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Plume pointue ou langue fourchue

par El Yazid Dib

«Le journalisme nous révèle les petitesses des grands hommes, la grandeur des petites gens. Un manuel pratique de l'espèce humaine.» Jean-Marie Poirier.

Tous les pouvoirs sont frileux face à une totale liberté de presse. Toutes les oppositions par contre persistent à l'exiger. La liberté d'écrire est naturellement incontrôlable, car écrire c'est parler sans se faire interrompre. Celle de dire est difficilement muselable. Le hic se trouve donc dans la production publique de l'une et/ou de l'autre.

Les reformes sont presque terminées. Sinon bien entamées. Reste à savoir la teneur de leur consistance. Le code de l'information va préserver à entretenir la suspicion quant à la justesse de son emploi en ces temps où la liberté d'expression se le dispute au droit d'être informé. La communication, versatile comme elle l'est, n'arrive point à se faire une place quelque peu pérenne dans l'infrastructure politique nationale. Considérant son importance dans l'impact qui est censé être provoqué par les actes de gestion des gouverneurs, celle-ci doit, dynamiquement servir l'acte politique d'une façon tout aussi politique. Qu'elle soit identifiée sous intitulé, de propagande, de communication, de porte-parole ou d'information; la mission de porter à la connaissance de qui de droit ou de devoir, un renseignement, un fait, une probabilité ou une opinion s'avère difficile, pour convaincre l'ensemble de l'audimat ou du lectorat de la véracité de l'objet à transmettre. Vouloir ou devoir le faire n'est toujours pas pouvoir le faire.

Si au niveau national, soit gouvernemental, l'information est canalisée par le truchement tantôt d'un secrétariat, tantôt d'un ministère plein d'euphémisme, il en est autrement au niveau local ou central. Toutes les entités et les collectivités ont pour le panache ou l'utilité vitale une icône différemment nommée mais qui constitue une oreille attentive et forme un œil lecteur vigilant. Lorsqu'on veut porter à la connaissance publique une information, il y a impérativement un message à transmettre avec. Donner son opinion par voie de presse ou de pamphlet sur un homme ou/et son bilan ne devrait pas pousser l'auteur au ridicule. Comme il n'incombe pas à «l'homme» d'user, par riposte de subterfuge judiciaire et mensonger pour abattre l'auteur et son œuvre. Les sciences nouvelles maintenant offrent toute une multitude d'outils à même de certifier ou invalider un fait. Si le communiqué reste un instrument de dialogue, le contenu sera donc judicieusement objet à débat. Il ne s'infligera pas telle une sentence sans recours, unique et exclusive. C'est le propre d'une bonne et efficiente communication. Invité par le CRSS (Centre de recherche stratégique et sécuritaire) pour une conférence sur les droits de l'Homme, Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme, a affirmé récemment à un confrère que «L'État a enregistré des avancées considérables en matière de droits de l'Homme mais malheureusement elles ne sont pas suffisamment explicitées et médiatisées». J'aurais bien voulu lui dire «la faute à qui ?» Ceci corrobore bien notre point de vue. Et donne raison a Heinrich von Kleist qui dit que «Le journalisme français est l'art de faire croire au peuple ce que le gouvernement juge opportun de lui faire admettre » ce serait ceci le point de vue du maitre au sujet de l'utilité de l'existence d'une «explicitation et médiatisation»

L'information est déversée selon un agenda. Elle ne pourra ainsi obtenir la satisfaction du faiseur d'événement ou d'une éventualité fâcheuse, mais jugée part son auteur dénuée de toute véracité. L'information peut de la sorte devenir un affrontement sans merci entre la verité et le mensonge. L'arbitrage est dur. Seuls, le constat, l'enquête, le reportage, la matérialisation, l'investigation, le témoignage enfin les instruments graphiques et testimoniaux peuvent tenir lieu de procès verbaux écrits d'un acte répréhensible. L'avis personnel ou le commentaire demeurera exclusif à son auteur. Si le journalisme est l'école primaire de la diplomatie, dit-on, le journaliste

Loin de constituer un simple et dérisoire détail de formalisme, la complexité algérienne requiert une importance particulière lorsque l'on se souvient que lors des dix dernières années ce ne sont pas uniquement les faits saillants de terroristes qui ont construit l'actualité morose du citoyen. L'information officielle parfois s'est érigée en mensonge officiel. Décider d'une chose, l'étayer par un exposé des motifs le plus convaincant, pour qu'ensuite l'abroger en justifiant son acte par le même exposé des motifs. Une refonte suit une reforme pour dit-on donner forme à une totale refondation des textes ou des institutions. Le pléonasme défie la clarté des procédures. Le concept de la fonction «communication» n'avait pris l'allure d'une propagande offensive que chez ceux qui voulaient cacher quelques choses. Alors que le démenti contrariant une information vérifiée ou avouée, le silence s'il venait, est pris pour un acquiescement.

Ainsi l'on constate qu'une réaction (démenti) justifie inconsciemment l'action initiale (l'information). S'il n'y avait pas un brin de vérité relative soit-elle, il ne peut y avoir le démarrage de tout l'arsenal médiatique. L'Algérie a de tout temps souffert du «déficit de communication». Se rendant tout à fait compte de la faiblesse en la matière, les institutions se sont dotées organiquement, qui d'un bureau de la communication, qui d'un département qui enfin d'une simple cellule. Malgré la mise en place de ces canaux, l'information n'est pas pour autant fluide ni authentique encore moins fiable et précise. Il semble que cette dotation organique n'est venue que pour combler des postes et occuper des emplois. La communication reste en- deçà des espérances affichées. Le personnel y affecté est conduit le plus souvent sans conviction aucune au moment où le chef de «cellule» fait partie intégrante du responsable de l'institution. Dans les administrations centrales, les wilayas, les entreprises, les offices à défaut de communication du chef, l'on se contente de suivre de prés tout écrit mettant en cause les dysfonctionnements institutionnels et réagir par coup de «démenti» par contre dans certaines corporations administratives et étatiques ou assemblées élues; le chef est exclusif et le seul à communiquer, la cellule n'est qu'une formalité d'accueil de correspondants locaux. Son rôle se limiterait, hélas au lieu d'une étude de synthèse et d'impact, à la coupure de ! morceaux-papier traitant diversement de la wilaya. Maintenant que le profil du «chargé à la communication» à un niveau local n'est pas basé sur une technicité professionnelle ou expérimentale, on le fait dans le copinage et dans la «loyauté» passive. Le plus souvent ces postes sont confiés à des personnes hors secteur, mais qu'un lien sensible d'amitié ou d'intérêt arrive à les mettre en évidence. Le rôle n'est pas accompli. L'objet non atteint. Il subsistera toujours de l'opacité dans ces secteurs où le seul procédé communicatif demeure le tissage de relations médiatiques. Etouffement d'un embryon de scandale ou exhortation d'un fait divers favorable. Les faits font légende. Lancement de tant d'œuvres à faire par-ci, bilan positif par-là.

Traduire ou satisfaire les besoins en information est un art. C'est un art important et difficile, car de lui, de la personne qui le pratique dépend l'efficacité du travail, de ses missions et de sa raison d'être. Le lecteur, le spectateur et l'auditeur sont en passe de devenir de gros consommateurs de tout. Goinfres, ils guettent le moindre sensationnel. Hormis ceux qui font de l'analyse pour se dire qu'en finalité ils se sont fait leurrer, le reste est sans importance aux yeux du système.

Dans notre presse, composée d'une multitude de titres, il n'y a pas un jour où une «information» arrive à un niveau de pouvoir faire à l'unanimité «la une» de tous les journaux. Chaque quotidien à sa «une». Selon ses affinités avec ou contre le fait géniteur de l'information. Cependant des pools conjoncturels se constituent le temps d'une campagne ou d'une affaire. Au gré des alliances ou des méfiances. L'information n'est plus identique quand elle, ne cadrant point à la ligne éditoriale ; n'est pas reprise du tout.

Philippe Breton, docteur en sciences de la communication et chercheur au CNRS donne de l'information la définition suivante «c'est un regard sur le réel qui tend à être unique, à être la synthèse de témoignages concordants» (1). Justement «ce regard» n'émane que d'une personne, à la limite d'un groupe de personnes. Peut-on parler ainsi d'une «synthèse de témoignages concordants» ? Le nazisme, outre qu'il était une légalité, n'a pu s'affirmer en tant que légitimité. «L'action redoutable des propagandistes du régime nazi avec à leur tête le sinistre Goebbels, devait son efficacité? non seulement aux discours? mais aussi au fait que la gestapo et les autres polices politiques menaçaient d'internement ou pire tout opposant éventuel» concluait Philippe Breton. Certes le temps de cette phobie alarmante est fini, mais l'humanité avec la progression des droits de l'homme aidée par les nouvelles technologies continue, dans certaines contrées à subir le fer et l'enfer.

Ainsi le monde des consommateurs aurait à constater que l'information ressemble à un marché. Il faut se diriger à la bonne adresse, aux bons étals, pour trouver ce que l'on recherche. Vrai outil dans le parallélisme des forces politiques, l'information sous tous ses aspects se révèle un danger substantiel faisant peur à tous. Le pouvoir la craint et ne peut pour longtemps la museler. L'opposition l'utilise comme contre-pouvoir sans pour autant y être foncièrement impliquée.

Contrairement à Khalida qui a raté le coche, en ne s'investissant que dans la culture conflictuelle, Boukerzaza qui s'est limité aux rivalités de sérail, Azzedine Mihoubi, fonctionnaire-technicien plus qu'impénitent politicien qui affirmait que la « révision du code n'est plus un choix mais une exigence» a été mal digéré par un pole idéologique et linguistique ; l'actuel ministre ne semble pas outre mesure aller de l'avant pour porter le vœu national communicatif à l'ère du nécessaire et du primordial. Peut être, aurait-il toute l'attitude de pouvoir transposer sa fibre professionnelle et fonctionnelle, loin un peu soit-il de son attache doctrinale et hiérarchique, en une véritable machine d'hémodialyse pour traiter l'insuffisance informationnelle dont souffre le pays. Le traitement réservé consolidera la fluidité et la libre circulation du plasma à travers toutes les artères du corps national. Quel que soit le groupage sanguin?politique ou idéologique. L'infâme maladie dans la communication restera la déviation. Dans les mots, l'histoire, les hommes et les bilans.

(1)-Philippe Breton «L'argumentation dans la communication» in Editions/Casbah. 1998.