Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Funambulisme

par Brahim Chahed

«Il y'a quelque chose de plus fort que la mort : c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants et la transmission, à ceux qui ne sont pas encore, du nom, de la gloire, de la puissance et de l'allégresse de ceux qui ne sont plus, mais qui vivent à jamais dans l'esprit et dans le cœur de ceux qui se souviennent». Jean d'Ormesson (1925-2017), académicien, journaliste et philosophe français

Il y'a du tragique quand un supposé maitre des horloges perd la notion de temps en prétendant vouloir regarder un passé lointain en face. Il est vrai, il est loin de ses terres ; il est sur une terre de braves qui mettrait les plus téméraires mal à l'aise. Il y a, ensuite, de l'ubuesque lorsque l'agresseur, fut-il au passé, donne des leçons de bon voisinage, de coopération et de respect mutuel à l'agressé. Il y a, enfin, du peu honnête, lorsqu'on esquive la seule et unique question qui attend réponse depuis déjà très longtemps et qu'on parle, invariablement, de tout autre sujet avec aisance et abondance.

Le Président Français, Emmanuel Macron, a effectué, la semaine passée, une visite au pays des martyrs, que l'Elysée, pour des raisons inavouables, s'empressait à qualifier de visite officielle et non d'Etat. Je n'attendais personnellement pas beaucoup de cette visite, les experts de tous bords savent pertinemment qu'Emmanuel Macron, Jupitérien qu'il est, n'est pas genre à descendre de son nuage, et de traiter avec autrui d'égal à égal, il ne le fait pas avec ses compatriotes, il n'y a aucune raison qu'il le fasse avec nous autres Algériens.

La visite de Macron, même si elle reste décriée par une partie de l'opinion française, est mue, principalement mais pas uniquement, par deux dossiers que sont l'énergie et le rapatriement des Algériens.

Pour l'énergie et même s'il s'attarde, maladroitement, pour faire croire que la France n'a pas besoin de gaz Algérien, puisque la part du gaz dans son mix énergétique est à peine de 10% et que la part du gaz Algérien ne dépasse pas le 8%. Ce qu'il n'avoue pas, par contre, c'est que pour son mix énergétique, compte tenu de l'état des centrales nucléaires françaises, dont 31 sur 56 en arrêt, il a besoin d'électricité qu'il compte puiser de l'Allemagne qui, à son tour, a besoin de gaz. Il veut du gaz pour le troquer contre de l'électricité Allemande.

Concernant le rapatriement au pays des Algériens de France et en prévision de Paris 2024, surtout mais pas seulement, Monsieur Macron voudrait avoir l'appui de l'Algérie pour accepter le rapatriement des Algériens coupables de crimes et délits en France, qui, plus est, consacre le retour triomphal de la double peine.

En retour, il a peut-être quelque chose à proposer : ceux à qui la France offre une tribune pour dénigrer le pays ou mieux encore, ceux qui sont dans tout l'espace Européen. Il est connu pour être très persuasif Monsieur Macron.

Je retiens, comme certains de mes compatriotes, peut-être ai-je tort, quelques passages, lourds de sens, soigneusement préparés par Monsieur Macron et savamment scénarisés devant les caméras.

Il y'a d'abord, la fameuse formule tendant à flatter l'égo des Algériens et titiller leur fibre révolutionnaire pour la liberté des peuples à disposer d'eux même et la sacralité du principe de non-agression, en affirmant que le peuple Algérien n'accepterait pas une guerre, injuste selon lui, comme celle de la Russie contre l'Ukraine. Les Algériens n'ont pas besoin d'être aiguillés pour décider de la lecture des évènements de ce monde ; ils sont connus pour être constants et cohérents et pratiquent peu ou pas du tout le jeu de bascule auquel s'adonnent à souhait d'autres.

Il y'a ensuite, ses propos sur la question mémorielle « Nous sommes sommés en permanence de choisir entre fierté et repentance. Je veux la vérité et la reconnaissance ».

Monsieur Macron oppose fierté et repentance, comme pour dire, fière qu'il est, qu'il n'est pas question, ou qu'il n'est plus question, de repentance. Quand il dit vouloir la vérité je ne pense pas qu'il veuille opposer la vérité au mensonge de la France, il est le Président Français en exercice. Quand il évoque la reconnaissance je ne pense également pas qu'il veuille dire la reconnaissance de la France envers l'Algérie pour ses richesses spoliées pendant plus d'un siècle, ou dans un autre sens, la reconnaissance de la France des crimes atroces commis, pendant des décennies, contre le peuple Algérien, contre son identité, ses croyances et sa culture.

Quand Monsieur Macron évoque « Une histoire d'amour qui a sa part de tragique ». Il s'adonne avec une légèreté impardonnable à une sorte de parallèle qu'il est le seul à voir, il n'y a ni du tragique dans l'amour, ni de l'amour dans le tragique. Il nous présente, en fait, une sorte de mélange entre les syndromes de Stockholm et celui de lima où, globalement, l'agresseur et l'agressé se prennent en sympathie. Les français ont peut-être aimé le pays, ils ont surement aimé l'Algérie, mais en cela point de blâme, point de remontrances, qui n'aimerait pas le pays du miel et du lait, qui n'aimerait pas l'Algérie ! mais, ils n'ont jamais aimé ses enfants, ils n'ont jamais accepté ses maitres. Les algériens, eux, ont aimé des français. Ils ont bien aimé Maurice Audin, Henri maillot, Fernand Iveton ou encore Pierre Vidal Naquet (historien de métier et de vocation). Ils ont beaucoup aimé Claudine Chaulet, Raymonde Peschard dite Taous ainsi que d'autres, moins connues, en les personnes de Reine Raffini ou Jocelyne chatain. Mais les algériens, contrairement à ce que voudraient faire croire beaucoup, n'ont jamais aimé la France au point de vouloir se l'approprier.

Quand il parle du dossier de l'immigration, au lieu de rassurer les Algériens, qu'il prétend considérer comme des amis, sur la mise en place de procédures transparentes et équitables dans ce sens, qui tiennent compte de l'histoire des deux pays, des accords actés toujours en cours, des liens tissés à travers le temps et des intérêts partagés entre les deux communautés, Monsieur Macron parle d'immigration choisie et cite les artistes, les sportifs, les chercheurs et autres. Il veut troquer les meilleurs grâce à leur pays contre les médiocres à cause de la France.

Lorsqu'il annonce, enfin, la création d'une commission mixte d'historiens pour, entend-on, aplanir les dissensions et affronter avec courage le passé, il oublie, sciemment, que la censure, ne peut rien contre l'histoire, les historiens ne travaillent pas à la carte, n'historient pas à la demande. Et ce n'est pas des historiens, même brillants, installés comme des fonctionnaires, qui viendraient à bout d'un phénomène sociologique nourri par une histoire douloureuse qui revient sans cesse à l'imaginaire collectif même chez ceux qui ne l'ont jamais connu. Il est ici question de transmission transgénérationnelle, où une génération devient dépositaire, consciemment, d'une souffrance qui ne lui est pas infligée directement mais dont elle révèle l'existence, la persistance et des fois, compte tenu de circonstances présentes, même l'amplification. Là aussi il veut troquer la vérité du moment par une supposée vérité à venir.

Vous pouvez, Monsieur le Président, malgré vous peut-être, vous montrer orgueilleux, vous pouvez vous montrer condescendant, les français eux même vous dépeignent et trouvent ainsi, mais eux ils peuvent et doivent vous accepter, ils vous ont élu puis réélu, pas le peuple Algérien.