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Le sabre médiéval, ce nouvel attribut du paganisme urbain

par Farouk Zahi

Comme si les années de feu et de sang n'avaient pas suffi à déchirer le tissu social en constitution pour qu'apparaisse encore, le spectre de tragiques déchirements. Hier à Bab El Oued, aujourd'hui à Baraki, les cors de la guerre mugissent à la mort. Un point commun, cependant, lie les deux lieux aux antipodes l'un de l'autre : « La Carrière » (Diar El Kef ex Carrière Jobert). On est enclin à dire « Ahl El Kef », ce clan célèbre de la Tradition coranique, qui aurait dormi 309 ans pour se réveiller hors temps. Sauf que l'histoire des anciens, pleine d'enseignements, ramenait toujours à Dieu. Immensément béante, la déchirure voit ses bords s'éloigner de jour en jour. Les nantis se cloitrent derrière des murs de plus en plus hauts, les damnés des HLM se livrent des guerres nourries par le déni. On rejette volontiers la faute sur des repris de justice graciés, à l'occasion du cinquantième anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale. Il est même suggéré à l'instance judiciaire de l'application des peines, le retour au bagne alfatier de sinistre mémoire. Sait-on au moins qu'il n'existe presque plus d'alfa ? Flétri par la désertification, il tend à ne plus être endémique. Notre approvisionnement en papier nous vient présentement de la lointaine Amazonie. En citant nommément les gens de la Carrière, on semble rassurer le reste des habitants qui seraient lavés de tout soupçon. La brutalité est vite expliquée par le raccourci que prennent les têtes pensantes en stigmatisant une catégorie de population forgée par la détresse de la précarité sociale. Connaît-on au moins les cellules dans lesquelles ont été parquées des familles entières, depuis plus de deux générations déjà ? Sait-on au moins que, pour se soulager, les femmes attendaient la nuit pour visiter les fosses d'aisance, la tête couverte d'une serviette de toilette et que les sœurs ne peuvent changer de linge qu'en l'absence des frères? Merci mon général (de Gaulle) pour le cadeau empoisonné que fut votre Plan de Constantine.

Vous avez transformé de rustiques paysans en zombies urbains. Vous les avez, par cette promiscuité, rendu indignes. Le pays souverain, n'a pas fait mieux ; il a même essayé d'humaniser ces ghettos, mais en vain. Diar El Kef et Diar Es Shems sont les tatouages indélébiles faits sur le front de la dignité humaine. Des cadres et des universitaires, honteux de leurs ghettos, déclinent volontiers leur résidence à Climat de France ou à El Madania. Mais cette errance ne doit justifier aucune dérive, fût-elle ressentie comme légitime.

Allez reprocher, maintenant, à la progéniture de ces quartiers, plus de citoyenneté patriotique. Ils vous riront à la barbe et feront valoir des droits que vous avez acquis vous-même, par le seul fait d'être nés dans ce pays. La nouvelle résidence d'Etat du Sahel semble narguer les 200 familles qui gitent sous la tôle juste en face. Faute de justice sociale, selon leur conviction, les « délinquants » se font justice eux-mêmes, en utilisant les moyens les plus dissuasifs en leur possession. Faire usage du sabre est, sans nul doute, le cran supérieur pour asseoir sa domination physique. Il est fait recours à la loi du plus fort par l'outil médiéval pour mieux terroriser. Et là, nous ne sommes pas loin de l'utilisation de l'arme automatique si par malheur, elle était disponible sur les marchés comme dans certains pays. Quelle est cette rancœur qui gite dans les cœurs, pour en arriver aux voies de fait, sans distinction de l'âge ou du sexe ? A-t-on perdu tout discernement pour en arriver là ? Mais enfin quel a été le différend à l'origine, pour constituer le détonateur de cette explosive vendetta ? Un simple stationnement dans le parking commun pour un visiteur occasionnel. Décidément, le droit de garage devient la pomme de discorde ; au quartier « Siloc » de Constantine, c'est un gardien de parking qui a été embroché par un sabre mercenaire. Le commanditaire aurait loué les services de « tueurs à gage » pour laver l'affront du refus de stationner. Après les sanglantes échauffourées de Baraki, les anciens résidents exigeraient le départ des 60 familles nouvellement installées pour motif de délinquance. Rien que ça ! Se pourrait-il que toutes ces familles soient d'un coup toutes délinquantes ? Ne faudrait-il pas, à l'instar des animaux de la savane africaine, tracer ses limites territoriales par ses déjections biologiques ?

Mais où sont passés le maire, le député et autre sénateur pour que ces résidents règlent leurs comptes à coup de cocktails Molotov et sabres épiques ? On susurrait à longueur d'entretiens télévisés et radiophoniques, que la couvée élective de 2007 était beaucoup plus instruite que les précédences et que par conséquent, l'abord des préoccupations citoyennes sera plus scientifique que pragmatique et que ?et que. Les résultats sont malheureusement là et les faits têtus. Sur tous les « champs de bataille », on n'aura vu que les services de Sécurité et la Protection civile. Est- ce à dire qu'il n'existe plus de municipalité ? Apparemment oui ! Il est devenu fréquent de recourir à l'intercession des Sages. Il n'est fait appel à ces spectres fantomatiques que lorsque le merd? devient incontrôlable.

Au final et en dépit des bons offices des uns et des autres, la furie aura fait une dizaine de blessés plus ou moins graves, le saccage d'une cinquantaine de véhicules et des effets cicatriciels difficilement résorbables. Ne faudrait-t-il pas, dans ce cas, constituer des collèges municipaux par ces notabilités occultes, mais qui existent pourtant, en dépit de cette fixation qu'on fait sur le mode opératoire électif de l'ancien occupant colonial ?