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Ramtane Lamamra: Le Maroc est allé trop loin

par Houari Barti

Dans un entretien diffusé, samedi soir, sur la chaîne de télévision russe RT Arabic, le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra a pu s'exprimer sur plusieurs dossiers régionaux où l'Algérie joue un rôle de médiateur, notamment en Libye et au Mali, mais aussi sur les tensions diplomatiques actuelles avec le Maroc et la France.

Sur le dossier de la crise diplomatique avec le Maroc, M. Lamamra a estimé que «le Maroc est allé très loin dans ses attaques et dans ses entreprises conspirationnistes contre l'Algérie». Des entreprises qui se sont notamment manifestées, a expliqué le chef de la diplomatie algérienne, à travers «le recours de Rabat à «l'utilisation d'individus et de groupes qualifiés, à juste titre, en Algérie de terroristes». La Maroc, a-t-il expliqué, «a œuvré en utilisant des procédés assimilés aux guerres dites de quatrième génération pour nuire à la stabilité de l'Algérie, de l'intérieur». Aussi, a-t-il ajouté, «le Maroc (NDLR : dans son face-à-face avec l'Algérie) est allé jusqu'à solliciter le renfort et le secours d'Israël». Commentant cette alliance, M. Lamamra dira : « Nous ne critiquons pas les pays qui usent de leurs souveraineté (NDLR : à faire des alliances), mais les entreprises visant à frapper la sécurité et la stabilité de l'Algérie».

A ce propos, a ajouté le ministre des Affaires étrangères, «nous avons attiré l'attention de tout le monde sur ces pratiques» qualifiées de «dangereuses» et d'«inacceptables», contre lesquelles, a-t-il souligné, «l'Algérie se doit de répondre avec force, à plus forte raison, quand la partie marocaine recourt, de manière préméditée, à la calomnie et au mensonge en parlant de la politique algérienne dans la région, notamment quand «des ministres soutiennent, depuis Rabat même, que l'Algérie est une source d'inquiétude», alors qu'il est «unanimement admis que l'Algérie est un élément de stabilité et de paix dans notre région».

Commentant la tension avec Paris, Ramtane Lamamra rappelle tout d'abord qu'il y a eu beaucoup de déclarations à propos de cette crise en France. Mais, a-t-il précisé, «l'Algérie ne pratique pas la diplomatie du haut-parleur». «Elle travaille dans le calme, exploite les canaux diplomatiques ouverts et enregistre ses positions en toute transparence et en toute clarté lorsqu'il s'agit de questions touchant à sa souveraineté nationale et à ses intérêts suprêmes», a déclaré Ramtane Lamamra lors de l'émission «News maker» de RT Arabic.

Il a rappelé que cette crise est née suite aux «des déclarations incompréhensibles et inacceptables faites en haut lieu» en France «sans qu'un contexte raisonnable ne les justifient». Lamamra faisait allusion aux déclarations polémiques du président Emmanuel Macron sur l'Algérie et son Histoire. Des propos qu'il a qualifiés d'«agression verbale sur la souveraineté de l'Algérie». «On a parlé de l'Histoire de l'Algérie, du système de gouvernance en Algérie, de questions de souveraineté. Nous n'acceptons aucune ingérence dans nos affaires intérieures de quelque part que ce soit, à fortiori quand elle émane de l'ancien colonisateur», a-t-il dit.

Et d'ajouter : «l'Algérie a mis les points sur les i, a pris des mesures concrètes pour exprimer son mécontentement, a convoqué l'ambassadeur d'Algérie pour consultation. Et l'ambassadeur (à Paris) est toujours à Alger». S'agissant de la décision de l'Algérie de fermer son espace aérien aux avions militaires français, qui interviennent au Mali dans le cadre de l'opération Barkhane, M. Lamamra précise qu'il s'agit « d'une décision souveraine, qui exprime notre colère et notre indignation face aux violences verbales françaises ».

Interrogé sur le rôle de l'Algérie et sa position face à une éventuelle présence militaire russe au Mali, Ramtane Lamamra dira que «l'Algérie n'a pas d'informations précises sur cette question », avant d'expliquer : «à partir de notre position de principe favorable à la non-ingérence, nous ne souhaitons pas une présence étrangère dans les pays africains indépendants. Nous voulons un continent sans aucune présence militaire étrangère», a-t-il souligné.

Abordant les relations algéro-russes, le chef de la diplomatie parle de «relations historiques et anciennes», les deux pays ayant signé, a-t-il rappelé, «une Déclaration de partenariat stratégique en 2006». Il a également évoqué les rapports de la Russie avec l'Afrique, parlant d'une réunion Russie-Afrique des ministres des Affaires étrangères, qui a été reportée.

L'Algérie, a-t-il insisté, «consulte d'une manière concrète et sérieuse la Russie sur certains dossiers sensibles présentés devant le Conseil de sécurité de l'ONU ou sur certaines questions touchant aux intérêts de la Russie dans des forums internationaux où l'Algérie est présente», a-t-il noté.

Dans le dossier malien, Ramtane Lamamra a affirmé que «tout ce qui touche à la sécurité, à la stabilité et aux intérêts du Mali touche l'Algérie», après avoir rappelé le rôle joué par le Mali depuis 1960 dans le soutien de la révolution algérienne et des relations privilégiées qui lient les deux pays après l'indépendance.

L'Algérie, a-t-il expliqué, préside depuis 2015 le comité de suivi de l'application des Accords de paix signés à Alger entre les différentes parties de la crise du Nord Mali. «Toutes les parties armées ou politiques écoutaient les conseils de l'Algérie lors de nombreuses et précédentes actions de médiation», a-t-il noté.

Il a indiqué qu'après la détérioration récente des relations diplomatiques entre Bamako et Paris, l'Algérie a pris soin d'écouter les reproches faits par les autorités maliennes à la France. «Nous savons que des manifestations ont été organisées au Mali pour dénoncer le comportement des forces militaires françaises déployées au Mali. Il y a eu des reproches exprimés par le Mali à l'Etat français et à l'armée française et il y a eu des déclarations officielles françaises contre l'Etat malien que nous considérons en Algérie comme une ingérence dans les affaires intérieures du Mali. Nous ne tolérons pas de tels comportements», a déclaré le chef de la diplomatie algérienne. Et de souligner : «nous avons le devoir d'exprimer notre solidarité au peuple et à l'Etat maliens dans ce contexte».

Pour ce qui est du conflit libyen, le chef de la diplomatie algérienne s'est félicité de voir la Libye accueillir sur son sol, pour la première fois depuis 11 ans, 15 ministres étrangers d'Afrique, du monde arabe et d'Europe, en plus de délégations de haut rang de pays membres du Conseil de sécurité (Russie, Chine et Etats-Unis). «Ceci démontre que la Libye est arrivée à un degré de non-violence qui lui permet de recevoir des délégations aussi importantes sur son sol et à l'étranger,» a-t-il affirmé.

S'agissant de la participation de la Syrie au prochain sommet arabe qui se tiendra à Alger, le ministre des Affaires étrangères dira que c'est une question qui dépendra des discussions, avant d'exprimer son souhait que ces discussions soient positives pour voir la Syrie parmi les pays présents à ce sommet.