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L'union ou l'effritement

par El Yazid Dib

L'union en ce sens n'est pas forcément être sur les mêmes positions ou avoir le même chemin, mais être dans un ménage de consolidation des intérêts réciproques en empruntant le cas échéant des chemins différents. De surcroît si la géographie, l'historie et la foi sont un patrimoine commun largement partagé.

C'est que l'Algérie tient à faire adopter lors de ce sommet.

Une réunion au sommet peut se distinguer par le rang de la représentativité, comme elle peut se faire valoir ou se dévaloriser par la substance qu'elle tend à insuffler à ses recommandations finales. Pour ce qui est de la Ligue des Etats arabes, il y a énormément de choses à dire. Les différends entre les uns et les autres membres ont pris le dessus sur toute la fibre génésiaque ayant prévalu à la naissance de la Ligue. Le ciment qui semblait les unir s'est effrité au fil du temps et de la progression des positions politiques des uns et des autres selon les contraintes conjoncturelles. Le lien ombilical était la Palestine. Mais si la Palestine, sous sa couverture d'affaire persiste à ne faire qu'une affaire d'arabes et de musulmans, l'affaire n'ira pas loin. Il s'agit en fait d'une cause ouverte à tout être épris de paix et de justice. Son tort cependant était d'avoir fait unilatéralement une possession quasi exclusive d'une certaine notion flouée de nation arabo-musulmane.

La normalisation des relations entre certains Etats arabes et l'entité sioniste était prévisible, préconçue et savamment tracée, sinon perfidement. Bien d'autres pays de cette confrérie arabe vont le faire. Ce sera, cette normalisation, une affaire normale. Cela demeure justifié par les nouveaux enjeux stratégiques, la globalisation de ces mêmes enjeux et ce criard pragmatisme devant un échec réplétif depuis 1947. Donc la réalité politique est là. Plus de connexion à base d'ethnie ou de clanisme, fût-elle sous une bannière religieuse censée unir plus que désunir. C'est ça, ce que tente de faire avaler les faiseurs d'opinions à des populations attachées corps et âme à une cause avant tout. Car la Palestine dépasse la notion territoriale pour s'inscrire d'abord dans un idéal de justice historique et ensuite de solidarité envers un peuple meurtri et spolié de ses minimes droits.

L'histoire des Arabes, si elle avait connu de l'apogée et des mérites reste tout de même assez riche en événements douloureux. Elle ne fut en réalité qu'une kyrielle de guerres, de combats et d'éloges post mortem à l'honneur des grandes victoires d'une ère enterrée. Les nouveaux temps avec leurs nouveaux défis et enjeux font qu'il n'est plus possible de vivre sur ses lauriers ou continuer encore à s'adosser sur des légendes et des épopées.

Pour certains, le lâcher du lest n'est qu'une adaptation aux nouvelles exigences d'une jeunesse montante qui ne pense plus comme ses aïeux ni croit en ces délégations de pouvoir divin. La commune mesure est une convergence, pour eux, dans l'optique de la destinée de leur peuple. Ils s'estiment investis de l'oracle astral. Les régimes politiques des provinces arabes, tellement distincts dans leur anatomie constitutionnelle, surviennent difficilement à tracer une distance commune, ne serait-ce qu'en vertu d'une défense collective de la question palestinienne. Les royaumes considèrent avec acuité l'intérêt de survie du trône, les républiques le font d'une manière à garder une telle apparence, les autres s'essayent à la continuité d'une vie tranquille et paisible.

L'idéal n'est plus dans le regroupement circonstanciel que ne l'est l'accord pour la nouvelle vision de cogérer la chose arabe. La nation arabe, si l'on puisse encore s'enorgueillir de cet euphémisme est prise en tenaille entre le bloc euro-atlantique et l'autre sino-russe. Entre l'Est et l'Ouest, il ne reste plus de marge pour un alignement individuel.

La guerre ou l'intervention militaire en Ukraine a modifié le plan de masse de la région, elle aspire à redéfinir le partage du monde, à rééquilibrer les forces, mais le tout en l'absence totale de ces Arabes.

Sommés, par conséquent, à un rangement forcé. Il n'est de solution, à peine d'effritement, qui d'ailleurs a commencé son amorce : qu'une prise de conscience évitant d'hypothéquer l'avenir de ces pays pour se laisser choir dans la sarcelle de l'un ou de l'autre bloc.

Néanmoins il est attendu de ce conglomérat une nette redéfinition dans la stratégie d'ensemble mais aussi dans la nature des objectifs à s'assigner. Un moindre effort est supposé préexister pour une refondation de ce qui devra dorénavant lier les Etats membres de cette Ligue. Sinon, disparaitre serait une sinécure pour tous. Que l'on finisse ainsi une fois pour toutes avec ces hypocrisies dans uns monde qui croit en vertu d'un islam défiguré et d'un arabisme dépassé par les intérêts économiques ; constituer une force dans un monde qui n'est ouvert qu'aux grands, qu'aux détenteurs du savoir et de rationalité.

La politique étrangère de chacun des pays membres est basée en toute légitimité sur ses propres intérêts. Cela ne devrait pas par principe causer des troubles relationnels quand l'intérêt cesse d'être partagé. Cet intérêt, on le voit, n'est plus confiné dans sa case originelle d'un simple gain économique. Il se situe en plein centre d'une suprématie géostratégique. Chacun cherche à sa façon de dominer la région où la course au leadership est toujours en vogue. Le plus dramatique dans ces perturbations avait dépassé le plan diplomatique et s'est installé carrément dans une guerre chaude, meurtrière et inutile en tout cas tant pour les uns que pour les autres.

Qu'a-t-elle rapporté l'hostilité entre l'Arabie saoudite et le Yémen ou le Qatar ? Que vont-ils nourrir ces sentiments anti-syriens au sein de la masse des futurs enfants de ce pays ? Si chacun a ses raisons, chacun aussi a ses torts. L'unique victime dans ces affrontements sont les peuples. Alors qu'au moment où les autres, les « kouffars » s'investissent dans des conglomérations, les nôtres s'éparpillent et se pulvérisent de jour en jour.

A cette cadence nous arriverons à la reconstitution de la matrice initiale pour ne se reconnaitre que dans l'étiquetage de petites tribus grégaires, familiales et clanales.

Loin de vouloir fédérer définitivement les Arabes, le sommet d'Alger va avoir au moins cette prouesse de les avoir réunis malgré un climat interne délétère, pour leur faire sentir la lourdeur de la géopolitique qui se pend au-dessus de chaque tête. Peu importe la haine maladive de ceux qui ont voulu le réduire à une pause-café. Ne pas voir un quelqu'un de royal ne pas venir, tout incertain, craintif, sans audace diplomatique n'est nullement un couac. En l'état, c'était une aubaine pour le roi du Maroc d'aplatir les questions qui fâchent. La diplomatie n'est pas cette science de l'éternelle tentative ? de l'effort permanent ?

Ce sommet s'annonce dans l'actualité interarabe comme étant un menu vitaminé pour la sortie de l'engourdissement que vivent ces pays. Pour le monde arabe, il semble ne revêtir qu'un autre aspect d'un quelconque et énième regroupement de dirigeants arabes. Mais en réalité il en est autrement.

La conjoncture internationale démontre bien l'utilité d'un sérieux et d'une profonde conviction en l'unité arabe. L'hégémonie anglo-saxonne, l'Europe et sa mise à bride à l'oncle Sam, les nouveaux axes qui se constituent, exigent des entités arabes nonobstant la brouille qui mine leurs liens du fait d'un alignement donné, à plus d'écoute et d'attention de l'un vers l'autre. Il faudrait savoir s'écouter et s'entendre de se dire des choses, des vérités et des réalités pas toujours bonnes à dire. Heureusement, l'Algérie par une diplomatie de niveau avait su et œuvre encore pour une totale stabilité du monde arabe. Le positionnement pour les justes causes est un précepte novembriste qui avait tout le temps imprégné la démarche diplomatique du pays.

Le vœu d'intégrer la Palestine en tant qu'Etat, membre entier, dans le concert des Nations unies émis par le président Tebboune à l'ouverture des travaux, ce mardi 1 novembre doit être corroboré par tous. L'Algérie œuvre pour l'unification des rangs, la symbiose, harmonie à tous les niveaux. Ainsi, dans les confits qui se font et opposent les uns aux autres, elle n'est ni contre l'un ni pour l'autre. La neutralité agissante et positive fait d'elle une solennité et une sérénité afin de dénouer les imbroglios tout doucereusement et surtout par la permanence d'un dialogue studieux.