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Le baril de pétrole à 40 $ US. Que faire ?

par Driss El Mejdoub

Ce que les experts prévoyaient suffisamment à l'avance arrive. Mais l'expertise n'est hélas appréciée qu'avec différé. Le politique supplante souvent l'économique.

A l'heure où le coût du baril à 115 $ s'engageait dans sa dégringolade pour atteindre en l'espace de 20 mois une perte de 57 % de sa valeur, le discours promettait dans sa logique modale une croissance économique de l'ordre de 7 % et la création de 100.000 emplois. Quelle autosatisfaction ! Par son seul discours il réduirait le taux de chômage de presque un point et augmenterait la croissance de 4 points.

C'est merveilleux ! Mais il n'annonçait pas comment ? Cette promesse n'émanait ni du Premier ministre, ni du ministre de l'Economie que nous n'avons pas, ni du ministre de l'Emploi. C'était la déclaration du candidat unique à la présidence du FCE devant un parterre où un bon nombre de membres de Gouvernement lui faisaient par leur présence bonne audience. C'est entre autres un engagement par écrit dans le rapport qu'il aurait remis au Premier ministre. Et pourtant, depuis le 27 novembre 2014 le chômage stagne autour de 10 % avec plus de 1 200.000 chômeurs alors que la croissance est passée à moins de 4,1 %..         

L'Algérie fait plutôt toujours face à la baisse progressive du Produit national. Elle réagit comme surprise dans la conduite de son développement économique. Surprenante attitude compte tenu que la situation actuelle était prévue depuis plus de trois ans par les experts nationaux versés dans le rôle, l'analyse et la prospective pour prévenir le pouvoir public et les gouvernants de la micro- et macroéconomie. Eux prêchaient en scène libre. Le temps, trois ans, a confirmé leurs prévisions. En économie prévisionnelle trois années c'est beaucoup.

C'est déjà le moyen terme. Les menaces visant le mouvement économique national face aux crises financières externes étaient annoncées et correctement annoncées. La seule motivation de nos observateurs nationaux, professionnellement outillés, concernés par l'évaluation dynamique de notre croissance n'était que d'alerter sur le risque prévisible et sur la méthodologie à faire mettre au service des tenants de la décision. C'était porter l'inquiétude sur le registre managérial de la finance nationale. En réaction, les motivations des uns et des autres faisaient développer l'information affirmant que la situation financière nationale n'était aucunement concernée et que les programmations financières mettaient notre économie à l'abri de l'inquiétude exprimée.

Ils déclaraient que l'Algérie n'était pas dans une situation de vulnérabilité.

Ils indexaient la notion de vulnérabilité sur la crise dite « prime time » mais occultaient les menaces relatives au revenu national. Un discours : « ?la prudence s'est avérée d'intérêt général? » (BCA). « L'Algérie avait un faible taux d'endettement? » (BCA). « Il n y a pas le feu » (ex 1er Argentier) ? Comme quoi un désendettement engagé en 2004 expliquerait la protection de l'Algérie d'une éventuelle panne économique et financière en 2015. Mais la logique de la vulnérabilité de la finance de l'Algérie est de s'être rendue, durant plus de cinquante années, annexée au revenu pétrolier.        Cette addiction aux revenus d'hydrocarbures fait de la dynamique de notre développement économique une dynamique structurée en pannes cycliques. La dernière trouvaille est que l'Algérie ?va recouvrer graduellement le niveau de ses entrées en devises». Comment ?    Par la mise en production des nouvelles découvertes en 2013. C'est augmenter la production quotidienne du nombre de barils. C'est dire que le revenu national exclut la valeur ajoutée des opérateurs économiques résidents et non résidents. Un tel concept rejoint celui de l'Arabie saoudite qui est à l'origine de la dynamique baissière du coût du baril. Mais le problème de l'instant n'est pas celui de l'exploitation des nouveaux gisements.

C'est celui du coût du baril qui baisse et des mesures internes et externes à prendre à cet effet. C'est le comment et où agir pour réduire la production quotidienne en espérant freiner la course baissière du coût du baril ? Mais même à 10 dollars le baril avec une mise en production de tous les gisements pétroliers d'Algérie, anciens et nouveaux, cela relève de la règle de la facilité. C'est projeter la mise en péril de toutes les ambitions économiques et politiques projetées régionalement par l'Algérie. Aujourd'hui le baril de pétrole est à 49 dollars US.

La Banque mondiale le situe dans ses prévisions, à moins de 40 dollars US dès 2016, c'est-à-dire dans cinq à six mois. Mais c'est demain. Qu'est devenue la mission de l'OPEP ? Le ministre algérien de l'Energie affirme : « Cette organisation (OPEP) a été créée pour pouvoir, selon ses statuts, sauvegarder les intérêts individuels et collectifs de ses membres? ». Ne sommes-nous pas un membre de l'OPEP ? Le constat est que l'OPEP semble devenue un pouvoir externalisé de l'Arabie saoudite. Alors quoi faire ? Faut-il continuer à « ? travailler dans le cadre d'un Consensus à l'intérieur de l'OPEP? » ? Alors qu'il affirme plus loin « ? que la réduction de la production par l'OPEP ne peut pas garantir réellement le retour à la stabilité du marché ? . » Le contexte économique, financier et politique dans le monde a certainement changé. Les rapports de force au sein de l'OPEP ont subi ces changements.

L'Algérie avec ses 4 % de la production de l'OPEP savait être écoutée. Est-elle devenue un membre sans voix et sans influence aucune au sein de l'OPEP ? Il faut se rendre à l'évidence que la solution ne viendra pas de l'OPEP.. Les mesures à faire prendre au développement économique sont donc internes.

La réaction vient à travers une loi des finances complémentaire. Encore une ! Elle décrète une croissance hors hydrocarbure de 5,1 % au lieu de 4,2 %. (loi de finances 2015). Mais c'est la même qu'en 2014 (5,1 %).

Comment si le gisement des opérateurs économiques reste le même? La prévision du FMI arrête la croissance hors hydrocarbure à 4,8 % en 2015. Mais c'est en révisant les différents impôts et taxes que l'Algérie projette résoudre le problème du revenu national., l'IBS ne sera plus fixe (23%) mais oscillera entre 19 et 26%, la TAP variera sur quatre paliers, 1 % , 1,5% , 2 % et 3 % selon l'activité. Les recettes d'hydrocarbures prévues à 68 milliards de dollars US (loi de finances 2015) sont revues à la baisse, soit 34 milliards de dollars US. Les recettes budgétaires passeront à 4 953 md (au lieu 4 710,6 md) et les dépenses budgétaires passeront à 7588 md DA( au lieu 7 692 md DA). Enfin la LFC annonce un déficit global de 647 milliards de DA. L'annonce de la LFC 2015 reste un exercice comptable traduisant les comportements prévisionnels attendus de l'exercice économique national. Elle ne résout pas le problème. La meilleure démonstration est la chute de la fiscalité de 28 % avérée au premier trimestre 2015 ; elle est de 570 milliards de DA alors que pour la même période 2014 elle était de 793 milliards de DA.

Le problème est celui du revenu national assiette de toutes ces dispositions fiscales mais qui a chuté. Et quel est le mécanisme opérationnel de substitution à mettre en œuvre ? Alors que les déficits financiers de l'action publique sont imputés sur le fonds de régulation des recettes, celui-ci semble muter sa mission vers les financements de la paix sociale et des infrastructures budgétairement dotées..

L'Etat ou le Trésor public ne sont ni l'un ni l'autre un opérateur industriel ou commercial. Le vrai problème est celui du plan directeur cohérent du développement économique, de la mobilisation et de l'incitation de l'opérateur créateur de la valeur ajoutée. Un marché porteur de près de 40 millions de consommateurs existe. Est-ce à la mission de la LFC 2015 d'aller vers ce marché? Qu'en est-il du capital financier non étatique et non mobilisé ? Qu'en est-il de la base industrielle qui a déserté son marché et sa raison d'être pour se reconvertir en demandeur cyclique des apports de l'Etat ? Qu'en est-il de la rationalisation et de la diversification industrielle en adéquation avec la synergie existante ? Qu'en est-il de la mobilisation et de la motivation de l'expertise et de la ressource humaine qualifiée existantes ? Qu'en est-il des 1200 ou 1400 km de littoral dont l'exploitation normée et diversifiée serait en mesure non seulement de créer des centaines de milliers d'emplois mais de compenser le déficit des ressources pétrolières ? Qu'en est-il de l'adaptation des structures de formations universitaires et professionnelles disponibles et largement réparties sur l'immensité du territoire ? Qu'en est-il de l'atout géographique de l'Algérie face à l'Europe et rayonnant sur le marché africain (six frontières terrestres) ? Qu'en est-il du réseau des télécommunications et des TIC ?

Qu'en est-il de la distribution énergétique et de sa disponibilité sur tout le territoire ? Tous ces axes contribuant au développement doivent faire dans l'adaptation au service de la croissance. C'est sur ces grands axes générateurs de croissance que l'anticipation est plus que requise. Il est vrai qu'agir sur ces paramètres fondamentaux nécessaires à la croissance et au ressourcement du Trésor public ne relève pas du seul département du premier Argentier du pays et de la LFC 2014.

Divers systèmes économiques ont été expérimentés en Algérie. Le temps de l'expérience est passé.. « La connaissance s'acquiert par l'expérience, tout le reste n'est que de l'information », disait Einstein. Il ne s'agit plus de prudence mais d'évaluation de la menace des financements de notre développement. L'Algérie n'est plus à l'ère des excédents de recettes pétrolières. Que l'ingénierie économique et financière nationale ne soit pas défaillante. La création de l'emploi ainsi que la croissance doivent être promus par la diversification de l'investissement national autre qu'étatique.

La faisabilité économique nationale refuserait-elle de se rendre à l'évidence, de se remettre en cause pour inscrire en temps réel la révision des priorités de ses réalisations et le réexamen des subventions et transferts sociaux directs et indirects ainsi que les affectations budgétaires ? N'est-elle pas en mesure de redéfinir les droits et obligations de l'investisseur ainsi que son devoir d'insertion dans le schéma synergétique industriel existant ? Les responsabilités du temple des lois sont engagées. Elles doivent distinguer l'aptitude de l'investisseur créateur de richesses de celle de l'investisseur attentiste et accapareur. Elles doivent consacrer l'éthique de l'opérateur économique. Que l'investisseur se hisse au niveau de l'envergure qu'il se donne et matérialise le discours féerique qu'il projette devant le pouvoir politique. Qu'il se déleste de cette complainte permanente qui laisse croire qu'il est le sauveteur attendu du peuple. La puissance financière de l'Etat s'appuie sur l'aptitude et l'éthique des investisseurs créateurs de richesse et non pas l'inverse.

L'Algérie est une jeune république et son espace économique est relativement vierge. C'est la résultante pluri-vectorielle et incitative de croissance qu'il faudrait intégrer dans un plan cohérent de son développement. Avec son expérience facturée à des milliards de dollars US, l'Algérie n'a pas le droit de rater son émergence économique.