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LE «KOURSI» FANTASMÉ

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Je n'ai jamais bien compris pourquoi - surtout lors des cérémonies officielles , lors de la tenue de rencontres ou de séminaires nationaux , ou même locaux - la première rangée des présents est toujours assise dans de beaux fauteuils bien rembourrés, alors que celles qui suivent se contentent de chaises moins fastueuses, presque bancales.

Cela donne une image assez étonnante : une assistance composée de deux collèges bien distincts, le premier seigneurial, puant le pouvoir et le fric, aux fesses fragiles, et le deuxième à l'arrière- train pouvant tout supporter, les sièges les plus simples...comme les coups de pied au c...

C'est donc, une image qui nous ramène loin, très loin en arrière, au temps d'une organisation du pouvoir, en apparence populaire donc égalitariste, mais en réalité partageant les citoyens en deux catégories bien distinctes : Les assis et les debout, les (bien-) calés et les décalés ou les recalés de la vie, les discoureurs et les applaudisseurs, les gras et les maigres, ceux du pouvoir et ceux du devoir, ceux de l'avoir et ceux du seul espoir.

Avec Octobre 88 et le pluralisme des actes et des idées aidant, on avait cru que tout cela allait disparaître. Peu à peu, mais tout de même disparaître. Les choses avaient, certes, évoluer dans cette direction, mais, chassez les mauvaises habitudes, elles sont très vite revenues au galop. Ça a empiré avec l'arrivée des «Excellences».

On a vu donc, comme un retour en arrière qui, tout en laissant une grande partie du public mal assise, la torturant doublement ( les interventions étant, elles-mêmes , une première torture), met mal à l'aise toute la Nation vissée devant les petites lucarnes des «Uniques», donnant, ainsi, une image couleur sépia, très rétro, de notre sphère «dirigeante».

Même en Chine et Cuba, le dispositif protocolaire avait évolué vers l'égalité des sièges et la modernité des postures Ne restaient plus - peut-être - que la Corée du Nord et certaines monarchies orientales.

Il est certain que, bien souvent, l'organisation des sièges n'a rien à voir avec les vœux de l'invité qui se retrouve ainsi «piégé», au fond de son fauteuil, si profond qu'il lui est difficile de s'en dégager. Et si doux qu'il lui sera difficile de s'en séparer. Cette organisation relève, certes, d'un comportement hospitalier, mais beaucoup plus d'une relation admirative, fantasmatique du «koursi».

Ce «koursi» -là, si fantasmé et si recherché -là, n'est ni celui du public des mezzanines ni celui du gestionnaire qui trime. C'est celui de ceux -rares ou nombreux- qui ont le privilège de faire partie de l'assistance, qui jaugent (et jugent en catimini), qui applaudissent, qui soutiennent ou critiquent, qui croient faire et défaire (croient-ils, et croit-on) le pouvoir «réel». Le Peuple, lui, est dehors, ou debout.