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De l'utilité des «butins de guerre»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

L'Algérie belle et rebelle de Jughurtha à Novembre. Poèmes de Boualem Bessaïh (préface de Abdelaziz Bouteflika). Editions Anep, Alger 2004, 177 pages, 500 dinars.

En près d'une quarantaine de textes poétiques, l'auteur, connu pour sa grande culture historique doublée d'une culture politique vérifiée sur le terrain (durant la guerre de libération nationale et après, sur d'autres fronts, dont le diplomatique), a su nous plonger -et de quelle manière- dans les profondeurs de la nation... de sa naissance à sa résurrection et sa renaissance, à travers les combats de ses hommes et femmes.

En dehors du poème introductif consacré à «L'Algérie, mon pays», il a respecté la chronologie des faits, mettant en relief, à chaque étape, les images les plus fortes, celles des combattants ou celles des faits, toutes accompagnées de symboles et rythmées aux fracas des armes et aux chocs des idées.

La domination romaine avec Césarée (Cherchell) et ses statues de marbre «témoins gris et muets d'une gloire passée», les Vandales, Byzance (qui mit un terme au règne Vandale), l'Algérie musulmane, la résistance à l'occupation française (Bonaparte et la Régence d'Alger, l'Emir Abdelkader, Fatma N'Soumer, Mokrani, Bouâmama, Mohamed Belkheir, l'Emir Khaled, Ibn Badis) et, enfin, le combat décisif (du 8 mai 1945 à l'Indépendance en passant par Novembre, les août (55 et 56), les Djemilas, Sakiet, décembre 60, octobre 61). Il y a, aussi, les lieux et les villes : Alger, Oran, Tlemcen, Constantine, Ghardaia, Biskra, Batna... les Aurès, le Hoggar...

Cependant, la richesse des faits ne peut occulter la puissance du verbe. Des poèmes en vers libres puissants dignes de devenir, non, d'être «la légende d'une Nation»

L'auteur : Officier de l'ALN, docteur ès lettres et sciences humaines, diplomate, ambassadeur, plusieurs fois ministre (Information et Culture puis Affaires étrangères), parfait bilingue (arabe, français) auteur de plusieurs ouvrages littéraires et historiques. Il a aussi écrit le scénario du film à grand succès «Cheikh Bouâmama», réalisé par Benamar Bakhti.

Extraits : « Ces noms, Massinissa, Syphax, Jughurta /des monts de l'Ouarsenis à l'Aurès sauvage /du joug de l'oppresseur ont fait sonner le glas /léguant la liberté, au peuple en héritage» (p24), «Cinq juillet, même jour, deux dates dans l'Histoire /l'une de la conquête annonce le départ ( Note :5 juillet 1830) / l'autre plus souriante et chère à la mémoire /met fin à cent trente ans de sombre cauchemar (Note : 5 juillet 1962) /Ce jour-là, la justice a vaincu l'imposture... » (p 174)

Avis : Ouvrage publié à l'occasion du cinquantième anniversaire du déclenchement de la Révolution. En espérant que ce livre d' Histoire -poèmes» a (déjà) été traduit (en arabe, je n'ai pas vérifié... et désormais en tamazight) et inscrit dans la liste des lectures obligatoires des lycéens, entre autres. Avant de l'acquérir, vérifier s'il n'y a pas de pages blanches. Toujours ce satané «contrôle de qualité» du produit sorti d'usine !

Citations : «Les grands hommes ne sont pas grands parce qu'ils rapetissent les autres ; ils le sont parce qu'ils les rehaussent» (Abdelaziz Bouteflika, préface, p 11), «Ce qu'on veut imposer avec le cimetère /qu'on habille paré du manteau de la foi/c'est comme le poison dans le lait de la mère/ou comme le serpent ignoré sous le toit» (p 17), «La paix est le fruit mûr de la miséricorde» (p 18), «Mort digne plutôt que vie humilée» (p 106) , «Même rehaussé, le vil demeure vil» (p 107)

Le maîtres d'école du Constantinois, de 1850 à 1950. Dictionnaire biographique de Abderrahim Sekfali. (Casbah Editions, Alger 2016,  534 pages, 1.200 dinars.

Il a consacré 25 ans à la confection du présent ouvrage, un ouvrage qui ne paraît qu'aujourd'hui. Il est vrai qu'étant le grand lieu des contacts culturels, peut-être le plus intime, avec «l'Autre», en Algérie, l'aspect est resté le moins étudié, ignoré, banni presque, pour ne pas dire plus, c'est-à-dire condamné. Et, pourtant, il constitue la toile de fond de l'expansion culturelle européenne et de l'ouverture sur le monde ayant marqué des générations d'Algériens.

Pas beaucoup, peut-être, des privilégiés peut-être, des chanceux peut-être mais, avec le temps, un grand nombre, certainement. Les instituteurs ont constitué un groupe-charnière (dans un «côte-à côte» bien plus que dans le «face-à-face» ?) entre les communautés, avec ses humanistes et ses racistes, ses fascistes et ses nationalistes, avec ses assimilés et ses rebelles... Ce n'est pas le seul, mais c'est le groupe le plus important du point de vue numérique, participant à la fois au monde de la ville et également au monde de la campagne, alors que les autres élites (médecins, avocats... ) sont restés, pour la plupart, cantonnés dans les zones urbaines.

L'auteur a consulté la très riche documentation de l'ancienne Inspection académique de Cosntantine qui, il faut le rappeller, comprenait tout l'Est algérien, en un seul «Département» et il est allé en bien d'autres lieux.

L'auteur : Décédé en 2012 à l'âge de 70 ans. Enseignant à la faculté des sciences humaines et sociales de l'université Mentouri de Constantine. Thèse (Doctorat 3è cycle) soutenue en 1982 (Aix-Marseille) consacrée au rôle des instituteurs dans la vie politique et sociale de 1919 à 1939. Docteur ès lettres en 1993. Auteur déjà d'un ouvrage sur «Medrasat El Hayet de Jijel».

Extraits : «Les maîtres d'école en Algérie, malgré les différences, ont vécu l'une des plus grandes expériences de l'histoire mondiale de l'éducation. Le passé de l'Algérie est rédempteur dont la pierre philosophale a été constituée au cours des générations par le travail honnête, la rigueur dans l'art d'enseigner de la grande majorité des membres du corps enseignant du primaire qui ont su gagner les cœurs et les esprits» (p 10), «Certains dirigeants nationalistes de l'époque avaient saisi la stratégie de retournement possible des valeurs républicaines universelles contre le système colonial lui-même et de mise en contradiction entre système colonial et valeurs universelles «(p 16).

Avis : Une étude qui est «un hommage à ces milliers de maîtres d'école, figures très attachantes et un trésor franco-algérien méconnu pour l'heure». Une recherche-inventaire (des centaines et des centaines de bio-express dont certaines concernant les Européens ou les Algériens, sont plus qu'instructives) qui devrait se généraliser à toutes les régions du pays pour sortir enfin des généralités, des condamnations abusives et faire le tri entre le bon grain «algérien» et l'ivraie colonialiste.

Citations : «L'expérience professionnelle des maîtres d'école chevronnés constitue un facteur de réussite scolaire» (p 9) «L'historien n'a pas pour but d'accomplir un devoir de mémoire, mais d'essayer d'énoncer une parole vraie» (Benjamin Stora, préface, p 13), «L'école reste un enjeu stratégique pour l'édification d'une société libre et démocratique» (Benjamin Stora, préface, p 16).

Patrie des mots, territoire de l'intime. Entretien de Wassiny Laredj et Laura Rachell Gobbi. Editions Anep, Alger 2015, 196 pages, 600 dinars.

Wassiny Laredj, on l'a écrit et il le redit, est un homme qui n'est à l'aise que dans un territoire sans police des frontières, sans inquisition religieuse ou politique. Un territoire qui ressemble à la terre rêvée. Il est le rêve lui-même. Car, alors, il se sent bien à l'aise et en accord avec lui-même.

Il se confie à Laura et, à travers elle, au lecteur, certainement pour être mieux compris, avec des mots adaptés, qui touchent l'intime de ses fidèles... et de tous les autres. Dans le monde arabe, en Algérie, dans le monde occidental.

On sent son émotion lorsqu'il parle d'une enfance insatisfaite. C'était la guerre. Il n'a pas joui d'un père comme tout le monde. Le sien est mort au combat. Une enfance marquée... heureusement... «par une mère extraordinaire qui s'est vraiment battue pour son statut de femme et de mère de famille, s'imposant par sa générosite, son courage et son abnégation». Il y a, aussi, sa grand-mère, à l'«imaginaire fertile», racontant ses aïeux andalous fuyant l'Espagne fanatique des rois catholiques. Il lui doit son imaginaire mythique qui marque la plupart de ses œuvres littéraires.

On sent, par ailleurs, une «révolte» contenue quand il parle du monde arabe. Un monde qui aurait pu être le centre spirituel. Il faut l'entendre, avec Laura, parler de son (long) séjour d'étudiant à Damas... Damas où, avec Zineb, son épouse, ils ont «fait» leurs deux enfants. Un autre monde. Une autre vie. «Le mal arabe est tellement profond qu'on a besoin de millions de pages pour dire l'indicible, dire l'histoire cachée ou confisquée» (p 163). Il faut l'entendre, aussi, parler de l'état de la littérature et de l'écriture. Un régal pour le «critique littéraire» !

L'auteur : Né en 1954 dans la région de Tlemcen. Nomade impénitent? entre Tlemcen, Oran, Damas, Alger, Los Angeles et Paris? où, depuis 1994, il enseigne la littérature à la Sorbonne. Auteur de plusieurs romans traduits en plusieurs langues, dont le français. Il a obtenu, aussi, plusieurs prix littéraires, dont, en 2001, le Prix du roman algérien pour l'ensemble de son œuvre, en 2006, le Prix des libraires et, en 2007, le Grand prix de la littérature arabe pour «Le Livre de l'Emir». Son livre «Fleurs d'amandier» a été présenté dernièrement dans cette rubrique. Laura Gobbi, quant à elle, est une journaliste italienne.

Extraits : «La langue arabe avec laquelle j'écris essentiellement n'est plus la langue hermétique du Coran, mais un espace libre, une langue de l'amour et surtout de la modernité que notre époque et le politique superficiel ont travestie et réduite» (p 13), «La langue française dans laquelle se façonne une partie de mon imaginaire d'aujourd'hui n'est pas seulement une langue qui a presque deux siècles de présence en Algérie, c'est-à-dire une certaine légitimité, mais elle est en nous, fait partie de notre imaginaire partagé avec d'autres peuples. Elle nous propulse au-delà de la fenêtre de notre petite maison si sûre «(p 13), «La mémoire de nos jeunes d'aujourd'hui est très vide... Ils croient que le tout s'était fait comme ça sans qu'il y ait un effort au préalable... » (p 179).

Avis : Pour mieux et bien connaître Wassiny Laredj. Le comprendre aussi et surtout. Alors, on lui pardonnera tout (si on a quelque chose à lui reprocher).

Citations : «On ne naît pas écrivain, on le devient ; pour le devenir, il faut contourner toutes les embûches, comme dans les grandes fables. L'écriture est plus qu'une histoire, c'st un bonheur, un mérite» (Laura Rachell Gobbi, 8) « Les langues n'ont pas de problème de se retrouver dans un même territoire, ce sont plutôt les hommes qui se murent derrière des bétons idéologiques et identitaires » (p 12), «Le mur de Berlin est tombé, combien de murs ont vu le jour depuis ?» (p 17) «Quand la religion s'immisce dans l'amour, elle le détruit, elle l'efface et le transforme en haine » (p 169).