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Indispensable neutralité

par Abdelkrim Zerzouri

Politique et justice n'ont jamais fait bon ménage. Les exemples sont légion à travers le monde et en Algérie, particulièrement, où la justice a été longtemps et outrageusement instrumentalisée par le pouvoir politique ou exécutif jusqu'à lui faire perdre son serment et sa conscience. En somme, on s'accorde à dire ainsi que lorsque la politique franchit le pas du tribunal, la justice s'éclipse par la fenêtre. C'est peut-être dans cette optique que les magistrats souhaitent sortir du jeu électoral qui est entièrement enjeu politicien et ne les concerne de près que lorsqu'il y a des litiges dans le processus entre candidats ou entre formations politiques en lice dans les élections, litiges qui se règlent dans un tribunal et pas dans un quelconque autre bureau.

Cette préoccupation des magistrats, qui a été dévoilée par le président du Syndicat national des magistrats (SNM), Issad Mabrouk, lors d'une émission sur une chaîne de télévision privée, confirme le malaise des juges dans leur mission au sein de l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE). Les magistrats estiment que les tâches qu'on leur a chevillées dans le processus de l'organisation des élections devraient incomber à des administratifs. Pas seulement à cause de l'incompatibilité d'humeur entre le politique et la justice ou d'une neutralité politique indispensable, mais également pour d'autres raisons pécuniaires et de pression sur le plan du labeur qui s'ajoute aux traitements des dossiers des justiciables. Le magistrat, le premier engagé dans l'opération du vote, dès l'entame des contrôles des listes électorales, et reste le dernier à superviser son bon déroulement jusqu'à la proclamation des résultats, n'est pas mieux payé que les agents d'encadrement des bureaux de vote ! Grave injustice à l'encontre des magistrats.

L'ANIE qui est aujourd'hui une institution constitutionnalisée devrait les décharger de ce rôle dans le processus électoral et confier les fonctions qui leur étaient fixées à des administratifs. C'est le message transmis par le président du SNM au président de l'ANIE sous forme d'une préoccupation majeure des magistrats. Et le président de l'ANIE a tout intérêt de bien étudier la question et songer à étoffer son équipe en faisant appel à des professionnels dans le domaine technico-administratif pour occuper les fonctions confiées aux magistrats, qui est la solution la mieux appropriée dans ce contexte, et à contrario faire en sorte que les indemnités qu'on leur attribuait dans le cadre de l'exercice de cette mission soient revues à la hausse. Soit une importante réévaluation de leur activité. Mais pour éviter ces considérations pécuniaires qui ne feront que rajouter embarras et suspicion, on serait plus avisé de faire bon écho à la préoccupation essentielle des magistrats qui souhaitent sortir de la forme organisationnelle des élections, sans rien demander en plus.

D'ailleurs, cela réglerait le problème auquel se trouve confrontée l'ANIE, en l'occurrence l'impossible organisation des prochaines élections législatives et locales le même jour, «faute de magistrats en nombre suffisant». Cette option n'est plus totalement écartée depuis que le président de la République a laissé entendre que les élections législatives et locales pourraient être organisées à la même date et seul un personnel technico-administratif pourrait combler le déficit en magistrats.