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« Le Vigilant » : une sculpture de Rachid Koraïchi en mémoire aux martyrs de l'indépendance algérienne

par Lola Gazounaud

  «Le Vigilant», une sculpture monumentale de Rachid Koraïchi, est inaugurée le 1er novembre 2022 dans le Parc de la Courneuve, en Seine-Saint-Denis pour rendre hommage à celles et ceux, français et algériens, qui ont sacrifié leur vie pour une Algérie indépendante.

Il y a eu la création du «Jardin d'Orient», en 2005, au château royal d'Amboise: vingt-cinq sépultures réalisées pour honorer les membres de la suite de l'émir «Abd El-Qader».

Puis, en 2021, le « Jardin d'Afrique » voyait à son tour le jour à Zarzis. Pour devenir la dernière demeure des hommes et des femmes qui ont péri sur le chemin de l'Europe, et dont la Méditerranée a ramené les corps, par centaines, sur les rives de cette ville portuaire du sud tunisien. Cette fois, c'est en Seine-Saint-Denis, à l'occasion du 60e anniversaire de l'Indépendance algérienne que l'artiste plasticien, Rachid Koraïchi, né à Aïn Beïda en 1947, inaugure le 1er novembre 2022, au cœur du Parc Georges-Valbon de la Courneuve, une impressionnante sculpture de bronze.

Elle s'appelle «Le Vigilant». Cette silhouette, tout en signes et en symboles, s'élance sur trois mètres.

Un langage graphique désormais emblématique de l'œuvre de l'artiste, qui allie à une esthétique moderne et personnelle divers héritages portant tous la mémoire de ses ancêtres, de son territoire et d'une tradition soufie millénaire avant de se fondre dans la matière : bronze, argile, céramique, acier, pierre, textile, etc. Ici, la mémoire vertigineuse de cette «main humaine» éblouissante de technique s'exprime également à travers les savoir-faire des artisans avec lesquels l'artiste collabore pour réaliser ses œuvres souvent monumentales. Et ils sont nombreux. Des couturiers du Caire aux ateliers Factum Arte de Madrid - que l'artiste aime à surnommer la « NASA de l'art » et où le moule de la sculpture a été réalisé.

Érigée sur un haut piédestal, la sculpture du «Vigilant», le bien nommé, « garde, et de son regard domine les alentours. C'est celui qui protège. Une sorte de bouclier ». Contre l'oubli. Un signe de fidélité aussi, affirme l'artiste. « L'ombre ne nous abandonne jamais. Elle vit et meurt avec nous ». La sculpture projettera dorénavant la sienne sur la pelouse qui descend vers le Grand Lac, dans le Parc de la Courneuve. Tout près de là, les deux maisons du parc veillent, celle de Victoria Montou, baptisée ainsi depuis 2022 du nom d'une des grandes figures féminines de la révolution haïtienne et de son indépendance en 1804, et celle d'Édouard Glissant, poète, philosophe et militant martiniquais.

Dans ce vaste espace vert de plus de 400 hectares, le département de la Seine Saint-Denis souhaite en effet faire « pousser » la mémoire. Son Président, Stéphane Troussel et vice-Présidente Dominique Dellac, évoquent « un combat à mener inlassablement ». Ainsi, se font-ils volontiers les chantres de l'art qui, «dans l'espace public, contribue à nous faire entrer dans l'âge de la maturité mémorielle». L'Histoire se profile. A commencer par le passé colonial, une évidence dans un territoire comme celui de la Seine-Saint-Denis «où l'histoire entre la France et l'Algérie résonne encore plus fortement qu'ailleurs».

La mémoire, un combat ?

On ne doute guère que Rachid Koraïchi répondrait à la question par l'affirmative. Au nom de la dignité. Car s'il ne semble jamais hésiter à dénoncer le cynisme de la realpolitik, l'artiste, militant, élève pourtant ce combat contre « l'indignité » au-delà de la dimension purement politique. A la laideur du monde, l'artiste en appelle toujours et d'abord à la beauté des formes qu'il invente. D'une œuvre à l'autre, il poursuit son « alphabet de la mémoire », comme il l'a joliment défini par le passé. « Le Vigilant » en est donc une nouvelle lettre. En mémoire, cette fois-ci, à celles et ceux qui ont sacrifié leur vie pour une Algérie indépendante.