Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Observatoire du Service public, pour quoi faire ?

par Cherif Ali

Pour le commun des citoyens, l'administration, en l'état, reste un labyrinthe de ruelles sinueuses, emmêlées, tortueuses, où il ne fait que se heurter à des difficultés d'accueil, au manque d'information, à la complexité des procédures, à l'inertie des responsables, à l'impéritie des agents et, pour couronner le tout, à l'abus d'autorité et l'inapplication du droit.

Ce n'est pas, bien évidemment, une tare spécifiquement algérienne car, réellement, quelle est cette société qui peut se vanter d'avoir une administration parfaite ? Partout dans le monde, les relations administration-citoyens se caractérisent pas des hauts et des bas, mais le plus significatif, c'est la régularité de la courbe: elle ne doit pas traduire un état de mauvaises relations.

Evoquer ces mauvaises relations, ce n'est pas faire le procès des services publics; cela signifie tout simplement qu'il faut mettre le doigt sur une réalité amère, vécue par le commun des Algériens, difficilement évitable, produit normal de tout appareil bureaucratique: l'administration fonctionne mal, au point où, parfois, elle dessert plus qu'elle ne sert !

En théorie, elle est supposée être au service de l'intérêt général, soucieuse du respect du droit, n'ayant pour buts que ceux consistant à remplir, convenablement, les missions qu'on lui assigne, notamment les missions de service public. Dans la réalité, l'administré qui se présente à elle a l'impression d'être livré à son propre sort ou, pis encore, d'être l'intrus qui dérange les responsables «qui n'ont pas que ça à faire, c'est-à-dire se préoccuper de lui et de son devenir !».

Et, quand quelqu'un daigne enfin l'écouter, il doit, au mieux, administré qu'il est, improviser un bref exposé afin de justifier sa présence dans les couloirs de l'administration. Dans ce cas précis, il n'est pas à l'abri d'entendre une réponse lui signifiant «de revenir plus tard». En réaction, l'administré peste contre l'Etat; il se trompe de cible, en réalité, c'est à l'administration qu'il a eu à faire et d'où il est reparti bredouille !

Ceci étant dit, on présente, toujours, l'administration comme le bras de l'Etat, mais on ne doit pas perdre de vue que c'est un bras qui dispose, en réalité, d'une autonomie voisine de l'indépendance. En plus, l'administration, c'est la réglementation appliquée dans toute sa rigueur; l'administré, quant à lui, est censé ne pas ignorer la loi. D'ailleurs, tous les textes juridiques, du plus important à la simple circulaire, sont élaborés, pensés, réfléchis et discutés dans les sphères de l'administration et ne peuvent, conséquemment, échapper aux avis, observations et amendements de celle-ci, avant d'arriver à leur approbation. L'administration est omnipotente et omniprésente, dans la vie du citoyen, dans la vie tout court. Elle reste incontournable et les services publics qu'elle assure représentent l'essentiel.

En parlant des services publics, s'ils ont une raison d'être, c'est bien sûr, celle consistant, majoritairement, à fournir des prestations aux citoyens mais lorsque celles-ci présentent des défaillances, elles deviennent, fatalement, un ensemble de désagréments et surtout d'illusions pour eux. Conséquemment, un mur d'incompréhension s'installe entre l'administration et les administrés et le fossé se creuse davantage; il en est de même de la confiance qui s'effrite. La contestation s'installe forcément. On demande le départ des élus, on conteste les walis. On ne veut plus de cette administration fondée sur l'autoritarisme, sur le repli, le clientélisme et où s'entremêlent des notions confuses d'intérêt général, intérêt public, ordre public ou intérêt du service. L'administration, depuis 1962, continue d'apparaître comme opaque, énigmatique et inhumaine pour les administrés. Elle leur est, de leur point de vue, injuste, contrairement à ceux, une minorité, «qui ont leurs entrées», et qui par des pratiques condamnables, faut-il le rappeler, arrivent à tous les coups à se faire entendre et à concrétiser leurs demandes, dont certaines sont à la limite de la légalité.

Là, il faut le dire et le dénoncer: qu'un responsable sait qu'il peut, en toute impunité, défier la règle de droit pour lui supplanter ses propos critères et apporter à ses connaissances «son petit coup de pouce» est tout simplement intolérable, mais malheureusement usité dans l'administration telle qu'elle est pratiquée dans nos contrées d'ici-bas. Et n'importe quel citoyen peut citer une foultitude d'exemples du genre, pour accréditer cette affirmation et justifier son désamour de l'administration. Il va sans dire que cette façon de faire est, heureusement, circonscrite à quelques cas et qu'elle ne concerne pas toute l'administration, encore moins l'ensemble des agents qui y officient.

Mais le danger est là. L'Etat peut décider des projets les plus ambitieux, donner les instructions les plus louables, signer les textes les plus audacieux et se rendre compte que son appareil d'exécution est atteint de paralysie, de bureaucratie, et ne répond pas aux objectifs assignés.

Que faut-il faire en pareil cas ?

1. Décider de déplacer les responsables, en nommer d'autres plus compétents, oui, peut-être.

2. Faire tourner les agents plus ou moins confrontés à ces risques, les permuter, peut constituer une solution.

3. Se refuser à admettre de telles situations, qui, comme affirmé supra, concernent peut-être des cas isolés, et dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, c'est quelque part vouer à l'échec toute volonté de progresser. Et quand bien même il n'existerait que quelques cas rares, il faut se garder de les qualifier d'insignifiants. On doit, au contraire, les considérer comme une tumeur qui risque de gangréner, à terme, tout l'appareil administratif.

4. Ou alors, annoncer, comme vient de le faire Noureddine Bedoui, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, la mise en place prochaine d'un «Observatoire du Service public», avec pour but l'identification des zones de tension entre l'administration et les usagers. Quand on sait l'inutilité de l'autorité en charge de la lutte contre la corruption, on est en droit de douter de l'efficacité d'un tel observatoire, surtout s'il n'est pas indépendant des institutions et qu'il n'implique pas la société civile !

On ne doit pas amplifier, outre mesure, le sujet de la bureaucratie, par exemple, au point de le noyer dans l'immense problématique de la réforme du service public, concept encore à la recherche de sa propre définition. La solution ne doit pas consister dans la création d'un observatoire du service public, budgétivore, inutile, qui ne servirait qu'à recycler un personnel en panne d'idées. Et puis que peut faire cette structure dans l'immédiat, sachant, comme l'expérience l'a démontré, que le mauvais accueil de l'administré, le manque de transparence des décisions administratives?, en un mot, tous ces aspects négatifs ne nécessitent ni lois, ni décrets, ni des réformes décidées à partir du palais du gouvernement, pour être supprimés ou tout au moins atténués. Encore moins, des recommandations d'un quelconque observatoire, consignées dans un rapport qui échouera dans un obscur tiroir d'un quelconque responsable !

Ce qu'on peut faire dans l'immédiat consiste, pour chaque département ministériel, à recenser, à travers une structure ad-hoc, tout ce qui préjudicie aux relations administration-citoyens dans le but de leur amélioration et leur perfectionnement; cette structure pourrait fixer des délais raisonnables pour le traitement des dossiers, améliorer les prestations aux usagers, simplifier les procédures, éviter celles qui sont inutiles, réduire les pièces du dossier, affecter la ressource humaine qu'il faut, là où il faut.

De plus, et dans la mesure où les réformes exigées pour améliorer les services publics dans le secteur de la santé publique ne sont pas les mêmes que celles exigées dans celui des travaux publics, des transports, ou des impôts, chaque ministère doit chercher l'amélioration de ses propres services, sans attendre la réforme de l'administration dans son ensemble ou plus encore, ce qui va émaner comme «mesures novatrices» de l'Observatoire du Service public, si l'idée de sa création est maintenue. Le ministre des Finances va, certainement, «s'arracher les cheveux» au regard de la pléthore des observatoires qui alourdissent sa nomenclature et dont l'efficacité, disons-le, reste sujette à caution. Même Mihoubi, le ministre de la Culture, veut son observatoire pour «coiffer» les musées, a-t-il affirmé !

En clair, ce que désire le citoyen, ce n'est pas tant un observatoire, fut-il celui du Service public, mais une administration, centrale et locale, respectueuse du droit, transparente, humaine. Une administration efficace, comme celle qui va éviter à l'administré des déplacements dans sa commune d'origine pour se faire établir «un acte de naissance authentifié», qui a pris l'appellation définitive de «S12» et que le citoyen se fait établir dans n'importe quelle APC !

Le citoyen l'a rêvé, si Yazid Zerhouni, en son temps, l'a fait et les deux ministres qui lui ont succédé, se sont même partagé les dividendes du passeport biométrique dont il a pensé le moindre détail ! C'est ça la continuité de l'Etat et c'est tout aussi bien, car ça vaut tous les discours ! Ce grand commis de l'Etat qui avait investi, également, sur la ressource humaine et la formation des élus, n'avait de cesse de leur recommander de «se mettre au diapason des nouvelles technologies de l'information et de la communication pour se rapprocher, davantage, des citoyens et aussi de se doter de tous les moyens leur permettant de se mettre à l'ère numérique». Il avait fait de la «démocratie participative» un axe fort de sa politique locale; «nous devons passer de la démocratie représentative à la démocratie participative», a-t-il déclaré aux maires, y compris ceux étiquetés «FFS» réticents au départ, qu'il avait regroupés lors d'un séminaire régional de formation en 2008.

Le chemin est maintenant balisé pour le ministère de l'Intérieur et les walis: il faut «donner la part belle» au dialogue pour faire émerger une véritable «citoyenneté» dans le pays ! Aux citoyens de s'organiser, en conséquence, et de contribuer à l'émergence d'un sens de l'intérêt commun. Il faut en finir avec la notion du «beylik» ! L'Algérien doit prendre conscience de ce que «citoyen» signifie, et des responsabilités et des devoirs qui lui incombent. Ceci est un prérequis pour tout changement qualitatif de l'administration locale notamment, celle que le ministre Bedoui connaît «sur le bout des doigts», qui doit être, conséquemment, à l'écoute de la société civile pour lui fournir aide et assistance et lui donner la place qu'elle mérite. A ses côtés !

Pour en finir d'un mot sur l'administration, arrêtons-nous sur cette image de l'administration publique qui est présentée, à tort ou à raison, comme «le premier parti du pays» !

Les tenants de cette affirmation, par calcul politique ou politicien, avancent cette théorie pour justifier leur positionnement, au motif de «l'administration qui roulerait pour le pouvoir». Cette dernière s'en défend et se fait fort de le prouver, réaffirmant sans cesse les principes d'équité et de neutralité qui président à son action. Il faut lui en donner acte, même s'il est temps pour elle de passer à la transparence et de s'ouvrir à la société civile. De nos jours, le citoyen ne demande pas qu'on lui règle ses problèmes, quoique. Ce qu'il veut, c'est qu'on le laisse libre de participer à leur résolution et la société ne s'en porterait que mieux !