Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Espagne viole le droit international

par Youcef Dris

Malgré un semblant de neutralité de l'Espagne dans le conflit qui oppose les Sahraouis au colonisateur marocain, les autorités espagnoles ont toujours aidé dans la discrétion le Maroc (sur ce dossier), ces dernières années.

Dans un communiqué du Cabinet royal qui a surpris et étonné tout le monde, Pedro Sánchez, Président du gouvernement espagnol, a adressé un message secret au Roi Mohammed VI, dans lequel « l'Espagne considère l'initiative marocaine d'autonomie, présentée en 2007, comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend sur le Sahara ». Il ne pensait pas que cette information, qui vient de tomber comme un couperet de guillotine, serait divulguée par le Makhzen qui cherche le moindre prétexte pour mettre la main sur le territoire du Sahara occidental. En s'alignant officiellement sur la position du Maroc dans le conflit du Sahara occidental, Pedro Sánchez a provoqué de vives réactions des indépendantistes sahraouis du Front Polisario comme la plupart des citoyens démocrates espagnols. Alors qu'elle avait toujours prôné la neutralité entre Rabat et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, l'Espagne, en réalité et dans la discrétion, a toujours fermé les yeux sur le pillage des richesses du Sahara occidental, qui va à l'encontre de la légitimité internationale. Cette position exprimée discrètement par le gouvernement espagnol contredit absolument la légitimité internationale. Les Nations unies, l'Union africaine, l'Union européenne, la Cour internationale de justice et la Cour européenne de justice (dont l'Espagne est membre) et toutes les organisations régionales ne reconnaissent pas une quelconque souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Cette nouvelle position espagnole qui a fait l'objet d'une lettre du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez au roi du Maroc et pour laquelle il demandait a Mohamed VI de garder le secret, - malheureusement pour lui- a été annoncée quelques heures après par Rabat en citant le message, a été saluée par les autorités marocaines.

Dans un communiqué, le ministère marocain des Affaires étrangères a salué »les positions positives et les engagements constructifs de l'Espagne au sujet du Sahara marocain». Cette position de l'Espagne officielle, pour le moins condamnable, viendrait à apaiser la brouille diplomatique majeure avec le Maroc concernant en particulier l'accueil en Espagne, pour y être soigné du Covid, du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, ennemi juré de Rabat. Avec ce changement radical de position, Madrid pense aussi mettre fin à l'arrivée massive de migrants d'origine marocaine dans l'enclave espagnole de Ceuta, sur la côte nord du Maroc, et obligerait ce pays à renforcer la surveillance des frontières côté marocain. Selon Bernabé López, professeur d'études arabes et islamiques à l'Université autonome de Madrid, ce geste de Madrid sur le Sahara a principalement pour but d'obtenir de Rabat un contrôle des flux migratoires. Afin »de serrer un peu la vis et qu'il y ait plus de contrôle et non cette absence intentionnée de contrôle de la part du Maroc», juge-t-il. Pour parer à ces éventualités, le gouvernement espagnol a cédé à la principale exigence du Maroc qui lui demandait de «soutenir sa proposition d'autonomie» du Sahara occidental. C'est ainsi que pour renforcer la normalisation des relations entre les deux pays, il est prévu une visite de Pedro Sanchez au Maroc à Rabat «avant la fin du mois», selon le gouvernement espagnol. Pour Ignacio Cembrero, journaliste espagnol spécialiste des relations entre les deux pays : «C'est un changement important» car »le Maroc exige que cela soit rendu public» mais »les autorités espagnoles ont toujours aidé le Maroc (sur ce dossier) ces dernières années» dans la discrétion, nuance-t-il. Ce virage de Pedro Sanchez pourrait par ailleurs créer de fortes tensions au sein même de son exécutif avec ses alliés de la gauche radicale de Podemos, favorables à l'autodétermination des Sahraouis.

Sur Twitter, la ministre du Travail, représentant Podemos, Yolanda Diaz, a déclaré que »toute solution au conflit (au Sahara occidental) devait passer par le respect et la volonté démocratique du peuple sahraoui».

Avec cette lettre de Pedro Sánchez à Mohamed VI sur le Sahara occidental, Madrid s'expose à une gravissime crise interne. Quelle mouche a bien pu piquer les autorités ibériques qui, sans coup férir, viennent de décider d'apporter une sorte de blanc-seing au « plan de large autonomie avancé par le Maroc ? » La réponse réside sans doute dans le caractère hargneux et belliqueux de cet expansionniste voisin du Sud. L'affaire des 10.000 migrants, dont bon nombre de femmes et d'enfants, « envoyés » vers l'enclave de Melilla est encore fraîche dans les mémoires.

La crise a connu son point d'orgue lorsque 8.000 migrants clandestins, dont des mineurs, ont afflué, à la mi-mai dernier, du Maroc vers Ceuta (sous administration espagnole), ce qui a été considéré par des responsables espagnols et européens comme étant une tentative de Rabat d'exercer une pression sur Madrid après avoir accueilli le responsable du Polisario pour des soins. Au mois de juillet dernier, le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a nommé José Manuel Albares au poste de ministre des Affaires étrangères à la place de Arancha Gonzalez Laya, pour améliorer les relations avec le Maroc, selon des médias des deux pays.

Le 20 août dernier, le souverain marocain a déclaré dans un discours télévisé que son pays «aspire à inaugurer une nouvelle phase inédite dans ses relations avec l'Espagne». Le roi Mohammed VI a déclaré à ce propos : « Il est vrai que ces relations ont été marquées, au cours de la récente période, par une crise inédite, qui a secoué fortement la confiance mutuelle et soulevé de nombreuses interrogations sur le destin de nos liens. Toutefois, nous avons travaillé avec la partie espagnole dans le calme, la clarté et la responsabilité ». Il aurait pu ajouter « dans le secret ». Sur son site officiel, le MAE marocain s'est empressé de se féliciter face à ce changement d'attitude de la part des autorités espagnoles. Le département de cet inénarrable Nacer Bourita est même allé jusqu'à laisser entendre que Madrid pourrait aller encore plus loin dans ses compromis et compromissions. Il n'en demeure pas moins qu'en agissant de la sorte, Madrid vient de s'exposer à une très grave crise, dont l'ampleur n'a sans doute jamais été atteinte depuis Franco.

Le PP (parti populaire principal, parti d'opposition) vient de demander la comparution de Sanchez pour rupture d'un consensus national vieux de 47 ans. Le PP exige que Sánchez explique au Congrès le changement « inadmissible et intolérable » de la position du gouvernement sur le Sahara occidental. Le Parti populaire a ainsi enregistré une demande de comparution urgente du président du gouvernement, Pedro Sánchez, pour « expliquer l'envoi d'une lettre au roi Mohamed VI dans laquelle il soutient l'autonomie du Sahara proposée par le Maroc, la considérant comme la plus sérieuse, réaliste et crédible pour résoudre le conflit », selon un communiqué du groupe parlementaire. Le PP juge « intolérable que ce changement d'une position politique traditionnellement consensuelle » ne soit pas « convenu avec le principal parti d'opposition ». « C'est la manière dont Pedro Sánchez comprend la politique de l'État », indique le communiqué. En fait, le PP plonge dans la division de l'exécutif : «c'est la position que ne maintient pas le gouvernement mais une infime partie du gouvernement, car Podemos a pris ses distances. L'image extérieure de l'Espagne est à nouveau à son niveau le plus bas de l'histoire de la démocratie. Le parti dirigé virtuellement par Alberto Núñez Feijóo « exige de connaître le contenu de la lettre envoyée au roi du Maroc afin de faire une évaluation plus éclairée, anticipant que ce que la lettre offre au Maroc, qui est la transparence. Le PP prévient également que « cette décision a aussi des implications pour notre politique énergétique dans laquelle l'Espagne dépend de l'Algérie pour l'approvisionnement en gaz » et se demande « si le Premier ministre a informé l'Algérie de cette décision, en espérant qu'elle ne sera pas le fruit d'une improvisation de plus. La responsabilité de Madrid, tant historique que politique, dans le conflit sahraoui est pleinement établie. En quittant le Sahara occidental, les autorités madrilènes ont omis d'assumer leur responsabilité, laissant le Maroc s'en emparer sans coup férir, et loin de toute légalité internationale.

Ainsi, et si cette inattendue lettre de Pedro Sánchez a toutes les chances de faire long feu, elle n'en rajoute pas moins une once de complexité à ce dossier pourtant simple, et portant plan de décolonisation d'un territoire non autonome, illégalement occupé par le Maroc...

Le changement de position de Madrid est, selon la présidence sahraouie et le Front Polisario, «le résultat de mois intenses de chantage marocain contre l'Espagne pour restaurer les relations diplomatiques à leur état antérieur. Malheureusement, au lieu que Madrid entende restaurer ses relations bilatérales avec son voisin du Sud sur des bases solides, il a choisi de se soumettre, une fois de plus, au chantage marocain», déplore la même source.

De plus, la position exprimée par Madrid contient des éléments très dangereux, comme la référence à la proposition marocaine comme « la plus sérieuse, réaliste et objective... » pour résoudre le conflit au Sahara occidental», en appui clair à l'approche unilatérale, en contradiction avec la légitimité, le droit international et l'exercice libre et démocratique par le peuple sahraoui de son droit inaliénable à l'autodétermination et à l'indépendance, regrettent la présidence sahraouie et le Front Polisario.

Cette position «affecte tout rôle éventuel de l'Espagne dans la solution du conflit et dans la décolonisation du Sahara occidental, ainsi que les efforts actuels pour réactiver le processus de paix parrainé par les Nations unies».

Le conflit du Sahara occidental, ex-colonie espagnole considérée comme un «territoire non autonome» par l'ONU, oppose depuis des décennies le Maroc aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario. Rabat, qui contrôle près de 80% de ce territoire, propose un plan d'autonomie sous sa souveraineté tandis que le Polisario réclame un référendum d'autodétermination, prévu lors de la signature en 1991 d'un cessez-le feu mais jamais concrétisé.

Le Sahara occidental est au centre de toute l'action diplomatique de Rabat. En contrepartie de la reprise de ses relations diplomatiques avec Israël, le Maroc avait obtenu des Etats-Unis, alors dirigés par le très controversé Donald Trump, la reconnaissance de «la marocanité» de l'ex-colonie espagnole. En octobre 2021, le Conseil de sécurité de l'ONU a décidé de proroger jusqu'au 31 octobre 2022 le mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Est-ce que le président Biden peut changer quelque chose à la décision de Trump ? Non ! Il ne changera rien parce qu'il n'a pas très envie de le faire et de se brouiller avec le Maroc. Biden peut effectivement ajouter une ou deux closes en disant que ça devrait se faire conformément au droit international et que c'est regrettable de ne pas avoir consulté les populations concernées ou autre.

Mais fondamentalement, ça ne changera rien à mon avis. Les propos de M. Sanchez constituent un revirement inattendu de la position de Madrid sur une question très sensible. Favorable à une résolution du conflit « dans le cadre des Nations unies », Madrid avait jusque-là refusé de se positionner sur la question du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole classée comme « non autonome » par l'ONU, et dont la majeure partie du territoire est sous contrôle du Maroc depuis la guerre menée en 1976 contre les indépendantistes sahraouis du Front Polisario.

Et avec la normalisation en décembre des relations entre le Maroc et Israël avec ce troc en arrière-plan de deux colonies, le roi du Maroc promet à Israël : «Je ne dis rien sur ta colonisation de la Palestine et en contrepartie, les États-Unis reconnaissent le fait que le Sahara occidental appartient au Maroc».

Sachant pourtant que le conflit du Sahara occidental est toujours sur la table des Nations unies, qu'on ne peut pas contourner le droit international, qu'on ne peut pas se priver de la consultation des populations concernées et que rien n'est réglé dans ce conflit, le Maroc avait obtenu des Etats-Unis, alors dirigés par le très controversé Donald Trump, la reconnaissance de «la marocanité» de l'ex-colonie espagnole. Répondant aux propos de Trump, l'ONU a dit que le conflit n'était pas réglé et que ça restait un territoire non autonome, c'est-à-dire qu'il fait partie des territoires encore à décoloniser. La résolution de ce conflit est aujourd'hui un dossier confié aux Nations Unies depuis 1991.