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Les chantiers de la santé : éviter de se perdre

par Bouchikhi Nourredine*

Le nouveau ministre de la Santé vient d'annoncer la mise en œuvre d'une nouvelle feuille de route (encore une) afin de relancer le secteur de la santé.

Hélas cela donne le sentiment        du déjà entendu et surtout la crainte souvent justifiée d'une dilapidation de temps tellement les scénarios de réforme refonte, assises, réflexion, commission se succèdent et se régénèrent sans que cela ne change au quotidien des professionnels et surtout celui des malades, ce n'est pas pour décourager monsieur le ministre nouvellement installé mais c'est pour dire que le citoyen peine de plus en plus à croire aux projets restés sans suite.

Pourtant les maux de la santé sont identifiés ainsi que la thérapie que d'écrits, que de réunions, que de consultations ! mais c'est de la volonté et plein de courage qu'il faut pour les mettre en œuvre ; toutefois il est utile de rappeler ce qui ronge le plus le secteur.

Le principal mal et premier obstacle à son épanouissement est l'absence d'une stratégie consensuelle dont le défaut est la cause primordiale de l'échec des politiques antérieures et successives puisque on se trouve toujours dans la thématique où souvent les décisions sont prises en cercle restreint pour ensuite tenter de les entériner par des rencontres ou des assises ayant fait la sourdine aux conseils et revendications des concernés et ne constituent donc qu'une manière ou une autre d'imposer le fait accompli qui maintient le marasme et de fait chaque nouveau ministre se voit obligé de proposer une énième nouvelle conduite à tenir ! une sensation de tourner en rond et un gâchis de temps, de moyens et surtout une déception du citoyen.

Une stratégie doit être mûrement réfléchie regroupant autour d'elle le maximum d'intervenants pour ensuite être menée à bout sans être tributaire d'une personne et même d'un gouvernement qui risque d'être remanié en fonction des exigences de la politique de l'état ; bien sûr cela n'empêche pas d'apporter des correctifs qui s'imposent mais sans toucher à l'âme sinon le chantier risque de durer éternellement ; on ne peut se permettre de démolir tout et reprendre comme si rien n'était. Le deuxième obstacle auquel est confronté le secteur de la santé est sa gestion politisée qui met à l'écart l'efficacité et le pragmatisme. Mais pour être perspicace et aller droit au but il est utile de rappeler les principaux chantiers à entamer et sans être exhaustif ; ils peuvent être classés selon les priorités en objectifs à réaliser à court, moyen et long terme. Ce qui urge c'est l'objectif à atteindre dans le laps de temps le plus court.

Le premier chantier à aborder sans tarder est celui des urgences médicochirurgicales

Les urgences nécessitent avant tout une reconnaissance solennelle de l'activité par des textes clairs instituant le statut, les responsabilités, un suivi et un audit permanent avec des comptes à rendre ; le pivot central et garant du succès de cette organisation est le médecin urgentiste avec son équipe ; il doit jouir d'une formation continue et de qualité ,d'un statut reconnu par un cadre juridique administratif et pédagogique , d'une rétribution motivante ,de conditions de travail et de récupération à la hauteur des responsabilités qui lui sont incombées ,il est urgent d'instaurer un diplôme d'urgentiste reconnu et valorisé et d'assurer une formation dont la finalité est d'offrir les mêmes chances a un malade qui se présente aux urgences qu'il soit à Alger ou à Timimoune et pour ceux qui croient qu'ils ne sont pas concernés, personne n'est à l'abri d'un ennui de santé vital imprévisible au fin fond de l'Algérie ! Ensuite il faudrait hiérarchiser le niveau de prise en charge des urgences ; le premier niveau est l'urgence vitale où le malade doit bénéficier des soins nécessaires dans l'immédiat ; viendront ensuite les urgences relatives qui pourraient être dirigées vers un service de référence en assurant des moyens adaptés d'évacuation qui se résument hélas souvent encore à une ambulance avec dans le meilleur des cas un obus d'oxygène et à savoir !

Le transfert médical fait partie intégrante de la prise en charge ;le but ce n'est pas de ramener uniquement le malade à l'hôpital destinataire mais le ramener dans des conditions optimales c'est en fait un hôpital éphémère qui doit bénéficier des moyens nécessaires au maintien de la vie sans en compromettre ses chances il faudrait alors un personnel qualifié, des appareils de surveillance et de réanimation ambulatoire, des médicaments utiles et parfois l'extrême urgence ou bien l'éloignement géographique ou surtout les conditions de circulation routière rendent indispensables le recours aux moyens héliportés évoqués souvent par différents responsables à la prise de leur poste et vite oubliés au grand daim du citoyen. La nécessité d'avoir un SAMU (service d'aide médicale urgente) dans au moins les grandes agglomérations s'avère être indispensable afin que le travail du service des urgences soit le plus efficace.

Le cas des urgences cardiaques et neurologiques

Le palier suivant est la réalisation de centres régionaux spécialisés dotés des moyens humains et matériels pour parer aux urgences cardio et neurovasculaires (infarctus cardiaque compliqué et troubles du rythme ainsi que les AVC (accidents vasculaires cérébraux)et traumatismes crâniens graves ; ils doivent être répartis de manière judicieuse pour couvrir le territoire national et donner ainsi au malade le maximum de chance de survie ; car ces urgences sont pourvoyeuses d'une grande mortalité et morbidité et pour les quelles le temps joue le premier rôle dans le pronostic vital et fonctionnel et c'est ici que les transferts aériens trouvent toute leur indication.

Le cas des urgences gynéco-obstétricales

Le deuxième grand chantier est celui des urgences gynéco-obstétricales et avant d'évoquer l'organisation matérielle le point d'achoppement dans cette problématique qui perdure est l'insuffisance des moyens humains dans les hôpitaux publics ; le recours à des missions étrangères n'est pas venu à bout du problème devenu la hantise des citoyens et des pouvoirs publics ; des solutions ont été proposées mais à ce jour restées sans suite et dont la plus plausible et réalisable à court terme est la contractualisation avec le secteur privé comme c'est le cas actuellement avec les cliniques une initiative louable mais dont l'impact est limité car les prestations ne bénéficient qu'aux assurés encore que cette contractualisation fait l'impasse sur l'apport certain des spécialistes exerçant dans leurs cabinets ; elle ne leur permet pas de combler le déficit dans le secteur public à moins de l'usage souvent abusif de réquisitions qui dénigrent le droit élémentaire du médecin d'être justement rémunéré et protégé par un cadre juridique et ne constitue qu'une solution de facilité non viable; cette proposition pragmatique n'a jamais pu être entérinée sous le prétexte d'engendrer des dépenses excessifs ;mais ne ditons pas que la santé n'a pas de prix ? alors il faudrait réfléchir à d'autres sources de financement incluant le malade, les assurances santé complémentaires, les collectivités locales entre autres ce qui implique une adaptation des lois et règlements en vigueur.

La dispense intelligente et censée des soins est aussi primordiale afin de tirer profit au maximum des potentialités humaines existantes et là il faut ouvrir une parenthèse celle des indications très larges de la césarienne dont le taux élevé est fort inquiétant génère artificiellement une sollicitation excessive et pas toujours justifiée des gynécologues et relègue par la même occasion loin derrière le rôle de la sage-femme qui par crainte évite de recourir (et même les obstétriciens )à la réalisation de l'accouchement par voie basse en raison de demandes de parturientes injustifiées et surtout de complications médicolégales réelles ayant abouti à des incarcérations parfois litigeuses; sans compter les autres répercussions à savoir le recours obligé aux réanimateurs , techniciens , aux moyens de transfert , à l'usage d'un matériel onéreux et ici je ferme la parenthèse car cela n'est pas l'objet de cet article.

L'organisation exige aussi l'affectation juste et équitable des gynécologues dans de bonnes conditions d'exercice et de confort car il est aberrant de trouver dans un hôpital plusieurs spécialistes qui se piétinent et aucun là où le besoin se fait le plus ressentir, mais aussi il n'est pas normal que dans n'importe quelle salle d'accouchement ou maternité à activité réduite d'avoir un gynécologue à disposition! un audit des besoins doit être réalisé régulièrement sans omettre que l'objectif essentiel est qu'au besoin le gynécologue soit accessible dans un laps de temps raisonnable en assurant quand cela s'avère nécessaire des conditions de transfert adéquats ,comme cela a été mentionné précédemment.

Les conditions matérielles minimales doivent être réunies pour les cas urgents où il est encore impossible de faire une simple formue sanguine ou une échographie dans des CHU ! (Et je peux l'affirmer pour avoir été témoin très récemment de cette situation) il est insensé et surtout irresponsable d'exiger d'une malade qui saigne d'aller faire une formule de numération sanguine en externe à une heure du matin ! n'en parlons pas de l'hygiène des locaux, de l'intimité, de l'accueil qui semblent être accessoires et ne méritent pas apparemment que l'on s'y attarde !

Et voilà donc ce sont bien des exigences simples et élémentaires qu'on n'arrive pas encore à satisfaire et qui sont des facteurs qui déclenchent le courroux des citoyens et dépeignent une image sombre du secteur.

Les urgences sont la vitrine de la santé qu'il faudrait enjoliver et rendre efficace et à la portée de tous par l'instauration de mesures courageuses et rapides prioritairement avant les autres chantiers qui sont aussi importants et intriqués telle les maladies chroniques ,les cancers ,les maladies rares qui sont à l'heure actuelle des problèmes de santé public mais devant l'énormité de la tâche on se trouve contraints de revoir la mort dans l'âme nos exigences à la baisse au risque d'irriter les professionnels de santé alors sans attendre parons aux plus urgent et palpable des chantiers. La prévention dans tous ses volets et le dépistage doivent accompagner le citoyen dès la naissance et même avant et pendant toute la vie ils doivent aller de pair car avec tous les chantiers et quoiqu'ils en coûtent ils reviendront toujours moins cher que la prise en charge d'une maladie chronique lourde et invalidante. Et ce n'est pas par omission que des chantiers abandonnés n'ont pas été évoqués ; ils impliquent souvent plusieurs intervenants mais dont la finalité est l'amélioration de l'accès aux soins des citoyens ; et parmi tant d'autres nous citons la réforme de la sécurité sociale surtout pour le secteur privé, les assurances complémentaires, les mutuelles, les transferts à l'étranger pour soins, la formation, l'organisation et la complémentarité public -privé, la politique du médicament et beaucoup d'autres...et au risque de se perdre il y a lieu de commencer par le plus urgent « les urgences »

*Dr