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Le temps du pouvoir et le pouvoir du temps en Algérie

par Mohamed El Bachir Louhibi

31ème partie



Étant en crise les répercussion en cascades apparurent dans les activités en amont et en aval.

La famine régnait en maîtresse dans les campagnes abandonnées par bon nombre de leurs habitants qui n'avait plus de nourriture pour eux même et leur maigre cheptel. Des bataillons de misérables envahirent les villes pour s'adonner à la mendicité.

L'administration au lieu de faire son auto-critique et prendre des mesures appropriées s'évertua à mettre en évidence la prétendue paresse des algériens Elle mit en place des mesures de police, telle celle décidée par le Préfet d'Oran relative a des colonnes mobiles pour réprimer l'indigène.

Réprimer était le terme familier utilisé au quotidien alors que les services du gouvernement général avec l'acquisition de 500.000 tonnes de céréales aurait permis de faire la soudure jusqu'à la récolte suivante, celle de 1921.

Au lieu de cela la presse coloniale et l'administration réagissaient toujours négativement en ayant recours à la politique de l'autruche.

Les multiples incidents intervenus à travers tout le territoire algérien provoquèrent quelques mesures insignifiantes par ci, par la et furent plus profitables aux collaborateurs de l'Administration et aux spéculateurs.

La gravité de la situation était telle que le Bureau international de défense des indigènes à partir de Genève avait attiré l'attention sur la famine et la situation désastreuse des indigènes algériens.

Les conséquences de la 1ère guerre mondiale, aggravées par celle de la sécheresse, alors que les algériens avaient participé à la défense de la France en payant un lourd tribut et l'impôt du sang n'ont bénéficié d'aucune réaction relevant des devoirs et des obligations de celle ci, encore moins de quelque sentiment de reconnaissance ou a tout le moins simplement humanitaires.

Beaucoup d'associations religieuses manifestèrent leur solidarité avec cette partie des malheureuses victimes de la misère. Mais le nombre était tel que chaque matin à l'aube on ramassait des cadavres de ces affamés dans beaucoup de grandes villes d'Est en Ouest et du Nord au Sud.

Il y a eu des cas d'anthropophagie en nombre réduit certes.

La mendicité, la misère, la faim, le froid, les maladies et la mort au bord des grands chemins ou dans les rues des villes ne suscitèrent en rien les réactions qui s'imposaient.

L'administration fiscale continuait à exercer ses prérogatives arbitraires malgré l'omniprésence de la misère en percevant tous les impôts directs et indirects auxquels étaient soumis les Algériens et non Algériens mais aussi et surtout des impôts spécifiques appliqués aux seuls Algériens.

L'arbitraire était on ne peut plus évident. Seuls les algériens étaient soumis a des corvées, des actions de surveillance des feux de forêts et de lutte contre les sauterelles.

Comble d'injustice, ils payèrent l'impôt foncier même pour des gourbis jusqu'en 1918 Ils étaient encore contraints d'acquitter les impôts dûs par un parent défaillant fut-il proche ou lointain.

Paradoxalement les colons qui régnaient en maîtres partout étaient les plus favorisés face à l'impôt comparativement même aux autres contribuables européens activant dans d'autres branches de l'économie.

Cette injustice criarde, étalée dans l'espace et dans le temps s'appliquait à tous les algériens et était aggravée tant par les auxiliaires indigènes de l'ordre colonial tels les caïds, aghas et autres porteurs de contraintes et percepteurs essentiellement juifs.

L'inégalité devant l'impôt était rapidement devenus un autre élément de la décomposition.

L'ordre colonial dans son aveuglement et son arbitraire créait, développait et amplifiait tous les ingrédients de cette décomposition qui intervenait a un rythme très rapide qu'elle soit mesurée à l'échelle d'une vie humaine ou à celle de l'histoire.

La durée du service militaire de 3 ans imposée aux algériens, alors qu'elle était de 2 ans seulement pour les européens. le fait de les exposer en première ligne dans les combats pour préserver les français, les conditions de vie en caserne fondamentalement différentes, les mauvais traitements qui leurs étaient infligés par des sous ?officiers et des officiers oppresseurs, l'impossibilité pour eux d'accéder à un grade supérieur à celui de capitaine a condition d'être nationalisé français donne une idée d'une certaine conception française de l'honneur et du devoir de solidarité, d'équité et de justice dans l'armée française.

Pourtant les algériens n'étaient pas des mercenaires. Ils n'ont rien demandé et n'ont jamais envahi personne.

Impliqués malgré eux dans des causes qui n'étaient pas les leurs, secrétés par un ordre impérial et une France dont l'histoire est jalonnée de guerres incessantes et meurtrières, ils méritaient au moins le respect dû a un être humain.

Quant à la fraternité d'armes, il n'y avaient pas droit, encore moins a celle qui fait partie de la devise de la République.

Ceci ne les empêcha pas eux qui avaient été si souvent qualifiés d'incompétents dans tous les domaines de montrer leur courage et leur héroïsme que les français connaissaient déjà à travers les années de résistance héroïque de l'Emir Abdel Kader confronté avec de faibles moyens à la première puissance militaire de cette époque.

Si les enfumâdes du Dahra et d'ailleurs avaient été les précurseurs des fours crématoires, le code de l'indigénat a été celui des lois sur l'apartheid.

Aucun terme ne peut qualifier les lois scélérates, injustes, haïssables qu'il contenait, c'était la domination politique, économique et culturelle qui le caractérisait.

Il était l'instrument parfait de la division entre les 2 communautés par toutes les fractures qu'il générait : d'ou polémiques, contestations, révoltes répétées.

Il imposait une frontière grossière, entre les colonisateurs et les colonisés qu'il enfermait carrément sans ambages ni détours dans un implacable ghetto.

Le code de l'indigénat lui rappelait quotidiennement comme le reste de l'arsenal juridique qu'il restait l'eternel vaincu, ce que la révolution du 1 er novembre 1954 démentira.

L'algérien restait aussi l'éternel ennemi, capable de toutes les infamies dés lors qu'il ne savait pas apprécier «l'œuvre civilisationnelle» de l'ordre colonial.

Celui ci croyait incarner une puissance indétrônable, une civilisation cohérente aux contours bien définis représentée par des sujets purs et parfaits.

Les tenants de cet ordre détestable voulaient encore diviser le monde et son histoire en évolution rapide depuis le début du 20ème siècle dans des concepts globalisants, à l'intérieur duquel évidemment ils s'étaient réservés les meilleures places.

Ils ont enfermé leur groupe dans un bloc étanche alors que rien n'est plus enrichissant que le brassage entre les espèces humaines dont l'échange culturel, économique, social sous toutes ses formes génère tolérance et cohabitation.

La masse des algériens étaient derrière un noyau d'intellectuels qu'elle suivait parce qu'ils formulèrent longtemps des demandes raisonnables dans un cadre légal et qui ne furent jamais prises au sérieux. A suivre