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Solidarité occasionnelle d'une politique conjoncturelle

par M.Boukherissa Kheiredine

«Grâce à cette solidarité, nos démunis se nourrissent un mois sur douze.»

«Celui qui a le ventre plein croit toujours que personne n'a faim.»

L'Algérie est aujourd'hui un pays riche. Toute la planète en fait l'écho. L'embellie financière qu'elle affiche depuis quelques années ne fait qu'attirer davantage de larcins et de rapaces attitrés par la mondialisation, aidés par des aiguilleurs locaux et soutenus de surcroît à ses dépends par les instances internationales qui tentent de nous imposer leur diktat. Plus de 133 milliards de dollars de réserves en devises et environ 40 milliards dans la caisse de régulation en attente d'une politique rigoureuse basée sur des dynamiques probantes en terme de performance et de productivité.

 Le libéralisme à outrance défendu par certains esprits rompu aux gémonies capitalistes s'affronte aux néo-conservateurs en mal de notoriété qui s'inventent des concepts désuets pour réaffirmer leur existence en péril. Dans cette guéguerre stérile des frères ennemis, coalitions et antagonismes, viennent s'embourber les éternels indécis d'une économie virtuelle.

 Ce pays qui a traversé plus une décennie macabre, des moments d'une intense gravité, ne mérite-t-il pas le répit des braves. Sans l'abnégation des uns et des autres, et en particulier nos services de sécurité tous corps confondus et les médias, son destin allait chavirer vers des rives incertaines. Les valeurs ancestrales fruits d'une stratification mille fois séculaire lui ont value d'énormes sacrifices. Socle de sa personnalité, les droits de l'homme, la liberté et le respect d'autrui demeurent encrés dans les tréfonds de sa culture.

 En dépit de cette embellie, ni les pénibles sacrifices d'hier et encore moins ceux d'aujourd'hui lourdement consentis par ce peuple martyrs, ne semblent influer sur la condition humaine de notre plèbe. Les signes avant coureurs d'une citoyenneté même inachevée, ou d'une citadinité même virtuelle, ne profite presque à personne, et encore moins à nos démunis. Les pauvres demeurent une entité négligeable, qui ne mérite même pas de figurer dans le lexique officiel. La perversion de notre mode d'habiter complique davantage notre quête de citadinité. Même la ruralité se dégrade progressivement sous le poids des incompétences urbanistiques. Ils confondent entre villes, villages, bourgs, douars et dachra s'ils en restent, et se projettent dans des cités et des métropoles insaisissables. Universalité oblige !!!

Nos concitoyens, propriétaires légitimes du droit à disposer de cette opulence, générosité Divine, ont-ils besoin de quémander un couffin pour vivre décemment, et encore, l'espace d'un mois. Le recevoir avec dédain sous les feux de la rompe, et en fils indienne. La révolution de novembre, fille unique de mai 45, est sensée avoir libéré nos essors et dénouer nos esprits, mais également nos corps des séquelles de la colonisation, de l'état d'indigénat et de la spoliation que nos pères ont dus subirent durement durant plus de 130 ans. Comment peut-on imaginer qu'aujourd'hui sous des cieux plus cléments et une aisance financière aussi fastueuse qu'enviable, l'état de déliquescence dans lequel se trouvent nos concitoyens, du moins les disqualifiés de la société, les qualifiés de «démunis», à défaut d'être classé dans la catégorie des pauvres, au point d'aller tendre la main et recevoir un couffin dont le choix des ingrédients offerts à la consommation et pour la circonstance n'obéissent ni à leurs volontés, ni à leurs désirs et encore moins à leurs propres besoins du moment. «A cheval donné on ne regarde pas les dents», répliquera certainement ceux qui prônent ce modèle de société indigne. Pourquoi s'entêtent-on depuis des années à s'engouffrer dans ce concept réducteur, alors que nos imâm, nos érudits et nos intellectuelles avertis, vous diront qu'il existe d'autres moyens, dignes et honorables pour valoriser l'Algérien et l'intégrer dans la citoyenneté avec dignité. «Lève ta tête à ba», entonnait à chaque rassemblement populaire dans ses discours pré-électoraux le Président de la république en direction de ses plébiscitaires pour leur signifier qu'ils sont libre et indépendant et qu'ils ne doivent en aucune manière baisser la tête pour si peu et qu'ils n'ont que cette nation pour refuge. Ce qui apparaît par contre sur le terrain est aux antipodes de cette louable intention. La dégradation des esprits est plus dangereuse que celle des corps. Et le rêve Algérien dégringole au gré des circonstances et des incompétences.

Le syndrome des prix, un rituel algérien ?

A la veille du mois sacré, l'envolée des prix est rituellement spectaculaire. La mercuriale flambe. Les commerçants accusent les grossistes, qui à leur tour accusent les producteurs, lesquels ne trouvent d'arguments que de coller la faute à la météo qui dévaste, parait-il, chaque année une grande partie de leur récolte. C?est la faute à pierrot?qu'il fasse froid ou chaud !!!

Toujours est-il que la tradition est bel et bien respectée. Progressivement, l'algérien modeste, retient dans sa mémoire qu'à l'approche de chaque mois de Ramadhan le même phénomène communicationnel s'exprime. Un scénario qui par ses répétitions cycliques s'impose en s'intégrant dans le fait social. Un rituel qui s'encre d'année en année dans nos mœurs, voir même dans notre mémoire collective.

C'est acquis, le mois sacré est intimement lié à la hausse des prix. Une pierre tombale plantée en plein dans le socle des nos us et coutumes qui s'incruste progressivement dans nos habitudes quotidiennes depuis des années. Un des fondements, du néo-libéralisme, de la novelle Algérie qui se construit, il faut faire avec et s'y accommoder.

A trois jours donc du début du mois de Ramadhan, et comme par enchantement, les autorités en charge de ce dossier nous ont habitué à la même démarche depuis des années. Ils ont pris l'habitude de se réveiller de leur somnolence annuelle pour se livrer, en l'espace d'une séance médiatique à des argumentaires du moment pour y replonger aussitôt quelques jours après dans leur passivité. Opération de charme, compagne publicitaire, la rencontre organisée par les ministres de la république ne verse que dans des tentatives de disculpations des uns et des autres, chacun à sa manière, de la crise qui s'est faufilée dans les dédales du mois sacré. Une manière de se tirer d'affaire et se blanchir à l'occasion pour éviter les éventuelles réprimandes de la chefferie, plus haute?que la tutelle.

Secondées dans leur journée PLV, les corporations satellites présente au défilé abondent dans la même logique pour accabler en fin de compte le consommateur qui se transforme de l'état de victime à celui de bourreau. La réunion interministérielle, inhabituelle, se solde par un leitmotiv inédit, «c'est la faute au citoyen», ce n'est pas moi Monsieur, c'est lui!

Pris de vitesse par les maîtres du marché, décontenancé, et désarmé à la fois, faisant face à une situation incontrôlable, d'ailleurs depuis des lustres, lors d'une réunion interministérielle datant d'il y a trois ans et organisée à l'occasion en son siège, le ministre du commerce avait fait un aveu d'échec. Il a tenté péniblement de se disculper en usant de subterfuges incohérents. Il accable à cette occasion le citoyen, l'accusant d'être à l'origine de cette flambée cyclique des prix. «J'appelle les citoyens à consommer avec modération, car c'est leur abus de consommation qui provoque la hausse des prix.» Comme argument, on ne peut faire mieux dans l'art de la diversion et du camouflage. Il exprime incontestablement un état de déliquescence extrême. Versant dans le langage des chiffres pour se dépoussiérer des lourdeurs atmosphéro-politiques, il nous avait livré qu»Il y a 3 800 agents de contrôle à l'échelle nationale». Soit, moins de 85 agents par wilaya et 2 par commune, sans pour autant oublier que la plupart d'entre-eux se concentrent dans les grandes agglomérations. La disproportion est en ne peut plus flagrante pour se dresser en obstacle à la fraude. Pour corriger cette défaillance, il est prévu, selon lui et à trois jours du mois sacré un recrutement de 500 ingénieurs de contrôles, qui seront appelés selon le ministère à contrôler uniquement les produits subventionnés. «L'Etat veille sur ses investissements» avait-il précisé.

Pour lui les commerçants saisonniers, n'existent pas du moment qu'ils ne sont pas enregistrés au registre de commerce. Et d'ajouter : «je ne peux contrôler quelqu'un qui ne dispose pas de registre de commerce et qui utilise la voie publique pour vendre sa marchandise.» Au risque des conséquences qui peuvent en résulter, contaminations, intoxication, morts etc?j'avoue que j'avais retenue cette diatribe managériale émanant de l'ancien ministre comme une leçon à méditer et à inscrire dans les annales de l'histoire politique de ce «démuni» pays.

Une autre corporation, à savoir l'association des distributeurs du marché de gros tente de son coté de se blanchir. Selon son responsable : «la récolte de la saison d'été dans le nord du pays s'ouvre à partir du mois de mai et s'achève au mois d'août. La hausse des prix est donc engendrée par l'épuisement de la production et non pas à l'occasion du mois de Ramadhan». Pour justifier la hausse prochaine des prix, le responsable de cette association averti le consommateur sur l'éventualité d'une pénurie. Le hic, est qu'il déclare son incapacité à contrôler les nouveaux intermédiaires, qui imposent selon lui leur diktat et gèrent le marché à leur guise.

 Le même scénario sembles se jouer aujourd'hui presque de la même manière, mais avec de nouveaux acteurs. Et depuis des années, voir 10 ans que l'incapacité du ministère du commerce à se fier un chemin capable de freiner ce fléau qui s'instaure en dehors des pouvoirs publics. Notre nouveau ministre, faisant dans le même dialogue, nous informe par les chiffres le taux d'infractions (1 ), puis ceux des agents de contrôles prévus pour occuper le terrain et les nouveaux recrus pour atténuer à l'avenir, qui dure, le mal. Les propos du ministre sont déconcertants et confirment nos soupçons sur l'incapacité perpétuelle à réguler le marché. Il semblerait que «Pour arriver à mettre en place un contrôle commercial efficace, il est inéluctable de patienter jusqu'à l'élaboration du plan quinquennal 2010-2014, dans lequel il est prévu le recrutement de 7000 agents de contrôle supplémentaire, dont 1000 agents ont déjà été recrutés l'année dernière et 5000 le seront entre 2011 et 2012». Fin de la projection !!!

Les promesses de l'Etat avant le début du mois sacré, même si elle s'inscrivent dans la logique sécuritaire, soutien de produits alimentaires, disponibilité de produits de large consommation, baisse des prix de viandes rouges et blanches, les déséquilibres inhérents aux secteurs en charge de la tenue de ses promesses demeurent incapable d'en assurer le cheminement. Quelle attitude devrait donc avoir l'Etat face à cette flambée des prix de produits de large consommation malgré les moult promesses avancées chaque année par le ministère du commerce quelques jours avant le jour fatidique de carême. En l'absence d'une stratégie globale susceptible de réguler, maîtriser et conduire les activités commerciales en concert avec les para-secteurs, de manière à ce que chaque intervenant dans le processus puisse jouer convenablement son rôle sous la houlette et le contrôle rigoureux de l'Etat. Est-ce une utopie ou un souhait inaccessible?

Le ministère du commerce doit «remettre de l'ordre dans son souk» comme préconisé par le Président de la république et revoir sa feuille de route en évitant de tomber dans les tergiversations stériles. Cette remarque faite lors des consultations Ramadhanesques n'a pas fait son effet. Elle est restée lettre morte, même le Président au rythme de ce qui nous est livré à ce sujet semble l'avoir oublié. Que fera-t-il de remarques à ce sujet cette année ?

La régulation du marché et la lutte contre la fraude sont impératifs, cependant ils nécessitent la conjugaison des efforts de tous les intervenants dans le secteur et l'appui inconditionnel des autorités locales, wali, chef de daira, des assemblées populaires communales et associations. A condition que cette dernière puisse jouir de toutes les prérogatives qui lui sont allouées par la loi. C'est à ce niveau que la régulation devrait être matérialisée dans le cadre de la gestion globale de la ville et son urbanité. Une décentralisation effective et efficace !

Ce qu'il faut retenir pour se prémunir?

Le mois de ramadan est un mois indicateur des capacités managériales de tous les secteurs confondues et particulièrement, un mois bilan pour le secteur du commerce dont les performances sont beaucoup plus affichées que les autres. C'est le bilan de toute l'activité annuelle et par ailleurs un éclairage sur l'existence ou non d'une politique commerciale adéquate pour le pays. Ce n'est pas un hasard si le président de la république choisi ce mois pour diagnostiquer les secteurs d'activités de sa politique. Car toute politique digne de ce nom se base sur des prévisions, des projections et sur un état des lieux, base fondamentale, à toute démarche cohérente. En l'absence d'une vision stratégique, tous les subterfuges sont valables pour détourner l'attention et verser dans le conjoncturel.

Ce qui est apparent, c'est que rien ne semble avoir été prévu sur la base d'un management de projet de qualité. Les choses se font au jour le jour et au gré des circonstances. Une sorte de gestion de crise, née, non pas d'un processus commercial performant faisant face à une forte concurrence, mais plutôt, le fruit d'une bureaucratie désuète qui fait dans le colmatage des brèches fissurées et malmenée par son parallèle.

L'illicite, élément du décor urbain !

A l'heure où le ministère du commerce s'embrouille dans ses chiffres vieux de quelques mois, exhibant à l'occasion sa chétive musculature, plusieurs wilayate vivent, depuis le début du mois, le calvaire du commerce informel qui s'étend en toute impunité comme une marée noire. La prolifération de ce marché, illégal, au vue et au sue des autorités compétentes laisse perplexe. Il échappe miraculeusement à tout contrôle, occupant les coins et recoins de nos villes proposant des gammes variées de produits alimentaires avariés.

Pour l'illicite tout le monde s'y met, même les commerçants licites. Cette corporation est d'ailleurs dans la confidence, puisque la majorité de ses adhérents pratiquent cette activité occulte pour arrondir leur fin de mois. Les taxes fiscales imposantes, justifient les moyens.

Une corporation qui confond entre libéralisation et anarchie. Et fait, à l'occasion, dans la solidarité occasionnelle, incapable de maîtriser ses propres adhérents, elle jette le discrédit sur le dos de l'Etat, qui, pour elle, n'a pas les capacités à faire respecter les «coefficients servant de base de calculs des bénéfices» par les commerçants. Ceux-là échappent au contrôle, puisqu'il est lui-même absent et instaure leurs propres règles. Manque de visibilité, il tente de justifier son existence éphémère par un soutien circonstanciel aux associations de bienfaisance en leur apportant aides et assistance.

A défaut de discipliner ses propres adhérents en les incitant pédagogiquement à éviter l'illicite et à se conformer aux règles qui régissent la légalité, elle tente de se refaire une virginité durant ce mois en se donnant pour acteur dans la solidarité. Ce compromis «autorités et commerçants illicites» ne date pas d'aujourd'hui. Il est la conséquence directe de facteurs exogènes liés à l'emploi, au commerce, à la délinquance, à la pauvreté et à biens d'autres composantes qui font la ville.

La politique de la ville, mort-née, est tributaire de ces conflits sociaux. Elle est capable dans une démarche cohérente de réguler cette situation qui semble inextricable. A quand donc, une régulation réelle et effective des marchés, une maîtrise des données du commerce avec un fichier contrôlable des commerçants et la réhabilitation des marchés couverts et la réalisation de nouveau marchés.

Le ministre de la solidarité et des autres?

Tous les musulmans doivent se porter assistance et se respecter. L'Apôtre de Dieu dit en effet : «Le musulman est un frère pour le musulman. Il n'est pas injuste envers lui, il ne l'abandonne pas (à ses ennemis), il ne le méprise pas. Suffit comme péché pour l'homme de mépriser son frère musulman. Le musulman est entièrement sacré pour le musulman : son sang, son bien, son honneur».

En réponse à une question orale, le ministre de la solidarité nationale et de la famille, a précisé que les restaurants de la Rahma (du cœur !) ont distribué durant le mois de Ramadhan, la totalité de 5 millions de repas à travers les 678 restaurants contre 500 durant l'année 2009. Comme, il avait précisé que par mesures préventives et de santé du citoyen, la tutelle a initié la mise en place d'un cahier de charges relatif au respect de la propreté et une autorisation préalable pour la distribution de repas. On ne pouvait espérer mieux dans l'avancé spectaculaire dans le monde la solidarité.

Or, la notion de solidarité telle qu'elle fut instruite et pratiquée à travers l'histoire de l'islam est éloquente. Elle renseigne sur l'état de santé de l'Etat et de ses pourvoyeurs envers les nécessiteux. Barkat, cherche à se valoriser par rapport à son prédécesseur. Ses propos, se focalisent sur le nombre de repas distribués et de restaurant ouverts.

Cette double performance ne témoigne nullement de la bonne santé du secteur, mais tout au contraire de la mauvaise foi de ses représentants et de la désolation de voir que nos démunies, au lieu de connaitre une situation sociale plus valorisante les distrayant définitivement de cette catégorie, ils augmentent proportionnellement par rapport aux intentions politiques de chacun.

On s'appuyant sur les fondements de notre religion, l'islam, la solidarité étatique n'est qu'une redistribution des richesses selon des règles illicites en réalité établies par le pouvoir en place quelle qu'en soit sa nature. Ramadhan est l'occasion propice pour dissimuler cette hérésie. Le pauvre qui ne semble nullement en profiter durant toute l'année est mis en évidence juste pour justifier l'injustifiable. Il est par contre livré à son sort les 11 mois qui restent. Or, en opposant ce type de solidarité made in occident, aux valeurs du travail toute la problématique versera dans la problématique des valeurs morales qui régissent notre société.

On encense le peuple de sa propre barbe. Et c'est l'Etat qui tire un bénéfice publicitaire. Puisque cette solidarité n'est nullement le fruit des richesses propres aux dirigeants ou aux riches commerçants, mais émanant de la caisse de l'Etat, laquelle est prélevée des impôts imposés au citoyen. Il serait donc, plus commode et plus noble de libérer les initiatives et donner l'occasion aux associations de démocratiser la solidarité.

D'autant plus que la zakat mère de la solidarité est non seulement un des cinq piliers de l'islam, mais un acte purificateur pour le musulman qui le rapproche de plus en plus vers son seigneur...que Dieu nous préserve des dérives inconscientes d'un politique incohérente.