Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

BRAVADE AVEUGLE

par Abdou BENABBOU

Etrange sentiment que celui qui nous prend à la gorge quand nous apprenons que des corps de nos jeunes concitoyens ont été engloutis par la mer ! Vouloir partir à la recherche d'une nouvelle existence n'a pas seulement que la colère et le désespoir comme origine et les causes vont bien au-delà de la misère aussi prenante soit-elle. Elle n'a pas la forme d'une simple contestation contre le sort, ni une fatidique protestation contre des semblables sur lesquels les doigts sont en permanence pointés. Elle est surtout désespérance de soi. Celle qui mène droit vers un effacement parce que les accords avec l'existence ont été faussés et braver la mer serait la recherche d'un autre soi.

Elle peut paraître comme un combat pour se retrouver, mais la duperie n'est que feinte même pour une jeunesse désemparée qui sait que nulle part aucun eldorado ne l'attend. Ailleurs et partout, les autres ont fini aussi par être convaincus du maléfice des perverses fées et chants des sirènes pour les noyer dans la malvie. Peu de téméraires y échappent. L'humanité entière est surprise dans une laborieuse mais veine prospection pour découvrir un nouveau profil.

Le risque du suicide entrepris par des jeunes et des moins jeunes et parfois même par des familles entières n'est sans doute qu'une tentative d'échappée aveugle pour dénicher un autre soi. L'aisance de la vie des autres sur les rivages d'en face n'est que des prétextes pour justifier une fabuleuse et démesurée ivresse imposée par la force du temps. Dans les élans suicidaires solitaires est tapie une volonté farouche de changer un monde en embrassant dans un terrible et paradoxal défi, le confinement de soi sachant qu'il risque de s'avérer plus mortel que celui imposé par la nature.

Les griefs et les haines contre l'environnement national du moment ne sont en vérité que les signes apparents de définitifs échecs et il est trop simple d'en limiter les responsabilités à des cercles restreints alors que c'est toute l'humanité qui sombre.