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L'injure

par El Yazid Dib

«Donnez-moi tous les noms destinés aux parjures ; je crains votre silence et non pas vos injures» Jean Racine

Il y a dérive en la demeure. Rien ne justifie pour marquer une rentrée politique ou annoncer par anticipation une campagne électorale d'user d'un style oral dérisoire pour un fond sérieux et sacré. La révolution, la patrie et la dignité des gens. Bien que l'expression demeure libre, l'offense n'en est qu'un abus de droit. On admet que par usage, tel que dit par Léopold 1 er roi de Belgique «la politique est une affaire de politesse». Il demeure ainsi loisible pour tous ceux qui font l'actualité avec ses controverses d'essayer d'occuper la scène médiatique sans pour autant, voulant créer l'événement, ils l'enveniment. Il n'y a pas de grands intérêts pour la population en attente d'embellie à tirer sur des cibles abattues ou encore accabler la précarité citoyenne.

Paradoxe cette logique implacable dans la rhétorique de certains ! Si l'on s'efforce à faire une différence entre Toufik et l'armée on doit la tenir également entre Saidani et le FLN. Chacun d'eux en fait ne représente que sa personne. Il n'y a pas lieu d'inclure dans ce débat de personnes (quoiqu'unilatéral) la sacralité des institutions. Pourquoi l'on a tendance à acquiescer à ce que l'on vilipende un général qui pourtant agissait au nom de son institution tout en soulignant la séparation qui y subsiste et l'on refuse d'appliquer cette séparation entre l'autre homme et son parti ? Si l'on parle en mal de Saidani c'est admis si comme l'on a jeté l'opprobre sur le FLN. Alors que devoir moral et pédagogique y est de faire la distinction. Une amplitude les divise.

Pour la sérénité des débats et la paisibilité des âmes sensibles, Il est loisible, à mon humble avis que tout le monde fasse d'abord la disjonction entre ces deux hommes et leurs respectives et respectueuses corporations. Ensuite assurer la même rupture entre une armée souveraine, apolitique, garante de l'intégrité territoriale et une formation politique vivant des soubresauts au gré de prétentions et de des appétits de ses acteurs. Sauf que cette rupture ne peut avoir lieu une fois plongée dans les annales du sentiment national qui nous démontrent un passé illustre et prestigieux de deux, frère et sœur jumeaux. FLN/ALN.

Ainsi la différence est de taille. Entre un homme et un parti, il y a la biographie de l'un et l'historiographie de l'autre. Surtout lorsqu'il s'agit d'un parti plus grand qu'un pays, plus ancien que l'Etat. Un parti-histoire, un parti-nation. Quant à l'homme, il reste insignifiant. Qu'ils aient chacun un visage plissé ou une photo discrète, qu'ils aient des rondelles d'épaulettes ou de l'insanité dans la bouche, l'homme et l'autre ne se valent pas. La parité n'est pas juste. Il n'y rien qui puisse assurer une quelconque liaison entre les deux. Les écoles sont si différentes que les rues, les emplois, les terrains de manœuvres fréquentés ou les angoisses subies ne puissent aucunement les faire croiser.

La différence est aussi de taille entre une armée et un général. Chacun à sa propre épopée. Pour l'une elle est sertie de gloire et d'héroïsme, pour l'autre elle est une simple mais fulgurante carrière.

Continuer à s'acharner sur un déjà-mort, ça ne peut se faire que par misère verbale ou indigence dans le crâne de suggestions. A force de brutaliser un cadavre que l'on a voulu qu'il soit ainsi, on risque de réanimer les esprits encore sous anesthésie. Derrière chaque dépouille, il y a une famille déplorée, une partie de pleurs et énormément de soupirs. On est loin du compte en finalité pour avoir dépassé les lignes du compte à régler. Faire supporter le fardeau des défections et des injustices dans un monde instable à un seul militaire est difficilement croyable mais demeure possible. On n'avait qu'à plaidoyer plaintivement au moment des faits et non à leur titre posthume ou hurler au sacrilège une fois le tord et le mauvais sort accomplis.

Des échelons aussi ornés et ceints d'exploits disait-on n'ont pas à être positionnés dans une arène et mis face-à-face à une coïncidence de coulisses. La rivalité qui n'avait pas lieu de s'engager est inégale et inadéquate. Dans les vrais champs de bataille la balle n'est pas un débit salivaire. C'est un corps à corps, bravoure contre lâcheté, cran contre trouille. Mais comme les batailles maintenant se livrent à partir des podiums, le silence est toujours vaincu. Faut-il encore éviter la décadence orale et choisir le verbe qui touche et ne blesse pas, qui blesse et ne tue pas, qui tue et ne re-tue pas. Une balle douce et polie suffit pour faire mourir.

Tenir un tel langage qualifié presque unanimement de «ordurier» «irresponsable» «insultant»? n'absout en rien son émetteur. Il peut toutefois avoir ses milles raisons d'agir ainsi. S'il s'estime heureux dans ses convictions testimoniales, qu'il le soit. L'actualité foisonne de thématiques, d'impasses et de sujets brulants à même de pouvoir remplir tous les crachoirs possibles. Sans vouloir par défaut de mesure, attiser davantage les feux de la discorde qui emmaille les rangs de son parti, le secrétaire général du FLN aurait été tenté de faire comme à son accoutumée dans l'inédit et l'inouï. «L'onde de choc» de février 2014 l'était à plus d'un titre. Osant attaquer publiquement un pouvoir de fait et une force agissante dissimulée, fallait le faire. Mais bon, c'est fait et c'est fini.

Certes la dérision dans un discours politique est parfois un mode de communication, mais de là à en faire une overdose ça devient à la longue trop cassant et brutalement inefficace. L'effet pervers restera toujours en quête de feedback. Pour un individu qui se croit un Monsieur faisant de la politique, la décence n'est plus un gage de succès mais une culture familiale. Quand on a semble-t-il un lexique réduit, pauvre et dénué de bienséance, c'est évident que l'on s'enfonce bel et bien dans la goujaterie et l'on prend l'outrage comme instrument d'attaque.

Ces quelques mots, les quelques accusations souvent répétées et rassasiés à l'endroit de personnes n'ayant pratiquement qu'un infime lien avec le fonctionnement politique seraient une façon distincte de croire les enterrer à jamais. Quiconque prenait l'audace de s'affirmer en opposition personnelle ou n'entrait pas dans la sainteté de l'orateur, risquerait la foudre infamante.

Dans ces dernières fièvres orales, l'orateur sans art, outre ses diatribes a su quand même faire entrainer par lot de deux mains pour l'applaudir. L'ovation provenait de cadres de l'Etat de surcroit Ministres. L'on y sentait, du moins chez certains que seules les paumes claquaient à l'apparence sans que le cœur n'y était. Se voir ainsi cautionner un affront personnel et apolitique à l'endroit d'un ancien chef du gouvernement où certains y siégeaient devait être une inconfortable posture. L'observateur se demande qu'elle est cette magie capable d'avoir réussi à entrainer de grands responsables vers un acquiescement qui n'aurait nulle raison d'être ? Le spectre de l'évincement ? Pourtant la constitution est claire. Le pouvoir discrétionnaire de nomination est dévolu sans exclusive au Président de la république pas à un secrétaire général de parti. Fut-il le FLN. A moins d'avoir été pris à un piège ambitionnant d'impliquer tout le panel présent, ils passaient pour tenir lieu et place d'un ensemble d'huissiers de justice venus constater un fait historique dévoilé et qui semble faire un secret biblique.

Belkhadem travaille pour la France ? Toufik aussi et bien d'autres y sont de connivence ? C'est très grave comme affirmation. C'est de la haute trahison, de l'intelligence avec l'étranger. La corde est au cou sinon à quelques millimètres . Pardi ! L'on aurait été donc des années durant bercés par un faux nationalisme, un patriotisme vendu et un renseignement à contre-courant. «Tahia Eldjazair» n'était donc qu'un slogan que l'on nous faisait ressasser. Voilà que par la grâce d'un individu nous nous apercevons que le Monsieur qui était sous Boumediene directeur adjoint aux relations internationales à la présidence de la République , 5 fois ministre d'Etat représentant personnel du Président Bouteflika, 5 fois ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères, 2 fois chef du gouvernement, 4 fois député et Président de l'Assemblée nationale et Secrétaire général du FLN pendant 8 ans et 4 jours n'était en réalité qu'à la solde de la France ! Pis encore, sa famille collaborait avec la puissance coloniale. Infernal ! Qui croire bon sang ? Chacun a son avis la dessus. Le mien : c'est que lorsque on a une tête qui chauffe trop l'on attrape cette pathologie de voir le mal partout et quand on perçoit les gens se baigner on a peur de se noyer.

Mon avis est aussi celui d'un Algérien qui persiste à rugir «Tahia eldjazair» et refuse que l'histoire et les institutions ne se confondent aux personnes, ni soient entremêlées à des querelles de tranchées ou à des ardeurs de revanche. Un citoyen qui ne condamne personne et qui ne blâme aucun, il appréhende seulement beaucoup d'inquiétude sur le devenir incertain de la progéniture de ses concitoyens. Belkhadem, Saidani et Toufik envers les êtres humains desquels l'on doit respect et courtoisie, resteront tout un chacun dans sa propre petite histoire personnelle. Ils ne rempliront pas trop la mémoire collective où chacun d'eux aura tout au plus quelques octets, loin des passions du jour et des équilibres du moment. La postérité indomptable et impartiale aura également un jour à effeuiller l'éphéméride politique des dernières années et probablement les murmurera ou les négligera carrément. L'histoire prend silencieusement ses revanches. On a beau à avoir vécu des situations quasi-similaires. Les personnes ne sont plus, les faits aussi. Seuls les actes d'une noble dimension ou les paroles d'une sagesse prophétique résonnent encore. Demain, un autre jour le temps, ce facteur incorruptible, qui n'attend ni nomination, ni candidature, qui méprise les rangs, les galons et les perchoirs saura conclure ses décomptes. Quant à la biologie, elle continuera sa marche et fera inévitablement son œuvre naturelle tout en ne ratant personne. Gloire à celui qui connait ses limites.