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Le monde change, le monde a déjà changé !

par Brahim Chahed

Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être, mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre. Marc-Aurèle (Empereur romain, de mars 161 à mars 180).

Pour lire cette chronique de 1.089 mots, il vous faudra, en moyenne, à peu près 6 minutes. En effet, grâce à l'unité de mesure «mot par minute» ou «mpm», on peut savoir à quelle vitesse un texte sera tapé à la machine, écrit à la main, lu à haute voix ou lu de façon silencieuse. Quoi qu'il en soit, en 6 petites minutes, pendant que vous lisez votre chronique tranquillement, le monde aura connu des bouleversements insoupçonnés.

Ainsi, en à peine 6 minutes, Warren Buffet aura gagné plus de 135.000 dollars, le monde aura produit plus de 398.520 barils de pétrole brut et plus de 468 millions de litres d'eau auront été consommés. L'activité économique autour de la planète aura généré prés 883 millions de dollars de PIB et près de 17.96 millions de dollars auront été engagés en dépenses militaires.

En un laps de temps aussi réduit, 6 minuscules minutes, plus de 500 personnes, de par le monde, demanderont le statut de réfugiés, plus de 2.500 auront été déracinées, de gré ou de force, et auront quitté leur pays pour avoir le statut de migrants.

En 6 insignifiantes minutes, environ 849.9 millions de mails sont reçus et expédiés dans le monde et 72 millions de SMS échangés, près de 15.48 millions de vidéos sont visionnées sur le site de vidéos Youtube et pas moins de 14.04 millions de recherches sont exécutées sur le moteur de recherche Google par les internautes.

Lorsque vous levez les yeux pour admirer les étoiles, vous devez prendre conscience que vous ne regardez pas le présent, vous voyez le passé. De même, le professeur à l'école vous présente une vision dépassée du monde, les livres portent des connaissances désuètes et nos jugements sont altérés par nos préjugés. Ainsi, tout petit vous rêviez d'être médecin, vingt ans plus tard, vous êtes médecin mais vous vous rendez compte que ce n'est pas ce que vous vouliez vraiment faire, que ce n'est pas ce que vous vouliez vraiment être. La population mondiale vieillit et pourtant les jeunes n'ont jamais été aussi nombreux; les inégalités économiques sont en hausse et pourtant la proportion de personnes vivant dans la pauvreté a diminué de moitié ; l'accès à l'éducation est réduit, dans bien des régions du monde, et pourtant les taux de scolarisation n'ont jamais été aussi élevés et les filles affichent les progrès les plus notables.

Nous n'avons ni le temps ni les moyens de mettre ces connaissances à jour continuellement même si nous le voulions. Nous devons alors nous réapproprier notre intuition et en faire une force, nous devons nous exercer sur notre capacité à généraliser. Aujourd'hui les conditions d'environnement sont si changeantes, si inconstantes, que l'excellence définitive que nous décrivions dans le temps est impossible à atteindre.

Nous passons trop de temps dans l'accomplissement d'actions répétitives machinalement. Nous retrouvons dans ces activités automatiques les routines que nous avons intégrées depuis des années, elles sont notre héritage propre et nous nous appuyons sur ces routines pour produire l'efficacité. Mais lorsque nous changeons de contexte, ces routines doivent être accommodées ou carrément ignorées si nous voulons reproduire cette même efficacité.

Cependant, à chaque fois que nous décidons de mettre en place de nouvelles routines, nous devons nous confronter à celles qui sont déjà installées. Ainsi, notre capacité à transformer nos habitudes devient une réelle compétence. Notre époque sonne définitivement le glas des réflexes routiniers, d'habitudes, de gestes reproduits mécaniquement, des rythmes synchronisés, des comportements standardisés et annonce l'émergence des habitudes de perception.

Sur de nombreux horizons, le monde change mais en y regardant de plus près, tout ceci n'est pas nouveau, le monde a constamment changé, il change en permanence et la capacité de l'être humain à s'adapter et évoluer dans des environnements variés et en perpétuel mouvement n'est également pas nouvelle, elle fait totalement partie de nous-mêmes. Avant nous, nos prédécesseurs, face à l'émergence d'un fait nouveau, à l'ascension d'une nouvelle technologie, à la survenance d'une crise, ont trouvé le moyen de s'adapter des fois et, d'autres fois, d'anticiper en se remettant en cause avant même d'y être contraints. Ces dernières années se caractérisent par des progrès technologiques considérables, de l'internet des objets aux drones et robots en passant par la réalité virtuelle, l'impression 3D et l'intelligence artificielle, mais notre attention reste orientée vers les changements technologiques et rarement ou pas assez sur les rapports que nous avons les uns aux autres, sur les conventions sociales enracinées.

Il nous faut soumettre, perpétuellement, nos pensées, nos croyances et nos acquis sociaux à l'épreuve du temps, du nouveau et de l'actualité sociale. L'enjeu aujourd'hui est l'évolution en permanence plus que la révolution.

Au changement par la révolution dans les pays arabes et en Afrique, on oppose une autre forme de changement partout ailleurs dans le monde : le changement par l'évolution. Illustré par l'élection d'Emmanuel Macron et la réussite des nationalistes corses en France, la montée des indépendantistes catalans en Espagne. Illustré aussi par l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis et, en Grèce, par la victoire de Syriza. Illustré enfin par le Brexit, par l'élection du maire émigré et musulman de Londres, de la mairesse, issue du mouvement des Indignés, de Barcelone, et l'accession, au Premier ministère, d'un métisse homo en Irlande. L'humanité remet en cause absolument toutes les conventions et concède l'adage selon lequel toute vérité ne naît que malgré l'évidence.

Le monde d'aujourd'hui parait, déjà, négliger les nostalgiques. Celui de demain les striera carrément. Ceux qui croient qu'hier était mieux n'auront plus de place dans ce monde. Les nostalgiques vous diront certainement souvenez-vous, ceux d'aujourd'hui vous diront imaginez-vous.

Albert Einstein, l'un des maîtres en changement qui ait jamais existé, disait : «Tout changement durable et significatif prend naissance d'abord dans votre imagination, et puis se fraie un chemin vers la réalisation. L'imagination est plus importante que la connaissance».

L'imagination n'est autre que construction de l'inconnu à partir du connu. Le changement, quant à lui, n'est autre que rupture entre un connu et un inconnu. Nous nous devons alors de nous libérer du connu et repenser notre vie en adoptant l'inconnu, tel est notre mission, notre finalité et notre défi.