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«Non aux réformes»

par Abdou B.

«Les gens les plus défiants sont souvent les plus dupes». Cardinal de Retz

Les fissures béantes qui caractérisent depuis des mois l'alliance présidentielle n'augurent rien de bon pour la stabilité du pays et pour l'avenir. Les luttes politiciennes, l'enfermement partisan, celui d'appareils sans identité singulière et sans projet de société, et les ambitions démesurées de petits personnages hypothèquent le développement et bloquent les réformes. La déliquescence qu'observent les citoyens et le monde extérieur, qui est devenue la marque d'une majorité éclatée, interpelle toute la classe politique, qu'elle soit au gouvernement ou dans l'opposition. L'après pétrole, les crises qui modifient les systèmes en place depuis des décennies, les savoirs et les techniques au pouvoir partout, la désespérance de la jeunesse, des femmes, la fuite des cerveaux, laissent de marbre les cohortes de courtisans, de rentiers sur le retour de « parlementaires » stériles. Les fractures, les appétits égoïstes, le bruit et la fureur aux frontières de l'Algérie, la « restructuration » forcée de l'Afrique et du Maghreb, la médiocrité de nombreux gouvernants qui ont la charge des secteurs névralgiques font que le fonctionnement actuel de la gouvernance algérienne n'est plus tenable. Il est dangereux pour la sécurité nationale de le maintenir en l'état. Non aux réformes » clament les gouvernants et l'appendice législatif.

Les incompatibilités politiques qui se manifestent là où il est attendu des complémentarités, des consensus, des débats et des négociations, de l'efficacité (au pouvoir et dans l'opposition) obscurcissent l'horizon. Des animateurs de réseaux sociaux, des associations de jeunes lors de la concertation que mène le Conseil National Economique et Social (C.N.E.S) ont crié leur désespoir au Palais des Nations le 10 novembre dernier. «Nous n'avons ni repères, ni culture ni identité» Les cris d'un jeune homme devant les caméras de l'ENTV n'ont que peu de chance d'arriver aux oreilles de caciques fossilisés et verrouillés dans la pensée unique. Les responsables d'appareils totalement pris dans leur guerre interne ne se rendent même pas compte qu'ils creusent leur propre tombe et que le temps est aux réformes, rapidement, avant un éventuel «printemps» jugé impossible par ceux dont l'action fait tout pour le rendre possible et peut être plus précoce que prévu.

En termes doctrinal et politique, la volonté maintes fois affichée par M.Bouteflika, au-delà des critiques et réserves énoncées ça et là, se trouve grandement affaiblie sinon combattue par les formations politiques qui, depuis 1999, n'ont eu qu'un seul programme, celui du président de la République qu'elles sont censées expliquer et défendre jusqu'au bout. La stagnation encadrée par les dizaines d'amendements infligés à l'APN, aux propositions de M.Bouteflika dans un Maghreb secoué par des chocs systémiques, radicaux, managés par les maîtres de la planète, ne profitera pas en cas d'échec des réformes, à l'alliance présidentielle. L'échec recherché mettra en danger le pays tout entier comme le démontrent juste à côté, le refus de réformer et l'amour fou pour le statu quo et la rente.

Les constats et analyses faits ici et à l'étranger sont pourtant simples, indiscutables et surtout lisibles même pour des appareils algériens. Les discours répétés tenus par les USA et l'Europe sur les brutales mutations au Maghreb, pour rester dans la sphère la plus proche, n'ont pas l'air d'être pris au sérieux par nos « grands » partis, fragilisés par l'abstention record aux dernières législatives. Depuis des mois, alors que la Tunisie, le Maroc, la Libye subissent des mutations institutionnelles, le gouvernement algérien, pour une part, patine, expose ses contradictions internes, triture le code des marchés, l'importation de médicaments, s'occupe en urgence de la fermeture de bars et débits de boissons, compte à l'unité près les non musulmans, les non jeûneurs, les défenseurs des Droits de l'homme. En fait, les « constantes » sont la fuite en avant, le refus du mouvement, de l'ouverture, de la libre expression? et la chasse aux catholiques nationaux.

Les échéances législatives, la succession déjà anticipée de M.Bouteflika tétanisent la nomenklatura locale installée dans les rites et rituels du parti unique dont les créateurs russes avaient une autre envergure, une capacité de réflexion hors du commun, un charisme et une intelligence inaccessibles pour les appareils partisans des pays arabes. Ni la pudeur, ni le respect des institutions et de la dignité humaine n'encombrent la pensée et les actes du responsable du parti au gouvernement. Les souffrances de nombreux citoyens, les dérives de la jeunesse, les menaces extérieures, la dépendance alimentaire, l'addiction aux hydrocarbures, la chute libre des systèmes éducatif et de santé, les intolérances qui métastasent le corps social relèvent des mystères bibliques pour le Parlement, les B.P et les C.C locaux dont les membres ont de gros salaires, des voitures et des logements de fonction? Comme à la belle époque en URSS. Mais hélas pour les appareils siesteurs et rentiers, la nostalgie n'est plus ce qu'elle était. La Tunisie censée si tranquille, la Libye estimée endormie, l'Egypte supposée être du pharaon Moubarak, la Syrie pensée transmissible de père en fils s'avèrent être des tocsins à mieux entendre.

Ceux qui s'amusent à s'occuper de l'éthique chez les journalistes, ceux qui traînent les pieds pour ne pas imaginer un puissant groupe public et un autre privé de TV, ceux qui s'ingénient à parasiter les métiers de la communication, à régenter la création artistique via le gouvernement, ceux pour lesquels l'écoute des populations est révulsif travaillent à leur propre perte, et hélas à celle du pays aussi.