, il raconte, à sa manière, l'«époque ensoleillée» d'un «paradis perdu»? L'auteur remet les pendules à l'heure, ce qui nous rend Albert Camus assez proche, d'autant qu'il s'excuse d'avoir «tué» un Arabe dans l'Etranger (Kamel Daoud qui a, récemment, signé un ouvrage sur Camus, chez Barzakh, nous en dira bien plus et nous reviendrons sur le sujet)? Et, sa maladie et ses souffrances existentielles nous le rendent presque sympathique, même s'il a été «orgueilleux et lâche» comme le décrit J-P Sartre (son ennemi intime), au moment même où, aujourd'hui, grâce à l indéniable et louable tolérance de nos intellectuels, écrivains et critiques et la pression des «euro-algériens», il revient, sur la scène éditoriale?

Avis : L'écriture, les petites phrases et le talent de Salim Bachi sont bien plus intéressants pour nous que les angoisses camusiennes ; angoisses qui concernent un autre monde, un autre temps, une autre société, bien qu'il restera toujours nôtre, l'enfant de Drean (ex-Mondovi) et de Belouizdad (ex-Belcourt), quoi qu'il ait fait ou dit, quoi que l'on pense ou que l'on fasse. Un «butin de guerre» (ou, pour les nouvelles générations, comme K. Daoud, n'ayant pas connu la guerre, un «champ de créativité énorme»), ça se «récupère», ça se conserve? ça s'exploite (pourquoi pas car, il y a, bien sûr, le tourisme cultuel mais, aussi, le tourisme culturel) !

Extraits : «L'hôpital, on y entre pour ne plus en sortir, ou alors avec quelque chose de moins» (p 33), «Pour mon malheur, j'ai goûté au fruit de la connaissance, qui est souffrance et désir sans fin» ( p 43), «La pauvreté assèche toute humanité «(p 64), « Je suis un homme heureux et il vaut mieux cacher cet état qui n'est jamais bien vu dans le petit milieu des gens de lettres, cette jungle dont les fauves sont miteux» (p123), « La pauvreté est méprisable lorsqu'elle vous contraint à abdiquer tout orgueil ; la misère, elle, vous fait abdiquer votre humanité» (p 154),