Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Sidna el bakchich

par Mimi Massiva

L'économiste Klitgaard a mis la corruption en équation : Corruption = Monopole + Pouvoir- Transparence. Une équation qui s'applique parfaitement au monde arabe à tel point qu'un chercheur a écrit que «s'attaquer à la corruption dans le monde arabe c'est comme s'attaquer au catholicisme au Vatican.»(1).

Le monopole et le pouvoir sont incarnés dans une seule personne qui décrète ce qui est licite ou pas sans avoir à rendre de compte à personne. Al Effendi affirme que la seule forme de corruption qui existe dans le monde arabe est la désobéissance au dirigeant. C'est vrai que les opposants politiques emprisonnés sont accusés de détournements d'argent, de corruption s'ils ne le sont pas pour espionnage au profit d'une puissance ennemie. On l'a vu en Tunisie, en Egypte en Irak, qu'il ne suffit pas d'éliminer le dictateur pour venir à bout de ce cancer. Le système gangréné a horreur du contrôle, sa survie dépend de l'extension de sa toile d'araignée qui se manifeste par une presse réprimée, la falsification des votes, la dépendance de la justice, l'inexistence d'institutions civiles. Dans les pays occidentaux, la corruption ne met jamais en péril les institutions. Avant 1997 avec la convention contre la corruption de l'OCDE (organisation de coopération et du développement économiques), en France, une entreprise qui voulait décrocher un marché à l'étranger créditait un compte en Suisse ou autre paradis fiscal au profit de l'intermédiaire ou du décideur. Aux USA, les journaux avaient souvent épinglé Halliburton (2) pour des affaires de pot-de-vin versés en Irak, Koweït, Nigeria etc.

D'après Transparency International, les Russes sont champions du monde du pot-de-vin derrière le Mexique et la Chine, mais la situation s'améliore chez eux avec l'apparition d'une classe moyenne qui aspire à être des «bons citoyens et ils pensent à leur pays», a déclaré la directrice de Transparency. D'après les Nations Unies, les causes de la corruption sont la mauvaise gouvernance, l'absence de toute politique anti-corruption préventive, institutions faibles, faibles salaires, culture administrative et corporatiste peu propice. La BM (banque mondiale) estime que de 2001-2002, il y a eu 1000milliards de dollars de pot-de-vin soit 3% des transactions internationales. Pour elle, les formes de la corruption sont les «dessous de table», la fraude, l'extorsion, le favoritisme, le détournement de fonds. Tout ce qui nous est familier hélas. Tout ce qui caractérise des régimes anti démocratiques. Quand un dictateur décide qu'il a le droit d'avoir ses propres puits de pétrole que c'est un don de Dieu, personne ne peut s'opposer à lui, et comme il a besoin d'un clan pour le protéger et délocaliser sa grotte d'Ali Baba, il l'arrose de sa baraka. En Arabie Saoudite où une famille régnante a donné son nom à tout un pays, fait unique dans l'histoire, ni César ni Christophe Colomb n'ont osé cette prétention, s'octroie les puits du pétrole comme un butin de guerre. Là, personne ne parlera de corruption, les cheikhs vous affirmeront que conformément à la charia l'émir a le droit au 1/5 de la razzia local. Pourtant l'or noir ne leur suffit pas. L'entreprise EADS est dans le collimateur des autorités anti-fraude britanniques pour avoir verser de fabuleux bakchich à la famille régnante afin d'obtenir un contrat de 2,3 milliards euros pour l'amélioration des systèmes de communication de la Garde nationale chargée de protéger la famille royale(3).

Aux USA depuis la crise, les banquiers dépensent aussi beaucoup pour leur protection. Le philosophe Ivan Illich parle de revolver indispensable pour celui qui «réussit» face à la frustration des autres, ceux qui «échouent». Pour avoir osé mettre un reportage de dix minutes sur YouTube qui révèle la pauvreté à Ryad, des jeunes ont été mis pendant deux semaines en prison(4). La vidéo, visionnée plus d'un million de fois, affirme que 89% des habitants sont endettés et plus de 22% des Saoudiens vivent dans la pauvreté. Al Effendi assure que pour purifier le monde arabe il faudra mettre toute l'élite derrière les barreaux. Pas seulement, il oublie les hommes de l'ombre du gardien du palais à celui de la prison. Sur les 18 pays arabes, l'Algérie est classée à la 10eme place loin derrière la Tunisie et le Maroc. Transparency pointe du doigt son mauvais fonctionnement de l'Etat à tous les niveaux, ses administrations publiques et sa classe politique sont sur la ligne rouge depuis plusieurs années. Pour réussir un printemps algérien, la moitie de la population serait indexée pour le grand nettoyage. Transparency constate qu'en Algérie aucun budget n'est alloué par une quelconque administration locale sans qu'un bon pactole soit prélevé. On estime à 1/3 du produit national brut(PNB) dilapidé à cause de la corruption dans les pays arabes(5). En comparaison, les scandales français révélés par la presse sont des blagues. Deux membres du gouvernement Fillon ont dû démissionner : Alain Joyandet accusé d'avoir loué un jet privé pour des dizaines de milliers d'euros pour des besoins professionnels et Christian Blanc pour l'achat de cigares à 12000 euros aux frais du contribuable. Des cas impossibles dans les pays arabes où l'opposition n'existe pas, les journaux aux ordres ou pour la façade. C'est les pays les plus pauvres et les moins démocratiques qui sont les plus corrompus. La corruption met en péril tous les principes fondamentaux de l'égalité, on n'accède plus par le mérite mais par commissions occultes. Le privé et le public ne sont plus dissociés. On ne sert plus la politique on s'en sert. Plus l'individu est dans le besoin plus son chef est riche et cette inégalité entraine les conflits armés, le mal devient endémique catastrophique. D'après l'Union africaine la corruption représente 25% du PNB de l'Afrique soient 148 milliards de dollars(6).

Depuis le 11 septembre 2001, le blanchiment d'argent sale et les transferts illicites sont au cœur des préoccupations mondiales. Transparency n'est pas une ONG créée par l'ONU ni par un quelconque pays occidental soucieux de moraliser les échanges commerciaux, c'est la révolte d'un homme, ex employé de la BM (banque mondiale), Peter Eigen. Pendant des années il a essayé en vain de réveiller la conscience de la prestigieuse institution qui l'employait. En 1993 avec une poignée de volontaires il a fondé Transparency qui a aujourd'hui 42000 correspondants dans le monde entier.

En Inde un homme, Anna Hazare, 72ans, descendu de son village perdu pour planter sa tente au cœur de New Delhi. Il fait la grève de la faim, façon Gandhi, pour lutter contre la corruption et son succès est planétaire. Lutter contre ce fléau semble si simple si la volonté y est. Chez nous, toutes les revendications tendent à une réévaluation d'un salaire ou l'acquisition d'un logement comme s'il n'existait en Algérie que ces deux soucis pour vivre dans un éden. Pourtant c'est justement à cause de la corruption que nous avons la pauvreté et les bidonvilles. Il y a pourtant des Hazare et des Eigen chez nous mais en prison. Des maires comme celui de Zeralda qui a osé s'opposer à la maffia locale. Ses collègues ont raté l'occasion de se mobiliser pour le soutenir, il l'avait pourtant élu président afin de créer le premier forum des maires d'Algérie et revendiquer un meilleur statut. Contrairement au député, cet élu au contact de la populace a le salaire d'une femme de ménage? comment s'en sortent-ils sans leur mentor tout en préservant leur « propreté » ? Et ces scandales de pénuries de médicaments, des bébés sans vaccin, des dizaines de cancéreux qui meurent chaque jour faute de soins, des blocs opératoires bloqués, que faut-il de plus pour que les blouses blanches aillent protester auprès de leur ministère à moins qu'ils pensent que c'est le boulot des malades et le serment d'Hippocrate est passé de mode. Pourtant un toubib ça impressionne, à chaque fois qu'il s'énerve, l'Etat cède. Idem pour les enseignants surtout ceux des universités, la prestigieuse CNES qui sait réussir ses protestations, à part les salaires et les logements ; rien à signaler. Le piston dans les concours, les diplômes leurres, la dégradation de l'éthique, la fuite des cerveaux, le mauvais classement international,? des affabulations journalistiques.

Ouf, ils nous rassurent, la corruption s'est arrêtée aux portes de l'école et des hôpitaux ! Folie passagère, la révolte de nos jeunes qui cassent et brûlent tout. Quant à nos vieux, tous SDF avant les grèves. Le reste on s'en fout. A ce stade là, on se demande si on n'est pas tous sous l'emprise de Sidna Bakchich, nos âmes ont dû lui être données à la naissance. La réponse viendra sans doute à la prochaine guerre dite civile ou quand nos enfants verront la dernière goutte de pétrole s'évaporer...

Note :

(1) Journal Al-Hayat, Londres ( Dr Abd El-Wahhab Al- Effendi écrivain et chercheur Soudanais)

(2) Multinationale spécialisée dans l'exploitation pétrolière et qui a eu comme PDG Dick Cheney, vice-president de Georges W.Bush

(3) Le journal Daily Telegraph

(4) Firas Buqna, Hussam Al-Darwish et Khaled Al-Rasheed

(5) Amer Khayat, Directeur General de l'organisation arabe de lutte contre la corruption

(6) M. Nuhu Ribadu, Directeur de la Commission de lutte contre les crimes financiers et économiques