«L'humour,
dit-on, est la politesse du désespoir». Certains esprits caustiques ou
espiègles, souvent d'une intelligence aiguë, sont des pourvoyeurs de sourires
et d'éclats de rire mais aussi des espèces de révélateurs témoins des maux, des
dérives et des impostures de leur époque ou de leur société. Leurs
plaisanteries subtiles, souvent moqueuses, sont colportées à travers le temps
comme des morceaux d'anthologie par la mémoire collective. Ainsi, par exemple,
dans une ville de l'intérieur de notre pays, feu Hadj Abdelkrim T., artisan
tailleur de son métier, était connu pour ses réparties assassines et ses bons
mots aussi fins et tranchants qu'un bistouri. Un jour, il poursuivit jusqu'à
l'intérieur d'une mosquée un homme auquel il avait confectionné un costume à
crédit qu'il trouva en train de lire le Saint Coran. Il s'approcha alors de lui
et l'interpella en ces termes : «Alors mon cher, vous n'êtes peut-être pas
encore arrivé à la sourate où Dieu dit qu'il ne faut pas oublier de payer Hadj
Abdelkrim» ? La même ville dont il est fait allusion plus haut se souvient
encore de la remarque tonitruante que fit un jour un enseignant d'arabe
éminent, cheikh Bekkar, père de deux enfants tombés
au champ d'honneur durant la guerre de Libération. Invité par le mouhafedh du parti unique d'alors pour faire une allocution
de circonstance, il commença d'abord par invoquer le Seigneur («Bismillah Errahmane Errahime» -«Au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux»-)
avant de conclure son propos illico : «Que voulez-vous que je vous dise,
Messieurs ! Vous avez tout foiré» ! («Khlitouha wa dritouha ») ! Notre ami
Mahmoud K., quant à lui, professeur universitaire et «empêcheur de penser en
rond» émérite, possède un humour raffiné mais qui pique au vif et qui a fait
probablement plus de «victimes» que tous les virus du corona réunis. Lorsqu'en juin 1990, l'ex-parti islamiste radical (le FIS-dissous)
remporta un nombre important de mairies puis, une année plus tard, lorsqu'il
organisa une grève insurrectionnelle et ses militants érigèrent des tentes sur
les places des villes pour y passer la nuit, notre bon maître eut cette boutade
digne de l'hebdomadaire satirique parisien le Canard enchaîné : «Le FIS après
être devenu maire a ramené ses tentes» ! (Qu'on peut interpréter aussi comme
suit : «Le fils après être devenu mère a ramené ses tantes») !
Enfin,
parmi les nombreuses «perles» que les amateurs de bons mots ne se privent pas
de raconter lorsque l'occasion se présente, figure en bonne place la répartie
d'un lettré de la ville de Mazouna, Youcef El-Wakil, qui était fonctionnaire à Alger du temps de la
colonisation et qui avait commis un ouvrage érudit sur sa ville natale. Alors
qu'il marchait un jour dans un souk, il fut bousculé par inadvertance par une
dame française d'un certain âge qui lui demanda aussitôt pardon. La mine lasse
mais sereine, il lui fit cette réponse pleine de dérision et de douleur : «Je
vous ai pardonné, Madame, depuis 1830» ! «La plaisanterie sert souvent de
véhicule à la vérité», aimait rappeler le philosophe anglais Francis Bacon.