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Aperçus sur le mouvement sportif national Réforme sportive et démocratie !

par Si Mohamed Baghdadi

La réforme sportive d'hier est-elle possible aujourd'hui? Répondre à pareille question doit nous conduire à tenir compte de l'évolution de la situation au sein du monde, du pays, du MSN et des multiples mutations les ayant affectés.

Or, après octobre 1988, tout bascule, tout va changer et tout change effectivement.



Après Octobre 1988



Il est maintenant reconnu que, depuis près de vingt ans, l'Etat s'étant progressivement désengagé de la sphère sportive, le mouvement sportif national a été pratiquement livré à lui même, ou presque. Il est incontestable que les ASP, prises en charge financièrement par les plus grosses entreprises nationales, dès la mise en application du Code de l'EPS, ont généré des appétits et aiguisé des intérêts, chez tous les protagonistes: dirigeants, entraîneurs et athlètes.

Cette période de vaches grasses a pu faire illusion et donner l'impression que l'on venait de découvrir la panacée pour assurer au sport algérien un développement durable.

Toutefois, avec la chute du prix du pétrole et aux premiers plans d'ajustements structurels, dictés par le FMI, le réveil allait être brutal. Il fallait dégraisser, et c'est le sport et la jeunesse qui commencèrent à payer les frais de cette opération chirurgicale, menée sans état d'âme.



Désengagement de l'État : le sport passe à la trappe du FMI



Rappelons qu'à l'époque, le Gouvernement Hamrouche (89-91) n'avait retenu qu'un ministère de la Jeunesse ; le sport, ayant été passé à la trappe d'un PAS (Programme d'Ajustement Structurel) impitoyable. Le Conseil National des sports fera plusieurs déclarations pour appeler les pouvoirs publics à mettre fin à ce désengagement. Après cette réaction du Conseil national des sports appuyée activement par tout le M.S.N - une marche de protestation fut organisée par l'Association des cadres du Sports (ACS) - un ministre délégué sera nommé auprès du ministre de la jeunesse. Toutefois, dans la foulée de cette décision (ministre délégué), le chef du Gouvernement, M. Hamrouche signera, de façon confidentielle, un décret exécutif 90 307 du 13 octobre 1990 rendant caduques les dispositions de la loi 89-03 du 14 février 1989 relative au conseil national des sports. Ce décret fut en réalité signé pour pouvoir mettre fin au mandat de l'exécutif du CNS. Fortement épaulé par l'ensemble du MSN (menace de gel des activités sportives sur tout le territoire national), le Président du CNS (Hamid Oussedik) sera reçu à la Chefferie du gouvernement. Un accord sera trouvé grâce à la décision de geler le décret «scélérat». Quelques jours plus tard sera organisée, au Palais du Gouvernement, une réunion Gouvernement-M.S.N. Elle aboutira à la mise en place d'une commission de travail dont les décisions et les résultats seront extrêmement positifs pour le sport national. A ce jour, nous n'avons jamais assisté à quelque chose d'équivalent. C'est là la preuve que loin «d'affaiblir» l'Etat, le gel du décret exécutif a, au contraire, favorisé confiance et coopération entre tous les acteurs du sport national. Pour n'avoir pas voulu, ou pu opter, pour une solution similaire, en ce qui concerne le décret 05-407 du 17-10-2005, le M.S.N est plus que jamais affaibli par la multiplication de ses divisions et tensions latentes.



Les années rouges



Au cours de la même période, le pays entrait dans l'oeil du cyclone terroriste. On ne mesurera jamais assez combien cette période fut néfaste pour le MSN, tant au niveau de la pratique générale de l'EPS -les femmes et les jeunes filles ont été les premières victimes de la pression sociale exercée sur les consciences, au sein des quartiers et des établissements scolaires - que des résultats du sport de performance. On ne pouvait s'entrainer à Chréa ou à Tikjda, sans avoir la peur chevillée au ventre, lorsque l'on avait le courage de vouloir le faire.

Le désastre et le désordre gagnaient, comme un chancre, toutes les sphères de l'activité nationale.

C'est ainsi que, durant ces quinze années d'outrage et de rapt, de violence et de carnage, l'on vit grandir l'influence des forces de la politique, de la violence et de l'argent au sein du MSN, entrainant son irrémédiable régression. Leur intrusion anarchique ou calculée, de plus en plus pernicieuse et cancérigène, allait causer les dégâts que l'on identifie aujourd'hui avec stupeur. Et ce, dans le même temps où l'on découvre que le pays a évolué, que les valeurs et les repères ont aussi changé de cap et cinglent vers le large de tout ce qui rapporte, ici et maintenant, le maximum de profits.

Les jeunes, las d'attendre d'hypothétiques emplois de la part d'un système rentier, décident d'arracher leur place au soleil des adultes, en créant toutes les filières de l'économie informelle représentant, aujourd'hui, près de 40% du PIB. Le trabendo est désormais reconnu. Il a pignon sur rue, et gangrène l'économie administrée, en accentuant son niveau de corruption. Terrorisme, trabendo et effets néfastes de la mondialisation commerciale et financière, entraînent l'Etat dans les reculades et les renoncements, dans la dérégulation, dans la déréglementation et la privatisation forcée ; triptyque infernal auquel nulle nation n'échappe, surtout celles des pays en voie de développement. C'est dans ce contexte réel, qui voit l'Etat céder le pas à l'intervention des multinationales et son rôle se réduire à leur servir de marchepied, qu'il faut appréhender et apprécier les dérives affectant le monde économique, social, culturel et éducatif et, enfin le sport, dans notre pays.

Dans le domaine du sport, l'Etat fut loin de maintenir le cap. Bien au contraire, les multiples changements ayant affectés la place du 1er Mai- on a compté plus de onze titulaires du poste de ministre en l'espace de quelques années - ont ouvert la voie à une instabilité chronique dont les répercussions sur le MSN furent désastreuses.



Le sport au cœur de la crise



Car le sport ne vit pas en marge de la société. Bien au contraire, il y baigne. C'est un lieu commun que de dire qu'il se trouve affecté par les mêmes maux, les mêmes travers et les mêmes dérèglements. L'argent et la politique y font bon ménage, et y occasionnent des ravages connus de tous.

Des intérêts et rentes de pouvoir ou de situation s'y défendent, des alliances s'y tissent et se défont au gré des rapports de force. Le sport sert parfois de pavois à certains groupes industriels ou financiers ; évolution somme toute naturelle, observée à travers le monde, ayant, ici ou là, quelques effets heureux.

Chez nous, il faut aussi noter que le sport est devenu, pour certains opportunistes, n'ayant rien à voir avec la « chose » sportive, le moyen de faire fructifier rente de situation et avantages, au sein de certains groupes industriels. L'épisode Khalifa Moumène en relation avec le monde du sport, notamment la FAF et son Président, allait défrayer la chronique en ajoutant quelques louches à une confusion des genres bien entamée. L'argent faisait et défaisait les coteries et monter de manière artificielle la côte de certains entraineurs et joueurs.

Aujourd'hui, c'est dans le cadre de la crise mondiale de l'économie réelle et d'un système financier international déboussolé, poule aux oeufs d'or pour les golden boys et les traders en mal de profits aux moindres coûts, qu'il faut poser le problème de la relance du développement sportif.

La débâcle est tellement large et profonde que nul n'a encore trouvé la parade miracle à la descente aux enfers qui vient de s'amorcer pour l'ensemble de la planète. Alors que les emplois se perdent par milliers et des familles entières sont plongées, du jour au lendemain, en plein désarroi, à travers le monde ; chez nous, on en parle bien peu, si ce n'est en termes lénifiants et de mirobolantes promesses. Comme si le maelstrom planétaire allait épargner notre pays et, partant, le mouvement sportif national.



Une autre réforme est-elle possible ?



Parler d'une autre réforme, c'est considérer que le monde est immuable. Or tout change avec une rapidité chaque jour plus grande et la réponse à cette question ne peut être que négative.

Le problème est de savoir comment faire face à tous les changements intervenus, et dans le monde, et dans notre pays - changements de plus en plus difficilement maîtrisables - pour concevoir une autre réforme. Surtout que nul ne veut avouer clairement les réels impacts de la crise financière internationale sur l'économie de l'Algérie.



Quel projet de société et quel sport ?



Et de se poser une question fondamentale : de quel sport la société algérienne a-t-elle besoin en ce début du 21ème siècle, et pour le 21ème siècle ? Par quel projet de société devra-t-il être porté ? Tout comme le système éducatif algérien dont l'éducation physique et sportive est partie intégrante : à quel type de société devra-t-il préparer l'enfant de demain ? En terme de méthode, précisons qu'avant d'entreprendre, il faut concevoir ; et, pour concevoir, dresser la carte du sport algérien dans toutes ses composantes et tous ses démembrements : les différents types de pratiques qui le composent, les pratiques traditionnelles et les nouvelles qui surgissent ; comme les sports à risque et bien d'autres qui vont apparaître et que nous ne connaissons même pas. Quel est l'état réel du sport de haute performance, par rapport au niveau mondial, et ce, dans toutes les disciplines, pour mesurer et les écarts et les moyens à mobiliser ? L'état de la formation des cadres puis celle de la recherche scientifique appliquée au sport, de la médecine du sport, le système de détection et de perfectionnement des jeunes talents sportifs ? etc...

Face à la carte actuelle, et aux grandes lignes de l'évolution qui se dessinent, quels sont les enjeux ? Devant une marchandisation croissante du sport de haut niveau, et face à l'échec patent de l'ordre néo-libéral, ne faudrait-il pas se poser la question, comme le font les altermondialistes : un autre monde est-il possible ? un autre sport est-il possible ? Et si un autre monde est possible, un autre sport l'est également. Les adeptes du sport populaire ont déjà dessiné les contours de ce que devrait être un autre sport. Un sport qui mettrait l'homme et la formation des enfants et des jeunes au centre des préoccupations, et concevrait d'autres formes de compétition, permettant de coopérer et non d'exclure l'autre, adversaire d'un jour et non ennemi pour toujours. Tous les acteurs du MSN devraient participer, de manière permanente, à cette grande et nécessaire réflexion sur la place, le rôle et les destinées du sport dans notre société. Mais ceci est une question de gouvernance ; et il ne semble pas que la mode soit favorable, aujourd'hui, aux alternatives démocratiques.



Le mouvement olympique, la crise et la refondation du capitalisme



Quel sera l'avenir du mouvement olympique qui rythme la vie et l'organisation du sport à travers la planète ? Ne va-t-il pas subir le même sort que l'olympisme grec, mort d'une overdose d'argent, de violence, de drogue et multiples tricheries ? Faut-il rappeler que c'est en 393 que Théodose le Grand interdit la célébration des jeux olympiques parce que le christianisme combattait le principe même de l'athlétisme. L'état de l'olympisme moderne nous renseigne quant à lui, sur l'essence de ses joutes où le dopage et l'argent pervertissent les valeurs de l'idéal olympique ; comme ils exacerbent la course aux médailles que se livrent les Etats d'aujourd'hui qui, hier - et probablement toujours valable, aujourd'hui - poursuivent la course aux armements. Mais certains idéologues n'ont-ils pas dit que le sport, serait la poursuite de la guerre, sous d'autres formes.

Face à la crise financière qui affecte, inquiète et désarçonne toute la planète, les dirigeants américains et leurs alliés européens pensent sauver le monde en refondant le capitalisme. Or refonder le capitalisme, c'est fonder un nouvel ordre capitaliste qui entrera en crise dans quarante ou cinquante ans - selon la fameuse loi des cycles longs - ou même plus vite encore, en passant par une troisième guerre mondiale. La crise de 1929 n'a-telle pas enfanté le nazisme allemand et le fascisme italien, et donné naissance à la deuxième guerre mondiale. Au lieu de refonder un nouvel ordre du profit et de la destruction de l'humanité, de son écosystème et de sa culture, pourquoi ne pas assainir les finances internationales des brigands et des prédateurs ? Pourquoi ne pas refonder l'économie de la planète sur des bases plus justes et plus solidaires, maintenant que les Etats, après être devenus les vicaires des grosses multinationales, voient celles-ci mendier leur aide. Il faut construire un monde à la dimension de l'homme, un nouvel ordre planétaire à « visage humain », prenant en considération les besoins de tous les hommes, et non ceux d'une minorité de happy few, détenant plus de 80% de la richesse planétaire.



Tout changement a un prix



Vous pensez peut-être que nous sommes loin de la réforme sportive en Algérie ; personnellement je considère que nous sommes en plein dans la problématique à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés et à laquelle nous devons impérativement répondre. Tout changement à un prix. Et l'Etat sera appelé à être, le premier sponsor du sport de haute performance parce que le sport est devenu, qu'on le veuille ou pas, un indicateur du développement global d'un pays tout autant qu'un vecteur sensible de sa diplomatie.

Tout comme les collectivités locales auront à occuper, aux côtés de l'école et de l'université, une place de choix dans la relance du sport éducatif et du sport compétitif de performance. La crise qui sévit nous en donnera-t-elle les moyens ? Toute la question d'une autre réforme sportive est là. Cette perspective nous invite à éviter tant les fausses solutions que les faux problèmes.

Ce n'est pas en se précipitant dans les bras des agences de sponsoring que nous sauverons le football et le sport algériens.

Ce n'est pas en se préoccupant de la vitrine et en oubliant l'état de délabrement de l'arrière boutique que les vraies solutions seront trouvées et administrées, et que l'ère du changement et de la rénovation aura sonné.

Le sport algérien a besoin de se doter d'une politique qui ait du sens, dans un projet global de développement du pays, mettant la voix de citoyens libres et le respect de sa jeunesse, au premier rang de ses préoccupations. C'est au prix de valeurs renouvelées et d'institutions crédibles que se mesure le changement... du sport en Algérie. Et pour toute l'Algérie !