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Un remède contre la mort...

par Kamal Guerroua

En français, quand on parle de la mort, on y fait parfois allusion par cette métaphore: «la grande faucheuse». Mourir, c'est l'ultime rendez-vous qui ne pose plus de lapin à personne. Pas une mince affaire parbleu ! Autrefois, dans un des villages de la vallée de la Soummam en Kabylie, il y avait un vieux qui craignait plus que toute personne au monde la mort, au point d'en être obsédé. Les villageois le savaient si bien qu'ils mettaient tout leur talent à le faire souffrir.

C'était devenu, d'ailleurs, un sujet de risée collective, alimentant blagues et anecdotes croustillantes pour la majorité des paysans, travailleurs de la terre.

Ce qui ajouta, de surcroît, du charme aux multiples scénarios que tissaient les rigolards bluffeurs, c'était que le vieux ne sortait plus de chez lui, et cela pendant de longues semaines, quand il entendit que quelqu'un était passé dans l'autre monde. Mais un jour, le destin lui avait souri de la plus belle des manières. Un émigré était revenu de France.

Cheveux longs et lisses, habits tout neufs sentant le parfum de Paris, grosses lunettes qui lui donnaient l'allure d'un intello qu'il n'était pas du tout. Le jeune parlait souvent en commençant ses phrases par : «Eh ben oui !», «eh ben oui», ponctuées par «chipa moi», «chipa moi» et un chewiya de «alors là», alors là». Un cocktail linguistique dont lui seul comprenait le rythme et le sens. Cela avait renforcé la foi chez le vieux que le jeune, analphabète à la base, était devenu un grand instruit en France. Au fil du temps, les deux s'étaient transformés en grands amis. Mais, enfin, ce n'était qu'une partie du jeu pour le jeune qui, de connivence avec les autres villageois, avait inventé la drôle histoire d'un certain médicament contre la mort, fabriqué par un fameux laboratoire américain.

Sautillant de joie, l'octogénaire embrassa vite le jeune et le sollicita avec toute sa force de le lui ramener, en urgence.

Bien sûr, il était prêt à tout vendre : cheptel, terre, propriété, maison, rien que pour avoir ce fameux sésame qui le sauverait de la grande faucheuse. Hélas ! De promesse en promesse, le jeune émigré qui ne fit, à vrai dire, qu'en rire avec ses amis et les autres paysans, gaspilla inutilement le temps du vieux jusqu'à ce que ce dernier soit parti dans l'autre monde, sans jamais avoir pu trouver remède à la mort...