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Le talent et l'imprimeur

par El Yazid Dib

Si l'écrivain est un architecte de mots, un concepteur de rêves et d'évasion, l'éditeur devient un entrepreneur censé rendre viable l'œuvre. Or, dans plusieurs cas, tout est absent, tout s'évapore au profit du nombre de feuillets, du bristol et de l'encre injectée. Cette industrie de la page n'a, parfois, de rentabilité qu'aux détenteurs de la barbotine alfatière. Ah, l'édition, ce monde complexe où se disputent l'art et l'intérêt, la gloire et le gain. Un livre, par essence, n'a d'âme sublime que celle que lui insuffle l'auteur. L'éditeur ne fabrique en fait qu'un corps dont le souffle est inséminé par autrui. Un produit de commerce en pages noircies. C'est dire que derrière chaque livre se cache une grosse imprimerie.

Le plus gros de l'essence vitale d'un livre, pour certaines Maisons, ne se situe pas dans le fil romanesque qui l'anime mais bel et bien dans le vacarme des rotatives voulant tousser de jour comme de nuit. Leur réseau de distribution ressemble étrangement à celui qui se pratique dans l'agroalimentaire. Un livre quelconque est une affaire d'encaisse pour son manufacturier. Une réjouissance personnelle pour l'auteur, un accomplissement, parfois feintant l'illusion d'une notoriété. Si ce n'étaient le facebook et les quelques rubriques culturelles de quelques rédactions, personne ne saurait davantage sur tel ou tel auteur. Croyez-vous que pour être publié, il vous est exigé du talent ? L'on a vu des navets venir embarrasser les étals de libraires au moment où pudiquement des textes à mérite restent en archive de fichiers. Le talent devra s'attester sans nulle empreinte géo-identitaire, sans courtage inter-cessionnaire, juste par le brio, l'innovation et la richesse de l'expression.

Il fut un temps où le temps était au monopole de l'unique société nationale (SNED) où des noms avaient pu émerger des presses politiquement grincheuses et parcimonieuses. Avec l'avènement d'une certaine ouverture, la chose exigeait l'accès au monde de l'édition. L'on ne pouvait jauger une liberté d'expression sans celle de l'édition.

Alors des éditeurs capables et passionnés à côté d'autres cupides, fourbes et néophytes naissaient précipitamment. Dans le livre l'engagement est ailleurs. La bataille était un peu félonne entre un patriotisme économique qui n'avait que le nom et les gains générés par l'importation. La dernière muraille d'un monopole difficile à se conserver devait s'écrouler par-devant l'appétence des typographies et exciter la hargne de se faire l'imprimeur des manuels scolaires aux millions d'élèves. Le morceau n'est que juteux et n'a d'égal aucun autre best-seller.

Heureusement qu'une quantité vertueuse de Maisons qui se respectent persistent à hisser les valeurs du métier malgré les couacs du difficile créneau. Il y a de ces maisons qui n'ont de nom que par le nom des grosses plumes qu'elles publient. Ce sont elles (plumes) qui ont donné de la brillance à des enseignes au bord du gouffre. Yasmina Khadra en est l'une des plus illustres. D'autres, ont souvent fait sortir de l'anonymat des noms alors sans nulle lisibilité. Gallimard en 1942 à créé Camus.

Ainsi va ce monde, des fois c'est l'auteur qui hisse le mou logo, l'habille d'une renommée, des fois c'est au logo de braquer un jet de lumière sur l'ombre d'un auteur à peine en herbe sèche. Le plus souvent, l'un va vers l'autre. Dans tout ce magma c'est le lecteur, quand il est studieux qui souffre de cet engrenage grippé dans la courroie du talent à l'imprimeur.