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Entre un parti au pouvoir et un parti de pouvoir

par El Yazid Dib

Le FLN est né pour gouverner, il est par essence un parti de pouvoir, disent les uns. Les autres affirment que c'est un parti qui exerce le pouvoir et s'habitue difficilement à le partager. Ce n'est pas parce qu'il est un parti de pouvoir qu'il est assurément au pouvoir.

Depuis son dernier congrès et malgré tous les amalgames qui l'avaient précédé, le vieux parti croit avoir redécouvert une certaine puissance à même de le replacer, sinon le réaffirmer comme première force politique du pays. Fort de ses ministres, de ses élus nationaux et de ses présences locales, il croit diriger la vie politique intérieure tel un vrai centre résolutif. Face à ses concurrents il montre la patte dure, face à ses alliés naturels il exhibe sa prédominance. Est-il en fait un grand parti ou un parti très fort ?    Il est dit qu'un parti n'est grand que par la grandeur de ses idées, de ses hommes et de sa dynamique à pouvoir changer et bouger les êtres et les choses.

Il ne l'est pas par la multitude de la foule qui l'encense. Lorsque l'exagération devance le bon sens d'unir le mythe à la réalité, le projet tardera à venir et le parti vacillera d'une rive à l'autre. En dehors d'un soutien contenu dans un pôle, rien n'est avancé comme résolution déterminante apte à éradiquer les causes d'une crise multidimensionnelle. Un parti reste fort par son action sur le destin des nations. Sa force n'est pas dans les sabres à couper les nuques opposées ou dans les prétoires par avance acquis, elle se trouve dans l'ouverture vers autrui et envers tous et dans la tolérance de l'autre.

La présence structurelle du parti semble donner entre deux échéances électorales l'impression d'une simple existence d'un néant et de l'illusion de la coquille vide. Et ce sont justement et toujours les coquilles vides qui le plus de bruit. C'est à l'orée de ces échéances que l'on aperçoit un mouvement qui agite toutes les directions partisanes et met en ébullition ceux qui se frottent les mains de pouvoir y être retenus.  

Les sénatoriales sont là et les instances lo cales bouillonnent déjà. Les législatives de 2017 sont pour demain et les profils se dessinent déjà. Toute l'assiduité, la discipline et l'obéissance sans échec de certains " militants " qui remplissent les salles, ovationnent à tue-tête chaque fois que Saadani les rassemblent ne le font que pour attirer son attention et lui exhiber leur ardentes disponibilités à servir les premières cases des futures listes électorales. Dans le temps l'utilité était indispensable pour la constitution d'un front unique capable de mener vers les bords de l'indépendance l'entière volonté populaire.

Après l'indépendance les choses se sont bousculées et ont changé la vision dans les objectifs. Le parti, se transformant en un outil collectif d'endoctrinement, s'engageait à se faire sortir de l'option politique qui devrait tendre à réunir davantage les potentialités managériales et gestionnaires.

Il faisait plus dans l'inquisition que dans la conviction politique. L'Etat se confondait dans la rigueur qu'exerçait par désignation nominative le commissaire du parti. L'administration s'appliquait et moulait ses directives dans les résolutions du parti. C'était, chemin faisant, quelque part une période au moins exaltante et fortement animée.

L'unicité du parti avait ses vertus. Et ses tares également. Elle aurait permis de garder encore intact le tissu national, sans qui la nation entière serait disloquée au gré des courants, reliquats d'une nostalgie liée à l'Algérie française. Elle allait permettre aussi d'assurer une certaine égalité sociale et bloquer toute tentative d'approfondir davantage le fossé entre les couches de la jeune société. La pauvreté était générale. Seuls quelques pions toujours en lice avec la " métropole " tiraient silencieusement profit. Ses tares n'étaient pas dans le fait actuel mais se résumaient en l'absence de projets d'ouverture une fois le pays mis en droite ligne vers le progrès envisagé. Le moindre vent de vouloir dire ou faire des choses en dehors d'un " cadre organisé " s'assimilait de facto à un acte contre-révolutionnaire. La démocratie n'avait qu'une signification occidentale et bourgeoise au moment où, l'appropriation de l'outil de travail, la justice sociale et l'égalitarisme rimaient avec la négation des classes.

L'embourgeoisement condamné à plus d'un titre sera une fois la démocratie mise sur scène, un mode apte à appâter les foules et gagner, croit-on, l'estime de la populace. Les slogans d'à bas l'impérialisme et la réaction se tairont et les vociférateurs feront la chaîne devant les consulats des pays ainsi qualifiés.

En fait de classes, elles n'avaient certes aucun statut juridique sauf que la réalité matérielle de certains pontes en disposait autrement. L'opulence ne signifiait pas un rang mercantile donné beaucoup plus qu'elle voulut signifier un état d'esprit. La division sociale n'était pas douée d'être perçue telle une expression justifiant l'option politique prise dans la théorie de la lutte des classes. La bourgeoisie d'alors se limitait à un affichage idéologique tacite et dissimulé, parfois contraire, dit-on, aux principes de la révolution populaire.

L'édification nationale formée de tâches de grandes envergures tels que le barrage vert, la transsaharienne, le volontariat dans la campagne, devait se partager par tout un chacun sans quoi les idéaux majeurs d'une révolution jeune et ferme n'auraient point eu les mérites dignes de la grandeur d'une nation à peine sortie des affres séculaires de la dépendance colonialiste. Ce fut un temps où l'engagement politique ne variait nullement de l'ardeur à pouvoir continuer la révolution autrement et sur d'autres fronts.

L'école, la rue, l'usine et tout espace de la vie active ne pouvaient être extraits à un militantisme qui ne cesse de déborder jusqu'aux fins de tous les rouages institutionnels. Le parti, victorieux en ses prestes temps se trouvait carrément cerné dans les complexités d'un système qui était obligé de s'ouvrir au multipartisme. Octobre 1988 ne fut en réalité et après décantation qu'une aubaine politique pour la résurrection du parti qui n'est plus " unique ". La notion, nouvelle à son époque, de " ressourcement " jaillissait bien chez bon nombre de militants qui allaient s'adapter à la nouvelle configuration du paysage politique qui se dessinait constitutionnellement. Par contre d'autres croyaient en un revirement de l'option socialiste et un révisionnisme avéré.

Bien ou mal opérée, cette allure dynamique n'aurait pas réussi totalement du seul fait de l'insistance farouche de l'ancienne garde. Manœuvrant à distance, les hiérarques ne lâchent pas les rennes qui les ont traînés aux sommets de la célébrité du jeune Etat. Dans la traînée de l'émancipation du parti et de ses modes d'expression, plusieurs tenants de l'idée unicitaire furent laissés au bord de l'évolution naturelle qu'exigeait une liberté d'association garantie et confirmée par la constitution qui s'en est suivie.

Pour ces gens-là, les coulisses ne sont plus utiles, pour eux plus que ne le sont les eaux troubles de ce qu'ils qualifieront de démocratie. Cette dernière était là d'abord au service de leurs intérêts, ils l'avaient apprivoisée en internant le parti dans le même esprit qui prévalait. Puis, elle aura à servir et créer de futurs personnages façonnés selon le new-model mis en vogue. C'est ainsi que l'on aurait constaté lors des élections que les combats au sein du parti du front ne s'étaient jamais inscrits dans la démarche idéologique et du débat contradictoire. Les rivalités opposaient les personnes et les groupes de personnes et non les idéaux ou les modèles de projets politiques. L'opportunisme a été mis au devant de la scène et l'on commençait à se bousculer au portillon du recrutement. Rares étaient ceux qui continuaient à s'abreuver des sources génésiaques de ce glorieux mouvement mis en marche par le peuple et pour le peuple.

Bien collectif de tous les Algériens, il ne peut se recroqueviller sur soi et ne demeurer ouvert que sur ses anciens militants ou leur parrainés. Les jeunes grouillent dans nos universités, nos cités, nos rues.

Ils doivent avoir accès tant à la structure qu'à la mémoire du parti. Ils devront savoir que ce parti avant-gardiste restera celui qui a su exalter la perception du nationalisme. Qu'il a été le déclencheur de la libération et le rédempteur pour le recouvrement de l'indépendance nationale. Si le rajeunissement est l'un des objectifs de la stratégie du renouvellement des instances, la notion n'exprime pas la réincarnation partielle des épaves à exhumer de la nécropole politique.

La lutte idéologique et la conviction avaient laissé place à celle des sièges et des privilèges. Elles n'apparaissent que sous forme de parade ; qu'autour de l'échéance de vote qui rendra, croit-on, ceux qui n'étaient que de quelconques noms communs en des hommes publics. Certains ont réussi et représentent à merveille le courant initial de ce majestueux front en l'honorant par leur prestance et leur posture politique. Le FLN continue à travers ceux-ci à avoir ses valeurs et ses compétences. Au moment où d'autres ne font que lui apporter défaveur et disgrâce. Ce sont ces personnes qui courent, appui et soutien d'ailleurs, à se faire réserver les premières loges sans pour autant en avoir la trempe et le volume nécessaires. Ils n'ont de point de mire que la magouille, les cachotteries, le parrainage politique et l'appétence inégale d'occuper le confort d'un poste qu'ils n'auraient pu avoir sans diplôme ou qualification professionnelle.

Etre un parti au pouvoir ne signifie pas avoir une majorité gouvernementale et ne se confine pas à rameuter vers soi, occasionnellement quelques membres du staff exécutif. Ceci n'est qu'aléatoire, conjoncturel et dépend d'un autre centre décisionnel prévu par la constitution. Un parti de pouvoir c'est cette réserve extraordinaire des potentialités qui affichent avec conviction une politique de gouvernement sans pour autant y être.

Le FLN ne doit pas mourir comme un double-blanc dans les mains de ceux qui n'arrivent plus à remonter à ses fondements originels. Il est capable de s'absoudre de ces clichés qui l'entachent, en convertissant démocratiquement ses modes de gouvernance. Ce n'est pas parce qu'il est un parti de pouvoir qu'il est assurément au pouvoir et qu'il fasse ainsi remplacer l'élection par la cooptation ou le centralisme démocratique par la démocratie centralisée.