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Les malheureux «correctifs révolutionnaires»

par Mazouzi Mohammed*

« L'Algérie n'est pas une simple expression géographique mais plutôt un programme d'action et une philosophie politique » Houari Boumediene

Comment s'abstenir ou s'encombrer de scrupules à franchir le Rubicon pendant qu'une poignée de gredins squatte l'Etat et conduit, dans une ambiance de bacchanales, le pays vers la ruine.

« La primauté du civil sur le militaire », impératif catégorique, testament des pères fondateurs de la nation algérienne, le vœu à la fois le plus cher et la hantise du gouvernement algérien. Une « Chimère », dans les deux sens du terme, à la fois utopie et créature hybride, contrenature, constellation de protagonistes disparates et d'obédiences hétéroclites, nébuleuse politique néfaste ; tel sera la nature de l'Etat algérien. Le Civil et le militaire fusionneront de manière magistrale, tacitement, s'affairant les uns et les autres autour d'un compromis légendaire qui permettra à chacun, à défaut de servir son pays en toute âme et conscience, de se hâter à bâtir pour lui et les siens une retraite dorée en prévision des jours de disgrâce.

Il n'y aura jamais de primauté de qui que ce soit sur quoi que ce soit

Toute l'histoire de l'Algérie postindépendance sera un feuilleton interminable ou plutôt un thriller fait de complots, de manigances et d'alliances contre-nature. Le civil, sachant qu'il n'aura jamais la primauté en matière de gouvernance, se consacrera à la seule activité qui ne lui sera pas disputée par l'oligarchie militaire : La concussion, la concupiscence, la prévarication, la gabegie.

Peut-on clamer tout haut que ce pays a été protégé par les uns et/ou les autres, par ceux-ci plus que par ceux-là ? L'Histoire renverra dos à dos ce brillant tandem dont la duplicité de certaines âmes démoniaques tapies dans les deux camps conduira inéluctablement le pays vers la faillite en dépit de toutes les incommensurables opportunités et richesses que recèle l'Algérie.

Cette primauté que les Militaires ont défendu au prix de tant d'efforts, d'ingéniosité et de violence a-t-elle contribué à mettre le pays sur la voie du développement, a-t-elle pleinement joué son rôle pour constituer un rempart contre les incalculables fléaux et menaces ( le plus souvent internes) qui ont dévasté économiquement, politiquement et moralement le pays. ? J'en doute. Les choses iront de mal en pis. Une certaine caste militaire affairiste, par son absence ostentatoire de sens moral, ouvrira la voie à une oligarchie d'un autre type, effrontément roturière, abritant des spécimens étranges qui s'arrogeront des privilèges inouïs et auront l'indécence de participer aux délibérations les plus stratégiques prises au plus haut sommet de l'Etat.

Comment peut-on faire confiance à des civils ou à des militaires dont la progéniture et les épouses se conduisent comme les crapules de la pire espèce.

Cette « Primauté du civil » connaitra ses moments de gloire sous l'ère de celui qui ne voulait pas être un président au trois-quarts, Bouteflika usera de ce semblant de primauté pour saccager cet idéal (mythique) de Novembre 54 et ce qu'il représentait et ce qui aurait pu produire si précisément au lieu de guéguerres de primauté des uns contre les autres il y aurait eu une alliance bénie qui aurait réuni pour le bien de la Nation des Sages, justes, éclairées et patriotes. Le règne de Bouteflika confirmera qu'il y avait une primauté qui trônait royalement au-dessus de toutes les autres : Celle de la cupidité. Le gouvernement civil maffieux qu'il laissera se constituer, agir et prospérer dans l'impunité la plus effarante sera une école du crime pour des milliers d'Algériens, et laminera irréversiblement la confiance du citoyen dans les institutions de son pays.

Comment peut-on dans ce cas de figure demander à l'Institution militaire de se mêler uniquement de sa tambouille, de rester gentiment et impassiblement cloîtrée dans ses casernes ou de garder les frontières pendant que l'ennemi le plus dangereux était à El-Mouradia, au Club des Pins et à Zéralda. C'est précisément ce genre de scénario qui légitimera à bon escient ou pour des raisons personnelles ces fameux « Correctifs Révolutionnaires » Le lendemain de l'indépendance de l'Algérie, un civil de l'Ouest usurpe le pouvoir grâce au soutien et à la protection d'un militaire de l'Est.

Trois années plus tard, le colonel Boumediene destitue le président Ahmed Ben Bella

Il qualifiera son coup d'Etat de « Correctif révolutionnaire », inaugurant ainsi une longue ère de pronunciamientos qui seront l'unique modus opérandi politique d'une démocratie biscornue.

Le colonel Houari Boumediene sera traité de despote, on lui reprochera les restrictions des libertés individuelles et la sacralisation de la pensée unique, néanmoins il décédera sans avoir mis dans ses poches un seul centime qui ne lui appartenait pas. Son décès prématuré poussera l'institution militaire à le remplacer au pied levé par un autre colonel considéré comme étant le plus adéquat pour la pérennisation de cette satanée « Primauté du miliaire » Le règne fastueux et chatoyant de Chadli Bendjedid (corruption, népotisme, pluralisme politique, islamisme) ainsi que ses menaçantes opérations d'apprenti sorcier pousseront encore une fois le conclave militaire à interrompre un processus électoral légitime et honnête. Bien entendu, ce « Putsch » sera considéré par les « Janviéristes » comme un autre « Correctif révolutionnaire » face à une menace islamiste qui risquait de balayer leurs trois glorieuses décades, un fastueux règne militaire sans partage.

On essayera de corriger cette bavure par la mise en place d'une formation politique collégiale en quête de plus de légitimité qu'on cherchera à établir en allant déterrer un chef historique en exil pour le placer à la tête du pays. Boudiaf va essayer à son tour de jouer à l'apprenti sorcier, ce qui ne sera pas sans fortement déplaire à beaucoup de monde et notamment à ceux qui avaient sollicité ses services. Il sera assassiné et on passera allégrement à autre chose.

Le H.C.E continuera d'assurer cette malheureuse période transitoire (qui semble être le seul Karma qui correspond au pays puisque en 2019, le pays sera contraint de revivre le même scénario aussi farfelu) Le HCE passera la main au général Liamine Zéroual qui deviendra le Président-Pompier, chargé d'éteindre un gigantesque incendie national où tout brulait ( Institutions, infrastructures, forêts, femmes, vieillards, enfants) et d'un Etat constamment miné par des rivalités et des tensions partisanes sempiternelles et insoutenables qui lui feront jeter l'éponge en 1999.

Cette fois-ci on fera appel au plus grand tribun de l'histoire algérienne. Un personnage au destin hollywoodien. Condamné par la Cour des Comptes, objet des flétrissures les plus virulentes, paria, honni par sa famille « révolutionnaire »,et finalement promu pour finir empereur à vie.

Le pouvoir glissera insidieusement de l'Est vers l'Ouest. Imparable Karma d'un pays dont la boussole politique oscille invariablement entre l'Est et l'Ouest. Encore une fois l'ancien diplomate qui refusait farouchement d'être un président au trois-quarts va essayer de jouer à son tour aux apprentis sorciers, ce qu'il réussira à faire, en dégommant les anciens faiseurs d'histoire(s). Dans sa croisade périlleuse contre ces « Militaires » infatigables qui gênaient son business ainsi que celui de sa cour, il fera la même chose que Benbella en1962 : Solliciter un autre militaire. Et voilà comment encore une fois un autre civil de l'Ouest, ( issu de ce même clan de Oujda qui en 1962 se fera assister par un colonel de l'Est) fera appel à un autre militaire de l'Est.

Ce dernier attendra lui aussi le moment opportun pour mettre fin à une mascarade politique qui avait trop duré. Cette longue saga de cooptation, de passation de pouvoir, d'alliance contre-nature. Ce règne de Raspoutine sera finalement interrompu un certain 22 Février 2019. Cette fois ce sera la « Der des Ders », le général Gaîd Salah, à l'instar du colonel Boumediene réenclenchera un ultime « Correctif révolutionnaire ».

Quoi que l'on puisse dire, quelles que soient les intentions qu'on prêtait au défunt général Gaîd Salah

Durant cette période chaotique que l'Algérie a traversé et pendant laquelle chaque Algérien est devenu un politologue, un commentateur, un Cassandre, un chiromancien. Période terriblement parasitée par une hyper-inflation de commérages,de discours, de palabres, de diatribes, fusant de part et d'autre à propos de tout et de n'importe quoi. L'ignorant que je suis, le profane, le néophyte, le « Boudjadi », ne peut retenir qu'une chose.

Depuis 1962, on n'aurait jamais imaginé qu'un gouvernement maffieux disposé à défendre ses acquis par les moyens les plus retors puisse être mis en prison, une oligarchie hybride et criminelle qui avait transformé l'Etat en une véritable garçonnière et les Algériens en une horde d'opportunistes, d'égoïstes et de vils consommateurs.

C'est pendant la chasse ouverte organisée par ce vieillard valétudinaire au bord de l'apoplexie qu'on a réussi à ranger dans le placard à balai une clique de malotrus que personne n'aurait jamais pu déloger, ni notre mégalomaniaque Hirak, ni une Justice efféminée, émasculée, chevauchée par tout le monde.

Où va l'Algérie ?

La question restera posée car les truands et les comploteurs demeurent aux aguets, ainsi que l'abyssal « Schisme » social, culturel, religieux, et politique qui sert de terreau aux forces occultes dont la seule spécialité est de semer la discorde pour vendre l'Algérie aux enchères.

J'espère que l'institution militaire aura à sa tète un homme qui veillera au grain et soutiendra le Gouvernement afin que l'Algérie se débarrasse définitivement de ses anciens démons.

*Universitaire