Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le courage de vivre

par Amine Bouali

J'avoue que j'éprouve une certaine appréhension à ne pas trouver les mots justes, en décidant de t'écrire ce matin. Hier j'ai vu J. et elle m'a tout raconté. Des «détails» (excuse-moi d'employer volontairement ce mot dur) que je ne connaissais pas mais que je soupçonnais. Elle m'a dit que tu n'arrivais pas à tenir debout toute seule, que tu avais constamment besoin de quelqu'un à tes côtés et que ce que tu étais en train de vivre n'était pas évident à gérer. Elle m'a encore confié que selon les résultats de tes prochaines séances de rééducation, et dans le cas où ces résultats ne seraient pas probants, il ne resterait plus qu'une dernière solution : la greffe. Elle m'a confirmé, comme je l'ai compris dans un de tes derniers mails, que si par malheur, cette greffe ne fonctionnerait pas, tu ne souhaitais plus continuer à vivre. Elle a ajouté qu'elle avait beaucoup d'espoir (dans la médecine?) qu'il fallait, coûte que coûte, que ça réussisse et que chacun de nous se trouve parfois confronté à des choix difficiles.

Je te demande pardon car je ne savais pas tout le poids qui pèse sur tes épaules. J'ai décidé de te dire ces paroles ce matin pour que tu saches que nous sommes là à tes côtés, dans l'ombre et la lumière, et quoi qu'il arrive, pour que la vie continue, nous l'espérons de tout cœur. Ton voyage a été semé d'embûches mais au bout du chemin, tu trouveras la paix. J'entends chaque soir ton murmure au creux de mon oreille : «J'ai marché, j'ai tendu la main, j'ai dépensé mon amour sans compter, et si aujourd'hui je me sens prisonnière de mes larmes, c'est que ma route a été rude. Laissez-moi souffler un peu, mes chers amis, mes invités de la douceur du monde, mes compagnons parfois d'infortune. Profitez de la splendeur du soleil qui se lève au loin, et pensez à moi, pensez à moi très fort!» Et si tout ou presque redevenait possible ? Si tout cela n'était plus qu'un mauvais souvenir? Si la vie, pour une fois, ne serait-ce qu'une seule fois, avait le dernier mot? Si la souffrance, l'humiliation, les larmes, la mort, allaient mourir. Si tu revenais, si tu nous revenais, plus belle, plus forte, plus lucide, de ce versant de la vie où la vie ressemble à un film d'horreur et remplit notre bouche du poison du malheur. Attends! Ne dis rien, ne pense à rien, attends simplement! Est-ce que tu sais qu'attendre, c'est espérer? Et que parfois quelque chose ou quelqu'un arrive que l'on n'attendait plus.

J'essaie de deviner quelle est l'heure de la journée ou de la nuit qui est pour toi la plus difficile à supporter, la nouvelle contrainte dans ta vie quotidienne que tu acceptes le moins? Tu découvres dans ta chair l'épreuve de la fragilité et du regard des autres. Si tu te tais aujourd'hui, est-ce parce qu'il y a un moment dans la vie où les mots ne veulent plus rien dire? J'essaie un instant de me mettre à ta place pour ressentir tes craintes, comprendre tes fuites, saisir tes ressorts cachés afin d'être sûr que tu remonteras la pente. Crois-moi, toutes les larmes du monde se ressemblent, toutes les joies, toutes les peines. Il n'y a au fond qu'une seule vraie question, un seul vrai mystère : «Pourquoi?» «Pourquoi?» Pourquoi le bonheur paraît si mal partagé ici-bas et pourquoi il y a la balle et pourquoi elle semble frapper parfois par hasard? Lorsque tu liras ces lignes, imagine un enfant qui court dans la prairie, son visage est auréolé par la lumière de l'aube et il sourit instinctivement à la vie. Il n'y a pas d'autre leçon!