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Suppression des licences d'importation pour 2018 : quelles leçons tirer pour la politique économique de l'Algérie ?

par Abderrahmane Mebtoul*

Rappelons que les licences d'importation selon les règles de l'OMC, contrairement à ce qui a été pratiqué en Algérie depuis sa mise en application, vision bureaucratique avec de surcroit les risques de favoritisme et donc de corruption, peuvent être définies comme étant des procédures administratives qui exigent, comme condition préalable à l'importation de marchandises, la présentation à l'organe administratif compétent d'une demande ou d'autres documents (distincts des documents requis aux fins douanières).

Les procédures de licences automatiques ne doivent pas être administrées de façon à exercer des effets de restriction sur les importa tions et aucune discrimination ne doit être faite entre les personnes ou entités demandant des licences automatiques. Toutes les personnes remplissant les conditions légales prescrites devraient pouvoir, dans des conditions d'égalité, demander et obtenir des licences d'importation. On entend par licences d'importation non automatiques les licences d'importation qui ne répondent pas à la définition des licences d'importation automatiques (article 3:1). Les licences non automatiques ne doivent pas exercer, sur le commerce d'importation, des effets de restriction ou de distorsion s'ajoutant à ceux que causera l'introduction de la restriction, et doivent correspondre, quant à leur champ d'application et à leur durée, à la mesure qu'elles servent à mettre en œuvre (article 3:2). L'article VIII du GATT (intitulé Redevances et formalités se rapportant à l'importation et à l'exportation) traite des procédures de licences d'importation de manière non spécifique. Le paragraphe 1 c) établit, en ce qui concerne les formalités, une obligation générale aux termes de laquelle les Membres reconnaissent la nécessité de réduire au minimum les effets et la complexité des formalités d'importation et d'exportation et de réduire et de simplifier les exigences en matière de documents requis à l'importation et à l'exportation. Le paragraphe 2 fait obligation à chaque Membre «d'examiner l'application de ses lois et règlements compte tenu des dispositions du présent article» à la demande d'un autre Membre. Le paragraphe 3 fait interdiction aux Membres d'imposer «des pénalités sévères pour de légères infractions à la réglementation ou à la procédure douanières». L'article X fait obligation aux Membres de publier dans les moindres délais les lois, règlements et décisions judiciaires et administratives d'application générale, y compris celles visant les prescriptions relatives à l'importation ou à l'exportation et de les appliquer d'une manière uniforme, impartiale et raisonnable. Le Code du Tokyo Round intitulé Accord relatif aux procédures en matière de licences d'importation était l'un des accords visant les mesures non tarifaires conclus au cours des négociations commerciales multilatérales tenues entre 1973 et 1979.

Ce code est entré en vigueur le 1er janvier 1980 avec pour objectif d'empêcher que les procédures en matière de licences d'importation n'entravent indûment le commerce international. En tant qu'accord distinct, ce code n'était contraignant que pour les seuls pays qui l'avaient signé et ratifié. Au cours du Cycle d'Uruguay il a été révisé pour renforcer les disciplines relatives à la transparence et aux notifications. L'Accord révisé est entré en vigueur le 1er janvier 1995, il a force obligatoire pour tous les membres de l'OMC. Ainsi, les membres doivent appliquer les procédures de licences d'importation avec neutralité et les administrer de manière juste et équitable (article 1:3). Les demandes ne doivent pas être refusées en raison d'erreurs mineures dans la documentation ou faire l'objet de fortes pénalités en cas d'omissions ou d'erreurs dans les documents ou dans les procédures qui sont manifestement dénuées de toute intention frauduleuse ou ne constituent pas une négligence grave (article 1:7). Les marchandises importées sous licence ne doivent pas être refusées en raison d'écarts mineurs en valeur, en quantité ou en poids par rapport aux chiffres indiqués sur la licence attribuables à des raisons compatibles avec une pratique commerciale normale (article 1:8).

Dans ce cadre, l'Algérie entend respecter ses engagements internationaux et se conformera avec les règles régissant le commerce international dont celles de l'OMC qui prévoient des restrictions quantitatives lorsqu'un pays membre a des difficultés de balance de paiement. La liberté du commerce et de l'industrie étant le fondement de la politique économique et commerciale du gouvernement algérien est consacrée par l'ensemble des dispositions de la législation algérienne dont la nouvelle Constitution.

L'analyse de la balance commerciale et de la balance de paiement montrent clairement que la règle des 49/51% (aucun bilan à ce jour depuis son instauration en 2009) et des licences d'importations, dont les objectifs étaient la baisse de la valeur des importations de biens et services, ont eu un résultat très mitigé. Ainsi, en termes de couverture des importations par les exportations, les résultats en question, dégagent un taux de 62% en 2016 contre 67% enregistré en 2015.

Les importations Algériennes ont diminué de 9,62% par rapport à l'année 2015, passant de 51,7 milliards de dollars US à 46,72 milliards de dollars US. Les exportations ont totalisé en 2016 28,886 milliards de dollars dont les hydrocarbures ont représenté l'essentiel des exportations durant l'année 2016, soit 27,102 milliards de dollars, avec une part de 93,84% du volume global des exportations, et une diminution de 17,12% par rapport à l'année 2015. Les exportations « hors hydrocarbures », dont 60% de dérivées d'hydrocarbures, sont restées marginales, avec seulement 6,16% du volume global des exportations avec 1,78 milliard de Dollars US avec une diminution de 9,55% par rapport à l'année 2015. Les importations réalisées au cours de l'année 2016 ont été financées par CASH à raison de 59,49%, soit près 27,8 milliards de dollars US, enregistrant ainsi une diminution de 8,63% par rapport à l'année 2015. Les lignes de crédits ont financé 36,94% du volume global des importations, soit une baisse de 11,36%. Le reste des importations est réalisé par le recours aux autres transferts financiers à raison de 3,57%, soit en valeur absolue de 1,66 milliard de dollars US. Toujours selon le Centre national de l`informatique et des statistiques des Douanes (CNIS), le déficit commercial de l'Algérie a reculé à 9,5 milliards de dollars sur les dix (10) premiers mois de 2017 contre un déficit de 14,4 milliards de dollars sur la même période de 2016, soit une baisse de 4,9 milliards de dollars correspondant à un recul de près de 34%. Les exportations ont nettement augmenté à 28,67 milliards de dollars (mds usd) sur les 10 premiers mois de l'année 2017 contre 24,5 mds usd sur la même période de 2016 (+17,1%), en hausse de près de 4,2 mds usd, selon les données du Centre national de l'Informatique et des Statistiques des Douanes (Cnis).

Concernant les importations, elles ont baissé mais à un très faible rythme en s'établissant à 38,18 mds usd contre 38,88 mds usd (-1,8%), en baisse de 700 millions de dollars, précise la même source. Quant au taux de couverture des importations par les exportations, il est passé à 75% contre 63% à la même période de l'année précédente. Les hydrocarbures continuent de représenter l'essentiel des ventes algériennes à l'étranger (94,8% du volume global des exportations) en s'établissant à 27,18 mds usd contre 23,04 mds usd sur la même période de 2016, soit une hausse de 4,14 mds usd correspondant à une augmentation de près de 18%, dans le sillage d'un redressement des cours mondiaux de pétrole.

Demeurant toujours marginales, les exportations hors hydrocarbures se sont établies à 1,49 mds usd, soit une hausse de 3,4% par rapport à la même période 2016. Les exportations hors hydrocarbures sont composées des demi-produits avec 1,05 mds usd (contre 1,07 mds usd), des biens alimentaires avec 301 millions usd (contre 246 millions usd), des biens d'équipements industriels avec 64 millions usd (contre 38 millions usd), des produits bruts avec 59 millions usd (contre 71 millions usd), des biens de consommation non alimentaires avec 16 millions usd (contre 17 millions usd) et des biens d'équipements agricoles avec 0,15 million usd (contre 0,05 million usd)

Certes, le déficit global de la balance commerciale a baissé mais cette baisse n'est pas du essentiellement à une baisse importante des importations mais grâce à la hausse des prix du pétrole permettant un accroissement relatif des recettes de Sonatrach. Le paradoxe est que l'on fournit à la presse nationale toujours le niveau de la balance commerciale et jamais celle de la balance des paiements. Or, le document permettant une appréciation objective n'est pas la balance commerciale mais la balance des paiements qui en plus de la valeur des importations de biens, prend en compte les services et les transferts légaux de capitaux. Selon les documents du FMI, les sorties de devises des services ont été 10,7 milliards de dollars en 2013, 11,7 en 2014, 11,0 en 2015, 9,9 en 2016 avec une prévision de 10,6 milliards de dollars en 2017.

Le rapatriement légal des bénéfices selon les sources du FMI, a été de 8 milliards de dollars en 2013, 8 en 2014, 6,5 en 2015, 3,1 en 2016 et une prévision de 3,7 milliard de dollars en 2017 , prévoyant une moyenne entre 4,5 et 5 milliards de dollars entre 2018/2020. Dans ce cas au rythme des indicateurs financiers des dix premiers mois de 2017, en toute hypothèse, les sorties de devises sans compter les transferts légaux de capitaux, clôtureraient fin 2017 à plus de 45 milliards de dollars de biens, ,un milliard de dollars de moins qu'en 2016, , plus 10 milliards de dollars (services) soit 55 milliards de dollars et tendant vers 58 milliards de dollars avec les sorties légaux de capitaux.

Or, bon nombre d'opérateurs étrangers selon la presse nationale et internationale n'ont pas été encore payés notamment dans le BTPH , ce qui donnera un montant de sorties de capitaux plus importants que celui déclaré fin 2017, avec un impact sur le niveau des réserves de change. Ce montant de sorties de devises en 2017 correspond pour l'équilibre à un baril variant entre 75/80 dollars le baril ( le ministre des finances avance 70 dollars), pour éviter des tensions au niveau de la balance des paiements, un effort ayant été réalisé puisque pour 2014/2015, l'équilibre selon le FMI variait entre 110/115 dollars. Le montant des réserves de change sont passées de près de 194 milliards de dollars au 01 janvier 2014 et clôtureront entre 94/96 milliards de dollars fin 2017. -Face cette situation qui prélude à d'importantes tensions budgétaires entre 2017/2020, ne devant plus se faire d'illusion d'un cours supérieur à 80 dollars, ( selon le FMI, un cours du baril de 56/57 dollars à prix constants -2018), sous réserve d'une discipline des accords OPEP/non OPEP, il y a pour l'Algérie, urgence de profondes réformes structurelles afin d'engager le pays vers une nouvelle orientation de la politique socio-économique permettant de dynamiser les sections hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales. Faute de quoi le retour au FMI est inéluctable vers 2019/2020 avec un épuisement progressif des réserves de change qui tiennent actuellement la cotation du dinar officiel, le risque étant 200 dinars un euro et 250/300 dinars sur le marché parallèle.

Comment dès lors financer, sans un partenariat gagnant /gagnant, supposant de profondes réformes structurelles qui dépendent avant tout des Algériens, si l'on veut attirer les capitaux étrangers, pour les seuls projets selon leurs programmes rendus publics entre 2017/2022, de Sonelgaz, 100 milliards de dollars sur les dix prochaines années, ( en déficit structurel) supposant la garantie de l'Etat et les 100 milliards de dollars de Sonatrach sur les cinq prochaines années ,( seule société présentant des garanties) , sans compter les autres secteurs , alors que les recettes de Sonatrach fluctueront entre 34/35 milliards de dollars/an en cas d'un cours supérieur 55 dollars, devant ne pas confondre chiffre d'affaire avec le profit net , résultat de la déduction des couts, sans compter pour le partenariat le rapatriement des profits ? L'Algérie a besoin d'une vision stratégique qui fait cruellement défaut. Vivant dans l'utopie, le ministre du commerce, contredit d'ailleurs par la suite par le Ministre de l'industrie, prévoit une baisse des importations à 30 milliards de dollars en 2018, alors que selon l'ONS le tissu économique global est constitué à plus de 80% de petits commerce-services et que le secteur industriel en 2016 représente 6% du produit intérieur brut(PIB) et que sur ces 6%, 95/97% sont des PMI-PME peu innovantes incapables d'exporter . Le Ministre du commerce prévoit par ailleurs pour plusieurs centaines de produits la fin de s importations misant sur une économie d'environ 1,5 milliards de dollars. Mais ce montant est gonflé, devant établir la balance devises, puisque la production nationale dépend pour plus de 75% de produits intermédiaires importées, la baisse de la valeur des produits finis étant contrebalancée par la hausse de la valeur des importations des inputs : le cas le plus concret étant le montage des voitures.

Avec le dérapage du dinar tant par rapport au dollar qu'à l'euro n'a aucunement influencé le prix qui connait une hausse indispensable si l'unité veut couvrir ses charges. Méditons les instructions de son Excellence Mr le Président de la République afin de mobiliser la population algérienne consciente des enjeux par un discours de vérité : ni sinistrose ni autosatisfaction source de névrose collective : arrêtons ces contre-vérités et déclarations démagogiques de certains responsables surtout dans des rencontres internationales, qui ont besoin d'une révolution culturelle, qui font sourire les étrangers affirmant sans analyse objective : «: l'Algérie sera un des plus grand pôle industriel en Afrique grâce au ciment, le fer et le montage des voitures », et ce sans vision stratégique au sein des filières internationalisées en perpétuelle mutation grâce à l'innovation permanente ( la destruction créatrice pour reprendre le grand économiste Joseph Schumpeter). Cela nous fait penser à ce slogan utopique des années 1970, « l'Algérie sera le Japon de l'Afrique en 1980 ». Or le monde est à l'aube de la quatrième révolution industrielle fondée sur la bonne gouvernance (bonne gestion et surtout la moralité ) et comme vient de le souligner avec force le Président de la république le 20 mai 2017, la ressource humaine, richesse plus importante que toutes les ressources naturelles : une Nation sans son élite est un corps sans âme.

*Professeur