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Le bassin méditerranéen, un rivage vulnérable !

par Cherif Ali

Si la plupart des séismes sont de nos jours localisés sur les rives du Pacifique, ces événements rappellent que la Méditerranée est aussi une région à risque.

En effet, la menace sismique est permanente ; elle est engendrée par la convergence des plaques tectoniques africaines et eurasiennes. Elle est lourde de conséquences, en particulier en zone urbaine qui connaît une expansion démographique et un phénomène de littoralisation important.

Le principal danger qui inquiète l'Europe se situe en Grèce, en Turquie et en Italie. Les sismologues observent l'accumulation des contraintes dans la section de la faille nord anatolienne située au sud de la ville d'Istanbul, mégalopole de dix millions d'habitants, ce qui provoquera probablement dans les trente prochaines années un séisme aux conséquences potentiellement catastrophiques.

Qu'en est-il du reste de l'Europe ? Le calme relatif est-il trompeur ? Certaines régions, qui ont connu dans l'histoire des tremblements de terre violents, doivent être considérées comme potentiellement actives. C'est le cas de la Côte d'Azur en France : depuis 800 ans, des séismes notables ont été ressentis dans la région niçoise, certains ayant provoqué d'importants dégâts, comme ceux de juillet 1564 et de février 1887. Ce dernier, dont l'épicentre était localisé au large de San Remo, produisit une secousse de plus de 30 secondes, le décès de plus de 600 personnes entre Gênes et Nice, ainsi que des dégâts considérables dans les villes côtières et les villages de l'arrière-pays. (Séismes sous haute surveillance par C. Duval).

Nous sommes le 17 août 1999. Il est minuit en temps universel lorsque la terre tremble sous la ville d'Izmit en Turquie, dans une région située sur la rive est de la mer de Marmara. Plusieurs centaines d'immeubles s'effondrent comme des châteaux de cartes. Cette secousse d'une magnitude de 7,4 aura fait 20.000 morts, des dizaines de milliers de blessés et plus de 35 milliards d'euros de dégâts matériels. En 2002 et en 2003, c'est au tour de l'Algérie puis du Maroc de subir les colères de la Terre. Si la plupart des séismes sont de nos jours localisés sur les rives du Pacifique, ces événements rappellent que la Méditerranée est aussi une région à risque. Et le séisme qui s'est produit dernièrement à Oran ne serait pas, hélas, le dernier d'autant plus qu'il vient dramatiquement mais opportunément, rappeler le péril imminent qui menace toutes ces populations du vieux bâti d'El Hamri, Gambetta, des Casbah d'Alger, de Béjaïa, de Constantine, ou encore d'Annaba, qui ont dû, très certainement, ressentir, dans leur tête et leurs tripes, l'onde de choc.

Elles survivent toutes dans ces quartiers populaires où jadis il faisait bon vivre mais aujourd'hui, ce sont des lieux funestes où des familles entières étouffées par les grabats de leurs immeubles et la bêtise humaine rendent l'âme, entre deux tremblements de terre, une inondation et surtout le sentiment d'avoir été abandonnées par ceux-là mêmes qui avaient la responsabilité de les prendre en charge et de les secourir. Et ce n'est pas faute pour elles de les avoir alerté sur la précarité de leur situation et du péril planant sur leur tête !

La précarité de ces habitations de céans et d'ailleurs a atteint un seuil alarmant : le parc immobilier national, selon les professionnels, est constitué de 7 millions de logements dont 1,5 million d'unités menaçant ruine !

De plus, il diminue, inexorablement, suite aux catastrophes naturelles et se réduit aussi par la faute de l'occupant qui néglige l'entretien de son habitation, qu'elle lui soit propre ou qu'elle relève du patrimoine public.

L'absence d'entretien, les attaques climatiques additionnées aux adaptations décidées de manière unilatérale par les occupants qui, non seulement, s'approprient les espaces communs, mettent aussi en péril la vie de leurs colocataires en s'autorisant, pour certains, des constructions illicites sur les terrasses, au vu et au su de tout le monde, élus locaux compris, ajoutent à la précarité du vieux bâti.

On l'aura compris, il ne suffit pas aujourd'hui prétendre régler la crise du logement en construisant des nouvelles cités, il y a aussi urgence à assurer la maintenance de ce qui existe déjà !

Il est important de comprendre que tout logement ou équipement a une durée de vie et qu'il est sujet, périodiquement, à une usure qu'il y a lieu de prendre en charge dans le cadre d'un programme concret de survie et de réhabilitation, avait souligné le Collectif national des experts architectes (CNEA) dans son livre blanc révélé en 2011.

Le CNEA avait proposé, alors, la création d'un « carnet de santé du bâtiment » ainsi que la mise en place « d'un fond national de l'amélioration de l'habitat et le lancement d'un programme de réhabilitation d'un vieux bâti ».

A croire que le responsable de ce collectif prêchait dans le désert puisque les choses sont restées en l'état dans nos villes usées et ravagées par tant de catastrophes naturelles et leurs lots de morts et de blessés. Au lendemain de ce séisme d'Oran dont les dégâts n'ont été heureusement que matériels, allons-nous encore une fois assister au remake des décisions prises à la hâte par les autorités suite aux inondations de Bab El Oued et du tremblement de terre de Boumerdès et qui ont consisté en quelques opérations de relogement décidées au pied levé et du colmatage et du rafistolage d'immeubles pour dire aux citoyens qu'on s'occupe d'eux ?

Hérité de la colonisation, le vieux bâti fait peur !

Il fera encore couler beaucoup de larmes, d'encre, de peinture, de plâtre, de promesses et d'argent facilement gagné par ces « bricoleurs » s'improvisant entrepreneurs en bâtiment !

Le professeur A. Chelghoum vient de le déclarer : « Le pays regorge d'experts y compris dans la sphère privée qui ne demande qu'à être associés dans cette crise ; il est temps pour les pouvoirs publics de déclencher une opération sérieuse d'expertise globale de tous les vieux bâtis, ce qui permettrait d'aboutir à une opération de réhabilitation, de renforcement ou de confortement selon les résultats de chaque expertise ». L'ignorance fait plus de dégâts dans un pays où l'acquisition d'une culture sismique aurait dû se faire jour depuis le tremblement de terre d'El Asnam.

Autre sujet, l'affolement qui suit le séisme se révèle, en définitive, plus meurtrier que le tremblement de terre en lui-même ; des personnes peuvent mourir parce qu'elles voulaient survivre ; dans un moment de folle panique, elles sont amenées à se défenestrer et le professeur Khiati de la Forem l'a bien expliqué : « La peur dans ce genre de circonstances est tout à fait légitime, même si elle peut être contenue et structurée ; un séisme, lorsqu'il se produit, dans un laps de temps et durant cette période, l'individu ne contrôle plus ses réactions encore moins ses gestes ; il est désemparé parce que tout simplement il n'a reçu aucune formation dans ce sens ».

Si les Algériens étaient sensibilisés sur les procédures à respecter en cas de tremblement de terre, ils ne chercheraient pas l'issue fatale, poursuivit l'expert.

En fait, tout le monde est responsable et personne n'est coupable dans cette affaire, ni l'école encore moins la protection civile qui auraient pu, pour le moins, prendre quelques initiatives utiles !

Au Japon, il y a 30 à 40 séismes par an, mais cela ne suscite ni panique ni affolement car les Japonais sont éduqués, formés et sensibilisés pour faire face à ce phénomène naturel ! Dans ce pays, les experts et la population s'attendent depuis des années au « Big One ! », un tremblement de terre aussi important que celui qui a touché le pays en 1923 faisant plus de 140.000 victimes. Entraînés depuis l'enfance, les Japonais savent qu'ils doivent couper l'électricité, l'eau et le gaz et se précipiter sous une table, dès la première secousse tellurique.

Au cas où ils se retrouveraient prisonniers des décombres, certains ont pris des kits de survie pour tenir jusqu'à l'arrivée des secours et les écoliers disposent d'un casque de protection dans leur casier ; pour vous dire, les nôtres d'écoliers ne disposent même pas de casiers !

En 2009, près de 800.000 personnes dans le pays, dont le Premier ministre, ont participé au grand exercice annuel et national de prévention, à la date anniversaire du grand tremblement de terre de 1923. Régulièrement, les camions de simulation sismique sont installés dans les rues dans le but de sensibiliser la population aux effets du tremblement de terre. Le nôtre de camion a été étrenné une ou deux fois, avec force caméras, et depuis on ne l'a plus revu !!! Le Japon a le système d'alerte le plus évolué dans le monde même s'il n'est pas parfait, mais un bâtiment a plus de chance de s'écrouler si les responsables locaux ont triché sur les matériaux de construction pour récupérer de l'argent au passage, a indiqué un journaliste ; ce type de scandale s'est, notamment, produit en 2008, après le séisme de Suichuan en Chine, qui avait entraîné la destruction de plusieurs écoles. Il s'est aussi produit chez nous à Boumerdès, où des cités flambant neuf se sont affaissées comme des châteaux de carte ; on n'a jamais retrouvé les boîtes noires et les responsables courent toujours ! Le séisme frappe et la bêtise tue et tuera encore si des enseignements ne sont pas tirés du dernier séisme :

l il faut procéder à la destruction de tous ces immeubles périlleux pour disposer dans certains quartiers urbains d' « aires de rassemblement » pour les habitants, au cas où d'autres immeubles menaceraient de s'écrouler.

l Il faut tout revoir des normes des constructions parasismiques non pas pour arriver au niveau du Japon où les édifices sont montés sur vérins, ressorts, rails ou roulements à bille et soutenus par des amortisseurs ou haubans, ce qui leur permet de faire face aux catastrophes naturelles mais pour au moins faire respecter les dosages de béton et rendre obligatoire le permis de construire !

l Il faut tout revoir au CRAAG, au CTC, chez les entreprises de réalisation.

l Il faut redynamiser cette « Délégation aux risques majeurs » en lui confiant plus de prérogatives notamment en matière réglementaire.

l Il faut être, dorénavant, exigeant en matière de qualité des produits et équipements destinés à l'habitat.

l Il faut revoir tous les programmes des écoles de formation et exiger une remise à niveau de tous les professionnels qui sont sur le marché de l'architecture et de l'urbanisme.

l Il faut engager une véritable politique de réaménagement du territoire, oublier les projets morts nés des pseudo-villes nouvelles de Sidi Abdellah et Boughzoul et construire des villes modernes où il fera bon vivre avec de grands espaces de rassemblement, des aires de stationnement et de loisir.

Il faut, il faut, il y a tellement de choses à faire qu'on ne sait plus, en fait, s'il faut :

1. donner la priorité à la révision des plans ORSEC ou, et c'est l'un des enseignements majeurs résultant du tremblement de terre de Béjaïa ;

2. ou changer ces responsables qui ont prouvé leur incompétence à prendre en charge ne serait-ce que le vieux bâti d'Alger, d'Oran et d'ailleurs, car comme il a été affirmé par un éditorialiste « c'est eux l'épicentre du problème ! ».

C'est là un véritable changement de paradigme qu'il faudrait engager, collectivement, et sans tardiveté pour reprendre ce bon mot de Cherif Rahmani, auteur, par ailleurs, d'un excellent article* dans lequel il alerte sur les risques encourus par la « Mare nostrum » en plus de ceux décrits supra.

D'espace de contact et de rencontre, la Méditerranée est en train de basculer et de devenir une zone de tensions politiques, économiques et culturelles.

Les conflits multiples, ethniques, religieux et géostratégiques qui minent son équilibre, avec leurs lots d'exils, de violences et de tragédies (cf., drame dans l'enclave espagnole de Melilla) n'en sont que les signes avant coureurs !

*La Méditerranée, une région vulnérable fortement exposée aux dérèglements climatiques, par Cherif Rahmani, Ambassadeur des Terres Arides auprès des Nations unies, Président de la Fondation des Déserts du Monde.