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Communication politique : la «guéguerre froide» des bilans

par Belkacem Ahcene-Djaballah

«Tout gouvernement qui s'installe a, pendant un an environ, une excuse toute trouvée pour calmer l'impatient appétit de ceux qui l'ont élu, c'est le Hdgp, c'est-à-dire Héritage désastreux du gouvernement précédent » (Jean Amadou, 1999)

Cela se pratique dans tous les pays du monde démocratique. Cela s'est pratiqué chez nous?, surtout au début des années 60 (du temps du centralisme démocratique primaire) et dans les années 80 (du temps du centralisme démocratique paternaliste). Cela s'est rarement pratiqué à la fin des années 60 et durant les années 70 (du temps du centralisme autoritariste).

On pensait la pratique totalement inapplicable depuis le début des années 90 (avec la nouvelle démocratie « concentralisée »). Solidarité collective ! Respect des objectifs et des consignes venant d'en haut !... Du Chef. En cas de désaccord, « fermer sa gueule » ou? « se faire limoger », ce qui était fortement « déconseillé ».

Voilà donc qu'elle (ré-) apparaît, laissant tout le monde s'emmêler les méninges pour comprendre le pourquoi d'un comment déjà assez déroutant.

Au vu des différentes déclarations, en général au cours de points de presse menés à la va-vite, on a la nette impression qu'il n'y a plus de solidarité (ou de simple cohérence) gouvernementale. Il est vrai que les grandes chaleurs, le stress d'une gouvernance non plus basée sur l'opulence mais sur la rareté (annoncée et ressassée) des moyens? financiers, le sentiment, encore confus, qu'une époque (politique) est en train de se terminer et qu'une autre, encore insaisissable, a déjà commencé, ne sont pas des conditions idéales pour faciliter une démarche commune, concertée et coordonnée pile-poil, dans la pratique du pouvoir.

Ce n'est pas tellement la cohérence intra-gouvernementale actuelle qui est en cause, mais la cohérence (ou la continuité) avec les équipes gouvernementales qui ont précédé?, pourtant dirigés par à peu près les mêmes hommes. Pourtant, il y aurait un programme commun, celui du président de la République ainsi que des objectifs.

Par le passé, l'incohérence était visible surtout au niveau des pouvoirs intermédiaires, subalternes (les « bureaux » et les « guichets », les petits chefs et autres sous-chefs) laissant ainsi le soin au sous-grands chefs, en l'occurrence les (Premiers) ministres, d'arbitrer, de juger, de trancher, d'enfoncer ou d'encenser.

Aujourd'hui, elle est visible au niveau des responsables sectoriels eux-mêmes, chacun critiquant -indirectement et sournoisement ou clairement ou à voix feutrée- son prédécesseur, parfois tous les prédécesseurs, la politique alors menée et les résultats enregistrés? On a vu pire avec certains qui se sont mis à accuser de laxisme ou d'incompétence des personnels ayant été pourtant sous leur autorité, un bon bout de temps.

Pourquoi ?

- L'émiettement ou l'éparpillement du Pouvoir (exécutif) qui se retrouve par on ne sait quelle alchimie, sinon celle de l'usure, entre des mains multiples ou peu visibles ?

- La gravité croissante des problèmes rencontrés (surtout économiques, financiers et sociaux) face à une décroissance de la compétence (pour comprendre) et de la capacité (pour agir), créant une sorte d'angoisse paralysante ?

- Des choix hasardeux d'hommes qui répondent bien plus au hasard, à la proximité et aux amitiés qu'à la raison et la recherche de résultats en fonction des objectifs initialement tracés ?

- L'apparition, en douceur et en profondeur, de lobbies aux intérêts souvent divergents ou même étrangers les uns des autres, qui veulent, chacun, avoir un ou plusieurs représentants au niveau gouvernemental ?

- La multiplication de groupes de réflexion autonomes (vrais et faux think tanks), chacun y allant de son analyse face à l'absence de groupes institutionnels d'analyse crédibles, brouillant ainsi le paysage conceptuel ?

- La multiplication d'espaces médiatiques « libres »; les « tribunes » et les « contributions » pleuvant de partout. Et les péri-, para- ou pseudo-spécialistes et autres « doktours » tirant dans tous les coins, animent une « foire d'empoigne » idéelle; l'Université, trop longtemps mise à l'écart, restant quasi totalement absente du débat ? En raison de ses recherches encore rares et peu « visibles », ses revues mal diffusées et plus que rares et peu « lisibles » et ses communications en interne certes nombreuses mais pas assez « audibles ».

- La faiblesse des partis politiques qui ne sont pas arrivés à s'imposer, malgré une « présence » dans la sphère législative ou publique. Leurs représentants (élus ou désignés ou en attente) passent leur temps, soit à s'entre-déchirer, soit à déverser leur bile et leurs calculs dans les nouveaux médias sociaux et satellitaires ?

- Une vie associative certes foisonnante mais dominée surtout par des chercheurs de subventions financières et de soutiens administratifs ou politiques.

A qui la faute ?

- A un système politique qui n'est pas encore arrivé à organiser sa gouvernance dans le strict respect (ou avec un minimum de respect) de l'organisation constitutionnelle définie au départ?, ce qui a entraîné une suite ininterrompue de révisions (les amendements étant possibles). Donc, instabilité chronique et changements brusques de directions? et de directeurs; l'armée elle-même, institution alors réputée pourtant pour sa résistance aux maladies politiques et politiciennes, n'échappant plus à un maelström devenu presque incontrôlable (toujours aux apparences brutales? puisqu'on ne parle plus, dans la rue et dans la presse, que de « limogeages »).

- Au développement d'une mentalité politicienne et calculatrice aux dépens de l'action politique sereine et transparente, n'importe qui pouvant devenir « quelqu'un » sans passer par les étapes d'apprentissage nécessaires? car, quoi que l'on prétende, la politique est devenue un véritable métier, avec ses Ecoles et ses Maîtres. Une confusion des compétences qui a fait qu'aujourd'hui, en politique (en matière de gestion économique, l'existence du privé a changé la donne, car imposant des règles plus objectives, presque mathématiques) le plafond (le fameux « Principe de Peter », vous connaissez ? Allez sur Wikipedia !) est atteint? et on ne peut que « descendre ». Le drame, c'est qu'il n'est pas certain que les « jeunes » puissent y changer grand-chose, tout étant « bétonné »?

- A la perte du sens de l'effort et du travail?, quasi définitivement perdu, et à l'absence de la sanction (positive ou négative) après une évaluation méthodique et, surtout, opérée dans la transparence.

- A l'émergence de la stratégie émeutière (manifestations, grèves, pétitions, déclarations concertées, menaces diverses?) comme forme principale sinon unique de communication politique et sociale avec l'Autorité, avec pour seul objectif non d'expliquer ou de protester mais principalement d'imposer (des nominations, des limogeages, des avantages et/ou privilèges?).

De tout un peu, un peu de tout !

Que faire ?

Quémander la baraka des Sages et des Saints, s'il en existe encore?, car, là aussi, la confrérie a subi, en raison de zaouïate et de Chouioukh « préfabriquées » (dont des amuseurs publics comme certains chanteurs), bien des dégâts.

Et espérer que le prix du pétrole redémarre en hausse au plus tôt.