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Le pain, la viande et le poulet

par Abdou BENABBOU

Une large couche de la population algérienne est-elle en passe de devenir végétarienne ? A la vue de la mue de sa culture alimentaire, il est à déduire qu'elle est en train de tourner une page nutritive pour adopter ce qu'en d'autres lieux on considère comme un sacerdoce écologique et un bienfait incontournable pour une saine santé.

Cependant, ici contrairement à ailleurs, le nouveau modèle alimentaire suivi par les très modestes couches sociales algériennes ne répond pas aux mêmes causes et leurs empreintes sont fondamentalement économiques. Les viandes rouges ont dépassé les 2000 dinars le kilo et le prix des blanches a pris l'ascenseur pour provoquer ensemble la fâcherie commune et visible des bouchers et des consommateurs. On se recycle comme on peut. Les légumiers semblent avoir de beaux jours devant eux. Les casse-croûtes à 30 dinars foisonnent aux heures de pointe aux coins des rues pour laisser comprendre que le repas de midi est enterré. Pour des familles algériennes de plus en plus nombreuses, forcées à apprendre à compter leurs sous, le nouveau phénomène n'est pas aussi négatif qu'il paraît même si pour quelques-unes d'entre elles le bifteck a toujours été une belle parade occasionnelle dans de rares jours d'aisance financière. C'est que les coups de massue du marché et ceux des grandes fêtes avec leurs us et leurs rituels ne cessent pas de s'amplifier pour pousser aux sacrifices les plus délurés.

Les crises et leurs corollaires inflationnistes, le pouvoir d'achat sérieusement rétréci forcent les familles modestes en grand nombre à un pragmatisme quelque peu bienheureux par certains de ses aspects. Sans qu'il soit question de misérabilisme de mauvais aloi, il est à admettre que le modèle algérien de consommation a été caractérisé par un trop-plein de gaspillage jusqu'à faire perdre à la valeur du travail et de l'effort tout son sens. Le partage désordonné et inéquitable des richesses du pays est d'évidence le premier en cause et la culture de la rente y est pour beaucoup malgré les politiques sociales de raccommodage soutenues en permanence. Mais adhérer sans crier gare aux impératifs d'une société de consommation a un prix surtout quand on s'était trop familiarisé hier aux chaînes interminables pour arracher un bidon d'huile ou une plaquette d'œufs.

Décider de se passer du four du quartier pour cuire le pain familial est un exemple d'une véritable révolution qui allait fatalement s'imposer. On était loin d'ignorer que son extinction allait impliquer celle de la viande et du poulet.