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Le navire UMP : le Titanic sans même l'iceberg

par Pierre Morville

L'UMP décomplexée n'a même pas eu besoin de rencontrer un iceberg, ce parti organise son sabordement tout seul.

Au grand bénéfice de Marine Le Pen? Titanic, Radeau de la Méduse? les évocations du naufrage se multiplient dans la presse.

Devant l'interminable feuilleton « UMP, ton univers impitoyable » comme avait joliment rebondi une « Une » de Libération, on fait alterner les grands éclats de rire, les rires un peu nerveux et les moments de franche consternation. Rassurez-vous, le fou-rire domine. Ce qui n'enlève pas la perplexité. Depuis trois semaines, on assiste en effet au long sabordage du principal parti de droite, un long suicide en direct. Non pas la semi-tentative qui est souvent un appel au secours. Non ! La vraie autodestruction, le massacre en direct, réfléchi, minutieux, systématique, impitoyable. Résumé rapide: après l'échec de la médiation d'Alain Juppé, ancien 1er ministre et surtout fondateur de l'UMP, Jean-François Copé a annoncé pour la troisième fois, qu'une commission des conflits de l'UMP l'avait sacralisé Président de l'UMP. Réponse du clan rival : les Fillionistes organisent la sécession dans les groupes parlementaires: les députés et les sénateurs proches de François Fillon quitte les rangs de la vieille maison et organisent leur propre groupe à l'Assemblée nationale et au Sénat. Tout en gardant l'étiquette «UMP», «Rassemblement UMP», c'est LE RUMP NEW WAVE?

François Fillon réclame un nouveau vote des adhérents et n'en démords pas. Jean-François Copé, visiblement sous la pression de Nicolas Sarkozy de retour de Chine (et de Bordeaux où il a évité de peu une mise en examen), a consenti quelques heures à organiser ? Ecoutez bien ? un referendum auprès des 300 000 adhérents de l'UMP, pour savoir s'il fallait ou pas organiser un nouveau vote pour réélire le président de l'UMP!

Depuis trois jours, les deux comiques se sont longuement rencontrés, sans avoir trouvé un compromis sérieux à cette heure. La guerre est repartie. Sarkozy, pas plus que Juppé, n'a pas réussi à calmer les deux petits voyous! On a beau recherché dans toutes les références de bandes dessinées, on n'a pas trouvé un scénario d'une telle richesse et avec de tels rebondissements. A quand les excommunications, les procès en sorcellerie et les jolis bûchers ?

EGORGEONS LA POULE AUX ?UFS D'OR !

Même les journalistes politiques, éditorialistes et experts en tous genres, qui commentent avec autorité l »actualité à longueur de journée et de nuit sur les chaînes d'information continue, commencent à avoir un peu de mal à expliquer la situation ubuesque dans laquelle s'est enfermée la droite française. Et Dieu sait qu'il en faut beaucoup pour déstabiliser un journaliste politique ou un chroniqueur (de Paris !) qui a, par définition, 150 000 explications à tout événement, pourvu que celui-ci ait déjà eu lieu. Pour les prévisions, c'est beaucoup plus compliqué? Mais les spécialistes ne parviennent pas aujourd'hui à comprendre les motivations et les objectifs des deux protagonistes. La première explication de cet affrontement stérile se trouve évidemment dans le choc de deux ambitions personnelles. Pour Copé comme pour Fillon, conquérir la présidence du principal parti d'opposition est la meilleure garantie pour remporter les élections « primaires » par lesquelles les citoyens français pourront désigner en 2015 le meilleur candidat potentiel de l'UMP à l'élection présidentielle de 2017.

Qui contrôle le parti, ses finances, ses rouages, bénéficie du pouvoir de désigner les candidats aux différentes élections locales, nationales ou européennes, dispose des finances et de connexions dans les milieux d'affaires, contacts toujours confortables. Il est peu de dire qu'entre les milieux d'affaires et l'UMP, les relations sont historiquement très fraternelles?

Mais pourquoi, alors, tuer la poule partidaire aux œufs d'or ? Sauf à vouloir renforcer le Front national de Marine le Pen? L'affrontement des ego de Jean-François Copé et de François Fillon, est d'autant plus dérisoire que les deux roquets viennent de louper et définitivement devant un large public, le test du « présidentiable » sérieux. Il faut chercher d'autres raisons à cette grande autodestruction de la principale formation de la droite française qui reste par ailleurs à ce jour, le seul réel parti d'alternance dans le cadre actuel de la démocratie française. Souvent le porte-voix des milieux d'affaires, l'UMP ne peut se réduire à cette petite dimension « ploutocratique » (qu'elle partage, hélas, avec d'autres formations diverses sur l'échiquier) et elle reste une composante essentielle du débat républicain en France.

L'UMP A PERDU TOUTES LES ELECTIONS, ET MEME SON SCRUTIN INTERNE

Si l'on regarde les deux « programmes » des deux rivaux, Copé et Fillon, ils étaient à peu de choses près, quasiment identiques. L'explication du « Radeau de la Méduse » se trouve donc ailleurs. Avançons trois pistes :

- L'UMP : L'Union pour un mouvement populaire (UMP) avait le projet d'être un parti politique de la droite et du centre. Curieusement, il fut nommé à sa création « Union pour la majorité présidentielle » en vue de soutenir la candidature du président Jacques Chirac à sa propre succession en 2002. Alain Juppé en fut le parrain. Regroupant les gaullistes du RPR et le groupe de droite classique « Démocratie libérale, » rejoint en juin 2002 par deux tiers des députés de l'Union pour la démocratie française (UDF), l'UMP cherche à sa création à être un rassemblement de tendances gaullistes, centristes, libérales et conservatrices. Elle soutient Jacques Chirac et ses différents Gouvernements de 2002 à 2007, puis Nicolas Sarkozy lors de son accession à la présidence de la République en 2007 et pendant son mandat présidentiel. L'UMP compte, au 18 novembre 2012, 324 945 adhérents à jour de cotisation, et se revendique comme la première force politique du pays en nombre d'adhérents et la deuxième en nombre d'élus. Il reste, avant ces événements calamiteux, le principal parti d'opposition au gouvernement actuel socialiste. La machine a-t-elle bien fonctionné ? Oui et non. Oui, côté élection présidentielle assurant à Jacques Chirac sa réélection et à Sarkozy, son accession à l'Elysée. Pour le reste, la machine UMP a perdu toutes les élections intermédiaires : mairies, conseils généraux, consuls régionaux, européennes, Sénat, Assemblée nationale, la dernière présidentielle et jusqu'à l'organisation de ses propres élections internes ! Tant d'échecs montrent qu'il y a quelque part un réel dysfonctionnement organique. L'union tant vantée de toutes les droites ne fonctionne pas si bien que cela sur le terrain.

- Le clivage droite-gauche : ce vieux référent est un pur produit made in France.

« L'origine historique de ce clivage se trouve dans la position géographique des différents partis politiques dans l'assemblée nationale d'août-septembre 1789. Lors d'un débat sur le poids de l'autorité royale face au pouvoir de l'assemblée populaire dans la future constitution, les députés partisans du veto royal (majoritairement ceux de l'aristocratie et du clergé) se regroupèrent à droite du président (position liée à l'habitude des places d'honneurs). Au contraire, les opposants à ce veto se rassemblèrent à gauche sous l'étiquette de «patriotes» (majoritairement le Tiers état). Après la Révolution, ce clivage s'est institué dans la culture politique des systèmes d'assemblée, même si d'autres groupes antagonistes émergèrent, tels les « montagnards » proches des tribunes du peuple, et la « plaine».      Au XIXème siècle, elle s'est étendue à l'Europe et, en 1830, à l'Amérique du Sud sous l'influence révolutionnaire, puis durant les XIXème et XXème siècles, aux pays décolonisés. » (Wikipedia).

L'ULTRALIBERALISME ECONOMIQUE EN QUESTION

La notion de droite et de gauche est bouleversée par le grand vent de la mondialisation et de l'hyper-libéralisme financier, par ailleurs catastrophique dans ses derniers excès : la Chine par exemple, est-elle de gauche ? La droite française qui hérite d'un double héritage contradictoire, libéral, «le marché peut tout, il doit être totalement libéré », bonapartiste, «l'état doit tout réglementer» a un peu de mal à se situer idéologiquement face à cette profonde crise économique qui semble secouer les fondements même de l'économie de marché.

Paradoxalement, le vieux discours keynésien de la gauche paraît plus cohérent, même si le PS organise aujourd'hui un redressement bâti sur beaucoup de rigueur et d'austérité !

- « La France, la France? », comme le scandait le Général de Gaulle, est un vieux et grand machin qui tient beaucoup à quelques notions et surtout parmi l'une d'entre elles, la « Nation », fortement bouleversée par l'idée d'un fédéralisme européen et par un capitalisme sans frontières.

La droite française est plus sensible à cette thématique qu'on y croit. C'est le cas à gauche également. Comment croire en période de crise économique sévère, à une construction européenne quand l'Angleterre menace tous les jours de quitter l'UE et que l'Allemagne se comporte comme si elle bénéficiait d'un mandat d'autorité sur un bloc d'économies européennes jugées « assistées » ? On peut croire à une grande Europe fédérale mais la façon dont elle se construit aujourd'hui produit en France des grincements de dents à droite comme à gauche.

Enfin, l'UMP semblait avoir bien avalé son échec aux élections présidentielles, comme si la victoire de François Hollande avait été un accident de l'histoire. Elle n'a pas encore tiré le bilan de ses échecs répétés : « Il y a eu dans cette campagne, d'un côté les malversations de Copé, et de l'autre la naïveté de Fillon. Mais le problème, c'est Sarkozy. Nous avons eu du mal à reconnaître notre défaite et nous le payons aujourd'hui » commente Roselyne Bachelot et ex-Ministre de la Santé, citée par le Canard enchaîné.

LA FRANCE A VOTE POUR LA PALESTINE

François Hollande en profite. Le chef de l'exécutif français pilote dans un contexte particulièrement difficile mais il se montre parfois très hésitant sur la conduite à tenir.          

Il peut soupirer d'aise, il n'aura plus d'opposition audible pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois ! Cela ne doit pas lui faire oublier ses promesses électorales. Proposition 59 des 60 engagements du candidat François Hollande : « je prendrai des initiatives pour favoriser, par de nouvelles négociations, la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine. Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l'Etat palestinien. ». La semaine dernière, après quelques semaines d'hésitation, la France a voté pour l'adhésion officielle de la Palestine à l'ONU, certes, sous la bizarre appellation «d'état non membre». Au dernier pointage, sept pays européens dont la France et l'Espagne ont voté pour les Palestiniens, les autres menés par l'Allemagne et la Grande-Bretagne se sont abstenus.

La décision tardive de la France est néanmoins d'autant plus bienvenue qu'elle succède à une réception très amicale en France de Benyamin Netanyahou à la fin octobre, précédant de quelques jours la dernière intervention militaire israélienne contre la Bande de Gaza. Quant à cette affaire, sous forte pression américaine, une trêve a été décrétée et l'ensemble de l'opération apporte des résultats pour le moins contrastés.

Le Hamas, pourtant extrêmement aventuriste, semble en sortir renforcé au détriment de Mahmoud Abbas et de l'OLP. Mohamed Morsi, le président égyptien, a réussi une très belle opération de médiation entre les belligérants. Mais auréolé de ce succès diplomatique, il en a immédiatement profité pour opérer dans son pays un petit putsch politique lui assurant un peu plus les pleins pouvoirs : une « déclaration constitutionnelle » le place dorénavant au-dessus du pouvoir judiciaire?    

Ce qui met très en colère le peuple égyptien. Benjamin Netanyahou qui vient d'annoncer de nouvelles occupations de territoires en Palestine, se trouve débordé en Israël par sa propre extrême droite qui le juge trop mou ! Ce qui prouve qu'une fois de plus dans ce monde, le pire est toujours imaginable.