
A six mois du plus important rendez-vous électoral du pays, la vie
politique nationale baigne dans une étrange léthargie qui frise l'ennui. Les
candidats s'expriment peu ou pas du tout et la presse s'interroge.
A six mois de l'élection présidentielle (avril 2014), le champ politique
national demeure, le moins que l'on puisse dire, étonnement calme. La presse
nationale s'interroge, à juste titre, sur cette « quiétude » et tente
désespérément de provoquer le débat : l'enjeu de la présidentielle
n'intéresse-t-il pas le pays, peuple, classe politique, intellectuels etc. ?
Les annonces à la candidature faites par quelques leaders politiques, autant
que celle du président Bouteflika, « suggérée » en son nom par d'autres
responsables ou milieux politiques et jusqu'à la candidature de l'écrivain
Yasmina Khadra (Mohamed Moulessehoul) ou celle encore de l'homme d'affaire
algérien vivant en France n'arrivent pas à emballer le débat, ni à mobiliser
les foules. Est-ce à dire que le peuple, son élite politique et intellectuelle,
ne se sent pas concerné par l'enjeu de cette élection ? Est-ce la certitude que
cette élection est jouée d'avance pour un 4ème mandat pour Abdelaziz Bouteflika
? Ou est-ce une lassitude générale qui s'est mue en une fatalité pour un destin
qui condamne le pays dans la continuité d'un régime politique immuable, unique
jusqu'à la fin des temps ? Il y a comme une anomalie, une absurdité, un mystère
dans la vie politique du pays : durant les 14 années de règne d'Abdelaziz
Bouteflika, les critiques n'ont jamais cessé sur la gestion du pays à tous les
niveaux, sans empêcher Bouteflika à être reconduit à trois reprises, pour trois
mandats successifs à la tête de l'Algérie. Les plus sceptiques vous diront que
les trois élections ont été truquées, manipulées. Les autres, partisans du chef
de l'Etat vous expliqueront sa « survie » par son bilan : terrorisme vaincu,
réconciliation du peuple, routes et autoroutes, le million de logements
sociaux, métros, trams, aéroports, barrages hydrauliques et surtout recrutement
massif dans le secteur public, prêts bancaires à la consommation et crédits au
jeunes (Ansej), aux fellahs etc. Et puis, ajouteront ces derniers, il n'y a
qu'à sortir d'Alger et les grandes agglomérations urbaines et d'aller écouter l'Algérie
profonde, celle des petites villes, villages et campagnes pour comprendre le «
phénomène » Bouteflika. Car cette Algérie profonde, majoritaire, vote elle
aussi et dans la pure tradition dite « conservatrice », où est implanté le
vieux parti FLN et ses organisations de « masses ». Cette Algérie majoritaire
et profonde intéresse peu les jeunes partis politiques dits modernes,
démocrates, laïques ?Cette Algérie oubliée des partis politiques récents
constitue un véritable vivier électoral inestimable pour le FLN et,
subséquemment, son jumeau le RND et autres partis islamistes, c'est-à-dire ceux
qui reconduiront Abdelaziz Bouteflika pour un 4ème mandat s'il le souhaite.
L'autre anomalie dans la vie politique nationale est cette propension de la
nouvelle classe du monde des affaires et du bisness, apparue depuis l'arrivée
de Bouteflika au pouvoir, à un jeu machiavélique et hypocrite : devenue riche
sous le règne de Bouteflika, elle critique le régime qui l'a engraissée.
Souvent, une partie des porte-paroles de cette caste (organisations patronales
et professionnelles) montent au créneau lorsque leurs intérêts sont menacés et
crient aux scandales dans la gestion des affaires publiques, dénoncent le
clientélisme et la corruption comme s'ils sont hors du système et vierges de
tout soupçon. « Pour qu'il y ait corrompu, il faut un corrupteur » dit l'adage.
La corruption n'est pas une maladie générée, in-nihilo, par l'administration du
secteur public, ou inversement par le seul secteur privé. Elle n'est pas une perversion
inhérente au seul riche ou seul pauvre. En revanche, l'ampleur de la corruption
est, bizarrement, directement proportionnel à l'apparition et la montée de la «
classe des affaires » de ces dernières années. Sans commentaire. Enfin, il y a
cette autre anomalie lorsque les candidats à la présidentielle (et même aux
élections législatives et locales) sont connus, officialisés et entrent en
campagne électorale : l'invisibilité et l'absence des programmes politiques des
candidats, la confusion du discours politique et l'inanité des idées
lorsqu'elles sont exprimées. Aucun candidat n'exposera dans le détail son
programme politique et abondera dans un discours général axé sur des évidences
aussi naïves que l'appel au patriotisme, l'unité du pays, la justice pour tous
etc. Aucun candidat ne vous exposera sa politique fiscale, sa vision de
l'aménagement du territoire, l'absolu nécessité d'un équilibre des comptes
publics chiffres à l'appui, les projets de l'innovation et de la recherche,
l'emploi, la jeunesse, les réformes structurelles, celle de la justice, de la
diplomatie à l'aune de ce 21ème siècle?Enfin, tous ce qui conditionne le
sérieux dans la vie d'un pays. Ce ne sont là que des exemples pour illustrer
l'indigence de nos campagnes électorales. Sans doute, sont-ce ces faiblesses,
anomalies et perversions politiques qui ont fini par lasser l'électeur « lambda
» et le poussent au désintéressement de la politique politicienne. Du coup,
lorsque cet électeur lambda se sent brimé, lésé de son droit, il le manifeste
et l'exprime avec les moyens du bord : émeutes, manifestations, grèves, harga
vers d'autres cieux plus cléments. La rue pour mode d'expression, puisque les
partis politiques et la classe dite intellectuelle ne le connaissent pas. A six
mois du rendez-vous électoral le plus important pour le pays, il est quelque
peu ridicule pour beaucoup de partis politiques de l'opposition ou de «
personnalités » de croire pouvoir renverser la situation à leurs profits, alors
qu'ils ont été absents à chaque fois que le peuple est descendu dans la rue,
son lieu d'expression. Pour autant, faut-il désespérer de la politique et
accepter la fatalité d'un système décrié à tous les niveaux et que tous veulent
voir radicalement changé et arrimé à la modernité et la démocratie ? Bien sûr
que non, à la seule condition que les partis politiques, « leaders » et
intellectuels acceptent de poser un regard lucide et critique sur la réalité de
leur implication dans la société, le degré de leur engagement politique, la
force de leur conviction et le respect du choix de l'électeur. Ce sont les
exigences premières pour une vie politique nationale animée, libre et
démocratique.