Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les associations libérées par les N.T.I.C.

par Abdelkader Leklek

Durant sa session d'automne 2011, l'Assemblée populaire nationale aura à examiner le projet de loi sur les associations. La prochaine mouture de cette loi, selon ses promoteurs, allègera les contrôles excessifs et déchargera ceux qui veulent s'associer, des lourdeurs procédurales.

Mais est-ce suffisant, pour contrôler les associations et réguler leurs activités, quand les nouvelles technologies de l'information et de la communication, dont la semaine africaine est célébrée chez nous du 14 au 20 novembre 2011, proposent d'autres licences d'émancipation, et osant le mot, offrent, ouvertement, un affranchissement, de toutes les tutelles contraignantes ?

L'association, ou synergie couplée à la liberté, fait partie des droits fondamentaux de l'homme. C'est une interaction, qui fut omise lors de la rédaction de la déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789.Cette omission fut rattrapé, en 1901, par la loi dite, association de 1901.Entre temps, cette liberté avait été reprise et figure dans la déclaration universelle des droits de l'homme de l'O N U, du 10 Octobre 1948, en son article 20. En Algérie, aussi, depuis l'indépendance, le droit d'association a toujours figuré dans les différentes constitutions. Celle de 1963, en traite en son article 19, qui dispose : «L a république garantit la liberté de la presse et des autres moyens d'information, la liberté d'association, la liberté de parole et d'intervention publique ainsi que la liberté de réunion». Cette liberté est reconnue par la constitution de 1976, en son article 56. En 1989, après les évènements d'octobre 1988, et la fin du parti unique, l'article 39 de la constitution de 1989 est libellé ainsi :» les libertés d'expression, d'association et de réunion sont garanties au citoyen». Une des résultantes de la reconnaissance de ce droit, sera la promulgation le 4 décembre 1990, de la loi sur les associations, qui est toujours en vigueur. La révision constitutionnelle du 28 novembre 1989, gardera tel quel, cet article, en lui accolant le numéro 41.En conséquence, il était donc désormais, fait place à une société civile, sur l'espace public en Algérie, en concours avec la liberté de créer des partis politiques, consacrée, par l'article 42, dans la même constitution révisée, qui, elle, parlait du droit de création des associations à caractère politique. Il fallait que dans cette phase d'incertitude, qu'apporta le multipartisme, qu'il existât un contre pouvoir, une expression opposée, à ceux qui seront appelés à gouverner le pays et les diverses assemblées, selon les outils de pouvoir, que confère, la direction politique d'un Etat. Dans l'esprit des lois Montesquieu dit: «Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir».

Ainsi, pour modérer la domination qui est dans la nature de tout détenteur, seul de pouvoir, les citoyens se donnent en démocratie les moyens de se faire entendre. Ils s'organisent en forces structurées : associations, syndicats, organisations socioprofessionnelles, mutuelles, clubs de réflexions et organisations non gouvernementales. C'est ce qui constitue, ce qui est appelé, la société civile, à notre sens. Par opposition au politique et à l'institutionnel. Disons pour faire simple, la société organisée sans l'intervention de l'Etat. Donc, c'est une organisation dont le but est de composer et se faire entendre des gouvernants. C'est une forme de persistance dans la défense des intérêts collectifs, dont les résultats ne peuvent être atteints que par la discussion, le débat, la persuasion, le consensus, ou le compromis. Paradoxal que cela puisse paraître, mais le compromis plus que le commandement, amène et consolide la cohérence de vues. Les débatteurs se convainquent mutuellement, en l'occurrence, qu'ils comptent les uns aux yeux des autres. Cependant la revendication sociale, quelque soit sa nécessité, sa légitimité et sa noblesse, est dévoyée, comme souvent en Algérie, quand elle est étayée par des pneus brûlés sur la route, entravant la liberté de circuler des citoyens par d'autres citoyens.

De même, et pour être indépendantes dans toutes leurs activités, les organisations de la société civile doivent se défaire de toute tutelle et ne fonctionner qu'à la liberté politique, et à l'autonomie financière. La réalisation de cette liberté impose l'existence en leur sein de compétences capables d'effectuer un travail d'expertise-évaluation de l'action des gouvernants à n'importe quel niveau et à n'importe quelle étape, des différents programmes politiques présentés, pour pouvoir les contester et proposer des solutions là où sont relevées les insuffisances. Sans aliéner cette liberté d'action et celle de penser, la société civile peut servir de relais à l'opinion publique et de force de pression, pacifique et paisible, face aux gouvernants. A ce stade elle accède au rang de partenaire qui est consulté dans les domaines d'intervention des pouvoirs publics qui concernent directement les citoyens. Et on n'impose plus aux gens du quartier une fontaine publique même ornée de dorures, quand ses habitants demandent une crèche, pour leurs enfants ou une salle polyvalente pour tous. Pareillement, pour que la société civile puisse s'opposer pacifiquement, paisiblement et créer un équilibre avec les gouvernants, ses adhérents et ses leaders, doivent eux mêmes, avant et après tout, pratiquer les voies démocratiques pour prétendre à la qualité de membre et de dirigeant d'associations de toutes les catégories. Le fonctionnement utile de la société civile non aliénée, ne saurait triompher s'il est autocratique, et non autonome. Cette autonomie ne peut être uniquement financière, elle doit aussi être débarrassée de tout clientélisme quel qu'il soit, idéologique, claniste, corporatiste, régionaliste, népotiste, ni de la même obédience. Le savoir, le travail, l'excellence, le talent, le désintéressement, le don de soi et l'abnégation, doivent primer. Le mérite et l'autonomie son les premiers pas vers la citoyenneté. Pour cela il faudrait déjà une société qui ne compte pas ses analphabètes, et ceux qui vivent dans la précarité par millions. Alors, comment les Algériens s'organisent-ils pour faire contrepoids à leurs gouvernants, notamment locaux, pour prévenir les dépassements et régler leurs problèmes ? Sous l'empire de la loi actuelle, qui régie l'espace associatif. L'association en Algérie se constitue librement par la volonté de ses membres fondateurs, à l'issue d'une assemblée générale constitutive, réunissant au moins quinze membres fondateurs, qui en adoptent les statuts et désignent les responsables des organes de direction. L'association est régulièrement constituée après dépôt de la déclaration de constitution auprès wali pour les associations dont le champ territorial concerne une ou plusieurs communes d'une même wilaya, et auprès du ministre de l'intérieur pour les associations à vocation nationale.

Il est, alors, délivré aux pétitionnaires, un récépissé d'enregistrement de la déclaration de constitution par l'autorité publique compétente au plus tard soixante jours après le dépôt du dossier. L'association est considérée régulièrement constituée à l'expiration du délai prévu pour la délivrance du récépissé d'enregistrement. Il est finalement procédé à l'accomplissement aux frais de l'association des formalités de publicité dans au moins un quotidien d'information à diffusion nationale. En fin, la suspension ainsi que la dissolution d'associations sont du ressort des tribunaux. C'est ce qu'énonce en gros la loi. Cela demeure de la littérature. Mais en réalité, comment cela est-il vécu en pratique, par celles et ceux qui créent des associations ? Il faut d'abord convoquer une assemblée générale, et pour cela il faut obtenir, l'autorisation d'organiser une réunion publique. Ensuite il faut posséder, louer ou bien se faire prêter un local, pour une tenir la première réunion de création. Ensuite il faut élire un bureau, désigner le président, les vices présidents, le secrétaire, le trésorier etc. Puis rassembler tout ce dossier, procès verbaux de réunions, feuilles de présence. Validation de l'opération d'élection des membres du bureau de l'association, ainsi que les dossiers administratif de chacun des membres dirigeants, à savoir, les actes de naissance de chacun, le certificat de résidence etc.? Et faire déposer par le président, tout le paquet, auprès des services compétents de la wilaya. Subséquemment, il faudra attendre l'instruction du dossier par l'administration, à laquelle, la loi accorde un délai de 60 jours, pour se prononcer. Les rejets peuvent se faire, par exemple, sur la base des inscriptions figurant sur le casier judiciaire d'un des membres du bureau de l'association. Et je citerai le cas, d'un ancien bagarreur, en fait quelqu'un qui ne se laissait pas marcher sur les pieds par les autres, ce qui lui valut plusieurs séjours en détention carcérale. Les psychologues diraient un impulsif, alors que, même ses adversaires de rixes, lui reconnaissaient la correction, la bravoure, et la bonté. Voulant se racheter, des déboires qu'il occasionna à ses proches et aux autres, notre brave entreprit des démarches pour créer une association d'aide aux personnes incarcérées. Il s'essaya à maintes reprises, mais la noble initiative qui représentait pour l'audacieux bonhomme, son projet de vie, échoua, sur les écueils de ce qui était inscrit sur son casier judiciaire. Il bataille toujours, pour créer son association à travers complications, dédales et méandres. Tous ces cheminements procéduraux, souvent constellés de contrariétés harassantes, et répulsives, créent des mécontents au sein des prétendants à la création d'associations. Ce qui finalement empêche qu'émerge un mouvement associatif libre politiquement et indépendant financièrement, implémentation d'une une société civile.

Toutefois et depuis l'avènement et la démocratisation de l'utilisation des outils et instruments des nouvelles technologies l'information et de la communication, ainsi que les immenses possibilités, qu'offrent l'informatique et Internet, en vitesse de propagation de l'information. La quasi majorité des obstacles, qui régentaient la transmission et la réception, de messages. La circulation d'informations, d'avis, d'organisations de rencontres, de débats, d'annonces, d'alertes, d'avertissements, de témoignages en temps réel sur le déroulement d'évènements politiques, sportifs, et de diverses manifestations. Que cela soit, contre des régimes politiques, contre la vie chère, ou pour soutenir une cause, ou bien pour simplement organiser d'organiser des rassemblements festifs géants. Ces évènements ne rencontrent presque plus de barrières idéologiques, de limites conflictuelles, et de clôtures fantaisistes du fait, du bon vouloir, sinon des caprices du prince. Un chamboulement dans les pratiques, qui a révolutionné tout l'environnement, les comportements, les conduites et les attitudes de tous les protagonistes. La socialisation de ce moyen de communication a entraîné des transformations sociétales des façons de vivre et d'informer sur leurs problèmes, des hommes et des femmes, tels que les conflits humains, meurtriers, oubliés par les médias du monde entier, fonctionnant à la satisfaction de leurs actionnaires. Cette facilité a aussi permis à l'homme de démultiplier ses possibilités par l'offre diverses d'accès à la connaissance, aux savoirs, aux idées des autres et aux actualités en temps T.

Alors pour les promoteurs d'associations, le web, la toile offre désormais des possibilités prodigieuses, de s'associer en évitant toutes les procédures administratives, de se soustraire et d'échapper aux divers formalismes réglementaires. Plus besoin de local, plus besoin d'autorisation d'organisation de réunion publique, plus de contraintes paperassières, plus de sujétions à l'assemblée générale, ni aux membres dirigeants. Plus de contrôles et plus de bocages quelconques. C'est la dématérialisation de l'acte de créer des associations, pour se faire entendre, participer à la vie publique, et surtout pour informer, et s'informer. Tout le monde est d'accord pour dire, que les réussites des révoltes, de ce qui a été baptisé ?'le printemps arabe», doivent beaucoup, sinon tout, aux réseaux sociaux qu'offre Internet. Ce fut aussi la même démarche pour le mouvement des indignés, contre le pouvoir de la finance de part le monde. Alors, est-ce la fin d'une époque, qui obligeait les gens aux exigences et à l'assujettissement procéduro-administratifs, pour lancer des associations ? Les puristes du droit diront qu'une association qui n'est pas déclarée ou bien agrée, est une association de fait qui n'a pas d'existence juridique, et de ce fait, elle se disqualifie en n'étant pas légale. Car en Algérie, depuis la loi de 1990, comme en France depuis la loi de 1901, l'association est une convention par laquelle des personnes physiques ou morales se regroupent sur une base contractuelle et dans un but non lucratif. Néanmoins, ceci étant dit, peut-on ne pas voir cette réalité frontale en face, combien même, dans ses moyens elle est virtuelle et dématérialisée ? Oui mais doit-on également foncer tête baissée, vers cette ouverture émancipatrice ? C'est une liberté, sinon une conquête humaine et pas des moindres. Mais peut-on vivre sans normes, et sans règles qui protègeraient, la liberté des plus vulnérables et leurs droits, ainsi la vie privé et la dignité des gens ? Ces questionnements me sont suggérés par, l'évènement qui serait la source, de la révolte du jasmin, et de la fuite de Ben Ali, c'est-à-dire, les causes de l'immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, en Tunisie, et les façons dont cela avait été rapporté, à la rue et à l'opinion publique à travers les supports qu'offrent les NTIC.

Et enfin les conséquences qu'il engendra. Notamment envers la policière qui l'aurait giflé. Fayda Hamdi, c'est d'elle qu'il s'agit. Anonyme agent municipale dans une bourgade du fin fond de la Tunisie que l'histoire avait brutalement, le 17 décembre 2010 happée. Et elle fut, celle par qui la Tunisie s'enflamma. Elle, aurait giflé un vendeur de fruits et légumes sur étal, sans patente. Dès lors, elle fut jetée en pâture à la vindicte de tous les cybers défenseurs des droits contre les traitements avilissants, les vrais et les pseudos, à travers tous les réseaux sociaux internet. L'acharnement contre cette femme fut sans commune mesure, dans les sociétés de culture arabe, où les hommes ont la prééminence sur les femmes. Presque un an après, Fayda dit de cette gifle qui serait le signal de départ des révoltes arabes et qui ont mis fin aux règnes de trois despotes et à leurs suites, que :» C'est le hasard», en se confiant, dans une interview parue dans le quotidien français, Le Parisien, du 24 octobre 2011. «Je n'y suis pour rien, c'est Dieu qui a décidé tout ça .La fameuse gifle, je ne l'ai jamais donnée, dans notre religion, une femme ne frappe pas un homme, c'est impossible», dit-elle. D'ailleurs, son procès devant le tribunal de première instance de Sidi Bouzid, le 19 avril 2011, s'est conclu par un non-lieu qui l'innocente, après trois mois et vingt jours passés dans une prison de Gafsa. «Le matin de l'incident, poursuit-elle, Mohamed Bouazizi avait installé son étal sur la station de taxis, devant le gouvernorat. Je lui avais dit de partir. Il a commencé à crier. Il m'a bousculée. J'ai voulu confisquer sa balance et sa marchandise. Il a résisté, me blessant à la main. Il m'a insultée, dit de très gros mots. Il a essayé d'arracher les épaulettes de mon uniforme. Des renforts sont arrivés?» Depuis lors, cette dame, represente toute la haine qu'éprouvent les tunisiens envers le système et les policiers de Ben A li. C'est le démon, par qui malheur est arrivé à Ben Ali, à Moubarak à Kadhafi, et consorts. D'un autre coté, ce sont d'autres internautes, moins nombreux bien sûr et de loin, qui avaient pris la défense, sur le web, pour dire qu'il n'y avait pas eu de gifle, le 17 décembre 2010, sur la place des taxis à Sidi Bouzid.

Donc ces réseaux sociaux peuvent être conte productifs, et servir la manipulation, c'est-à-dire la modification de la perception d'un sujet, à cause ou pour diverses raisons et intérêts, à satisfaire. Si les Nouvelles Technologies de l'information et de la Communication procurent de la liberté, elle demeure contingente, et tout dépendra de l'utilisation qu'on en fait. Il est par contre très difficile de justifier moralement et politiquement la limitation des libertés, au nom des libertés elles-mêmes. Mais s'agissant de nouvelles formules de pratiques des libertés, d'association et d'expression, il serait, quand même, aussi, dommage, qu'elles produisent les moyens qui pourraient les épuiser et enfin les détruire.