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La Palestine à l'ONU, une bonne nouvelle ?

par Brahim Senouci

La Palestine vient donc d'être admise à l'ONU en qualité d' «Etat observateur non membre», à une large majorité des deux tiers des pays représentés. Beaucoup de médias occidentaux ont pour la plupart accueilli l'événement avec une empathie apparente et s'accordent à lui conférer une dimension historique.

La Palestine a été le théâtre de scènes de liesse à au moment de la proclamation du résultat du vote. A la faveur d'un suspense savamment entretenu, l'opinion a pu à bon droit penser que l'issue du scrutin était incertaine alors qu'elle n'a jamais fait de doute !

QUELLE EST L'IMPORTANCE REELLE DE L'EVENEMENT ?

Le statut de la Palestine à l'ONU est désormais identique à celui du Vatican (le Vatican, combien de divisions ? s'exclamait Staline en son temps). Il faut noter que la présence de la Palestine à l'ONU ne date pas de ce 29 novembre. Elle y était représentée depuis 1974 par? l'OLP qui bénéficiait, bénéficie jusqu'à ce jour, d'une invitation permanente à «participer en qualité d'observateur aux sessions et aux travaux de l'Assemblée Générale et bénéficie d'un bureau permanent au siège de l'ONU».L'OLP peut également participer aux sessions et aux travaux de l'Assemblée Générale et des conférences internationales, présenter des motions sur les questions relatives à la Palestine et au Proche-Orient mais n'a pas le droit de vote. C'est à peu près exactement le statut dont bénéficie l'Etat Palestinien...

 Le projet de résolution présenté à l'Assemblée Générale portait en son point 2 une clause assurant que l'OLP demeurait le représentant unique du peuple palestinien et demandant que son rôle aux Nations Unies soit préservé. Ainsi, il y aurait à dater de ce jour, non pas un mais deux sièges d'observateurs pour la Palestine ! J'ose espérer que les Palestiniens ne sont pas naïfs au point d'espérer que cette situation peut durer longtemps. Quoi qu'ils en disent, la majorité des spécialistes du droit international pensent qu'il y aura substitution. Cela veut dire en clair qu'à terme, l'OLP sera invitée à quitter la place. Les conséquences seront graves. En admettant que des pouvoirs «réels» s'attachent au nouveau statut de l'Etat de Palestine, ils ne s'exerceront qu'à l'intérieur du territoire «administré» (ou plutôt censé être administré) par l'Autorité Palestinienne. La majorité de la population palestinienne, celle qui vit dans les camps de réfugiés, ne pourra plus jamais faire entendre sa voix. Si Israël bombarde les camps du Liban demain, il ne pourra pas être poursuivi par l'Etat de Palestine. Le champ de compétence reconnu à l'OLP, qualifiée pour parler au nom de tous les Palestiniens, lui aurait permis de réagir? On nous explique que le Hamas soutient l'initiative. Oui, il le fait du bout des lèvres après avoir dément par la bouche de son? porte-parole. A ceux qui contestent l'inéluctabilité de la substitution, voici ce qu'en dit Jean-François Legrain, chercheur CNRS à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam) d'Aix-en-Provence :

«UNE TELLE RECONNAISSANCE BÉNÉFICIERAIT-ELLE À TOUS LES PALESTINIENS ?

L'obtention de ce nouveau statut, selon les Palestiniens, constituerait une avancée de leurs droits nationaux. Mais l'État de Palestine, tel qu'il a été proclamé par l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1988, est déjà reconnu par 132 États, dont deux membres permanents du Conseil de sécurité, la Russie et la Chine, et ce n'est pas pour autant qu'il dispose de la souveraineté sur un territoire et de l'indépendance.

Dans le meilleur des cas, sur le terrain, cet État couvrirait les territoires occupés en 1967 (bande de Gaza et Cisjordanie dont Jérusalem-Est) et ne représenterait ainsi, au regard de la légalité internationale classique, que la population de ces territoires.

Ce qui signifie que la majorité du peuple palestinien vivant dans la diaspora, constituée par les «réfugiés» de 1948 et leurs descendants, et les «déplacés» de 1967 et des années qui ont suivi, ne serait pas représentée par l'État de Palestine, à la différence de l'OLP qui, elle, est reconnue par la communauté internationale comme le représentant de l'ensemble du peuple palestinien.

En substituant l'État à l'OLP comme détenteur du siège à l'ONU, il y aurait donc un risque que ce ne soit plus tous les Palestiniens qui soient représentés aux Nations unies mais seulement une minorité de ceux-ci.»

On nous explique aussi que le nouveau statut permettra au nouvel Etat d'intégrer les agences de l'ONU, dont la célébrissime Cour Pénale Internationale. Des réserves là aussi. Pour intégrer la CPI, l'Etat de Palestine devra signer le Statut de Rome, texte fondateur de la CPI, ce qui ne posera pas de gros problèmes. Pour autant, pourra-t-il traîner Israël devant la Cour pour des actes commis à l'intérieur du Territoire Occupé ? En tout état de cause, il ne pourra pas le faire pour des actes antérieurs à la date de cette signature. Oubliés, Jénine Gaza, Deïr Yassine?

Examinons à présent les modalités de saisine de la Cour. Il y en a trois :

1. Par le Conseil de Sécurité

2. Par un État partie

3. Par le Procureur de la Cour

La première possibilité est impraticable, à cause naturellement du droit de veto que les Etats-Unis opposeraient automatiquement à une demande de cette nature.

La troisième est improbable. Elle avait été évoquée par le Procureur Luis Moreno-Ocampo après la première agression contre Gaza puis... oubliée.

Reste la seconde possibilité, soit la saisine par la Palestine. C'est le cœur de l'argumentation des promoteurs de l'initiative, c'est-à-dire les dirigeants de l'Autorité Palestinienne.

Qu'en est-il exactement ?

Écoutons un expert, Jean-Marc Thouvenin, directeur du centre de droit international de l'Université Paris-X Nanterre : Il imagine (sic) que, «Si la Palestine est reconnue comme État et signe le Statut de Rome, elle pourra envisager de réclamer des poursuites d'Israéliens présumés coupables et ayant une double nationalité». Imaginer, envisager, réclamer, seulement ceux porteurs d'une double nationalité, des mots qui n'impliquent guère de garanties...

Le péché originel de ce processus est qu'il souffre d'avoir été porté par une Autorité sans mandat, sans vision, sans légitimité, une Autorité qui s'est «distinguée» à l'ONU en demandant et en obtenant bien sûr le report de l'adoption du rapport Goldstone devant la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU ! Mahmoud Abbas avance que «l'admission de la Palestine aux Nations Unies «ouvrira le chemin à l'internationalisation du conflit sur le plan juridique, pas seulement d'un point de vue politique». Il trouve sans doute que le dossier à charge contre un Etat qui a violé les Conventions de Genève et une demi-tonne de résolutions onusiennes, qui fait l'objet d'un Avis accablant de la part de la CIJ..., n'est pas assez lourd... Pense-t-il sérieusement qu'il suffira de bons avocats pour faire triompher le droit ?

Non, la bataille est plus que jamais politique. En fait, il aurait peut-être fallu revenir à novembre 1988 et la déclaration d'indépendance énoncée par le Conseil National Palestinien à Alger. Avant la reculade d'Arafat, sous une intense pression occidentale, 132 Etats l'avaient reconnue. Des délégations palestiniennes se sont spontanément muées en ambassades. Le gain politique avait été considéré à l'époque comme immense.

Il n'est pas question de s'immiscer dans la stratégie palestinienne. Mais on peut constater qu'elle est sujette à des interrogations. Elle est contestée en Palestine même. Leïla Shahid s'interroge sur son bien-fondé et va même jusqu'à évoquer son échec. Quelques extraits de son interview à la radio belge :

«Dites-moi à quoi ont servi les négociations pendant 20 ans ? Nous avons commencé à négocier à Madrid en 1990. On a continué en 1993, on a arrêté la lutte armée, on a voulu montrer qu'on était respectueux du Droit International, et Israël nous a donné une claque. Nous avons des résolutions qui obligent Israël depuis maintenant 45 ans, c'est-à-dire la résolution 242, à quitter les territoires occupés parce que l'occupation de territoires par la force armée est illégale. Qui a fait appliquer ça dans les territoires palestiniens ? Personne. Donc ne donnez pas de leçon de morale à une population qui est excédée. Et nous devons, nous, faire une autocritique de dire que, malheureusement, nous n'avons pas réussi à mettre fin à l'occupation par des moyens non-violents, donc nous allons voir encore plus que Monsieur Netanyahou utilise cela pour son agenda électoral. Il va se mettre comme candidat, lui et Monsieur Lieberman, dans un mois comme le héros, je dirais, de l'unité nationale israélienne contre soi-disant les ennemis. Et il revient vers la guerre des civilisations et il reprend le discours de Monsieur Bush d'»axe du bien contre le mal», et bien sûr il diabolise le Hamas et tout ce qui est islamique pour se faire lui le chantre de la liberté.»

Un mot sur l' «ampleur»des réactions israéliennes et étasuniennes. Je les trouve relativement modérées, loin de celles qu'on a connues au moment de l'admission de la Palestine à l'UNESCO par exemple. De plus, que tant de pays d'Europe s'apprêtent à voter «oui» est plutôt un sujet de trouble. Si l'enjeu pour Israël était si important, le feraient-ils ? Ceux-là même qui s'obstinent à maintenir et à rehausser un Accord d'Association avec Israël, ceux-là même qui, à l'instar de Hollande, pressent les Palestiniens d'abandonner les préalables et reviennent à la table de négociation, ceux-là même qui acceptent qu'Israël détruise quand bon lui semble des infrastructures qu'ils ont financées, ceux-là même qui acceptent que leurs diplomates soient humiliés, au nom de quoi leur ferait-on crédit d'un courage soudain ?

Je pense que l'initiative de demander l'admission de la Palestine à l'ONU obéit au moins autant à des considérations de joutes politiques internes qu'à un réel souci de faire avancer la cause. Il ne faudra pas longtemps, une fois l'admission officialisée, pour constater le peu d'effet de cette mesure et, peut-être, mesurer les conséquences perverses, la probable disparition de l'OLP de l'enceinte onusienne n'étant pas la moindre.

Voici l'extrait d'un rapport sur la CPI par la commission des affaires étrangères du Sénat Français. Rappel utile : Le Conseil de Sécurité a le pouvoir de stopper à tout moment une instruction conduite par la CPI. L'exemple qu'ils donnent est bien choisi!

«L'article 16 du statut de la Cour octroie au Conseil de sécurité la faculté de demander à la Cour de surseoir aux enquêtes ou aux poursuites qu'elle a engagées ou qu'elle mène» pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle (il) a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies». L'article précise enfin que» la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions».

Cette disposition a suscité de nombreux commentaires critiques. Certains ont ainsi déploré qu'un rôle aussi déterminant soit conféré au Conseil de sécurité sur le fonctionnement de la Cour alors même que d'aucuns, au cours de la négociation, souhaitaient précisément «déconnecter» le plus possible la nouvelle juridiction de cette instance politique et interétatique suprême. Il convient de resituer cette disposition dans le cadre plus général des responsabilités particulières reconnues, par les Etats parties à l'ONU, au Conseil de Sécurité en cas de menace contre la paix.

C'est dans ce contexte de menace contre la paix (chapitre VII) que le Conseil de sécurité pourrait être conduit à formuler à la Cour pénale internationale une demande de suspension de ses enquêtes ou de ses poursuites. On peut en effet imaginer des situations où la saisine de la Cour pénale internationale, par un Etat, d'agissements commis par un autre Etat risquerait de créer une situation conflictuelle pouvant déboucher sur une guerre. Dans ce cas, d'ailleurs, en l'absence même de la disposition incriminée figurant au Statut, le Conseil de sécurité pourrait fort bien agir pour faire en sorte que la Cour pénale internationale n'engage pas de poursuites, compte tenu des compétences que lui reconnaît le chapitre VII de la Charte.» Supposons une situation dans laquelle, à la demande d'un Etat arabe, des poursuites seraient engagées contre Israël, ou inversement, et où ces poursuites risqueraient réellement de provoquer une nouvelle guerre au Moyen-Orient, est-ce que le Conseil de sécurité n'aurait pas compétence pour suspendre ces poursuites ? Je crois que oui, et indépendamment de la clause insérée dans la convention»15(*).»