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Le désert résiste au printemps

par Abed Charef

L'Arabie Saoudite reste impassible face au printemps arabe. Elle se permet même de participer au dénouement de crises dans d'autres pays.

Le printemps a peu d'effet sur le désert. Et le printemps arabe a encore moins de prise sur le désert saoudien. Alors que de larges contrées du monde arabe sont en pleine effervescence, l'Arabie Saoudite semble fonctionner à son rythme, en marge du temps et de l'agitation qui l'entoure. Ni la proche Syrie, au bord de l'implosion, ni le Yémen voisin, en crise depuis un an, n'ont eu d'effet sur le pays. Certes, quelques incidents sont signalés dans l'Est. Fin novembre, le ministère saoudien de l'intérieur a reconnu que des troubles ont même fait des morts, incidents attribués à des contestataires chiites.

 Des accrochages opposent régulièrement des hommes armés, supposés appartenir à Al-Qaïda, aux forces de sécurité. Mais cela n'a pas d'impact particulier sur le pays, et ne menace pas la stabilité du premier producteur mondial de pétrole.

« Seuls deux genres d'incidents peuvent avoir un impact» sur l'Arabe Saoudite, explique un diplomate qui connait bien le pays. « Les troubles pendant le pèlerinage, ce qui aurait un impact négatif sur l'image du Royaume, et, surtout, des incidents qui pourraient perturber la production de pétrole. Mais jusque-là, jamais un incident n'a pu avoir un quelconque effet sur la production de pétrole, ce qui signifie que les autorités saoudiennes maitrisent totalement leur sujet », ajoute-t-il.

Les frémissements signalés ne sont donc qu'une brise superficielle, incapable de menacer le pays. Ce qui n'a pas empêché le Roi Abdallah de prendre les devants, en mettant sur la table près de 30 milliards de dollars, soit deux fois et demie le PIB de la Tunisie, pour éviter tout risque de contagion. Au total, 150 milliards d'aides diverses seront distribuées sur les cinq prochaines années. Parallèlement à cela, de timides ouvertures, à la portée plus symbolique que réelle, ont été engagées par le Roi Abdallah, qui est pourtant le plus « traditionaliste » de la famille royale. Ainsi a-t-il décidé de faire participer des femmes au conseil de la choura à partir de 2013, et d'accorder le droit de vote aux femmes à partir de 2015 aux élections municipales. Il a aussi forcé les courants traditionalistes à accepter l'existence d'une université scientifique où la mixité est admise. Ces fenêtres ne perturbent guère le Royaume, qui peut s'appuyer sur trois facteurs pour garantir sa stabilité.      D'abord, la donnée religieuse est un pilier du système en place, et rien ne semble en mesure de l'ébranler. Ensuite, la famille royale n'est pas fondamentalement remise en cause ; à peine est-elle critiquée sur certains aspects, notamment la politique extérieure. Enfin, aucun pays occidental, parmi ceux qui gèrent les révolutions arabes, n'a intérêt à déstabiliser, ou à voir déstabilisé, le premier producteur mondial de pétrole, le seul à disposer d'une marge de production importante non encore utilisée. Quels que soient les aléas, et quelle que soit la conjoncture politique, les relations entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis ont toujours été très solides.

En outre, la contestation en Arabie Saoudite est encore plus radicale que le pouvoir en place. Certes, des cercles modernistes commencent à contester certains aspects archaïques de la vie saoudienne, comme l'interdiction faite aux femmes de conduire, mais la contestation la plus bruyante est celle émanant de cercles chiites ou djihadistes, qui accusent le pouvoir de ne pas être assez strict dans l'application de la charia. Presque tous les auteurs des attentats du 11 septembre, et Ben Laden lui-même, sont saoudiens, faut-il le rappeler.

La monarchie parait ainsi si solide qu'elle s'est permis de jouer un rôle important dans la gestion de la tourmente d'autres pays. Elle a accueilli Zine El-Abidine Ben Ali, permettant à la crise tunisienne d'aller vers le dénouement ; elle a joué un rôle central dans l'ébauche de solution de son arrière-cour yéménite et à Bahreïn, et elle reste la voix la mieux écoutée pour pousser à une solution en Syrie.

Malgré tous ces atouts, l'Arabie Saoudite ne peut pourtant pas faire abstraction d'une nouvelle menace, qui commence à poindre à l'horizon. Il s'agit d'une déstabilisation liée non à une agitation sociale ou politique, mais à sa volonté, désormais affichée, de se doter de l'arme nucléaire. Le prince Turki, ancien responsable des services de renseignements, l'a publiquement affirmé début décembre, en soulignant que son pays est pris entre deux menaces : une, israélienne, et l'autre iranienne. Le premier dispose depuis longtemps de l'arme nucléaire, le second serait en passe de la posséder. Seul pays aspirant à avoir un rôle régional, l'Arabie Saoudite en est dépourvue. Une situation inacceptable pour Ryadh.

En affichant ainsi ses intentions, l'Arabie saoudite risque de voir se déchainer contre elle des milieux hostiles à l'idée de voir un pays arabe détenir l'arme nucléaire. Des milieux très puissants, particulièrement influents, capables d'organiser des campagnes dévastatrices, et même à parrainer ou à lancer des guerres.

Il reste à savoir si la déclaration du prince Turki exprime une volonté réelle d'entrer dans le club des puissances nucléaires, ou s'il s'agit simplement de déclarations visant à pousser les Américains à agir contre l'Iran.