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Le baccalauréat, une institution à reformer

par Mohammed El Akermi*

Ecrire sur le système éducatif en ce moment de rentrée sociale, peut paraitre secondaire devant des sujets comme la pandémie du coronavirus Covid 19, ou encore celui du référendum sur la constitution, qui occupent l'essentiel de l'action de l'Etat, et préoccupent le citoyen algérien.

Mais malgré ce contexte, la question de l'Ecole, et son rôle sur le développement économique et social sera toujours au centre de tous les enjeux et tous les défis, dans la construction d'une Algérie nouvelle. Car il relève de l'évidence que pour s'assurer un développement économique et social équilibré, il s'agit, d'abord, de définir et de mener des programmes en cohérence avec les potentialités humaines et matériels du pays, mais aussi d'organiser le système éducatif en symbiose et en adéquation avec les autres politiques publiques. Certes, le rôle de l'Ecole est, principalement, de contribuer à l'élévation du niveau culturel et scientifique du citoyen, mais elle a aussi, la responsabilité de former la ressource humaine nécessaire au développement économique.

Le système d'enseignement et de formation doit alors, en même temps, produire de la connaissance et la transmettre, et former aux compétences et aux expertises nécessaires, en accord avec les évolutions scientifiques et technologiques du monde.Or le constat unanimement admis, pour notre pays, est que le niveau de l'enseignement a baissé de manière dangereuse : les savoirs, les compétences et les connaissances minimum exigées, pour tout niveau d'enseignement, ne sont pas totalement acquises. Egalement, l'environnement économique reproche au système de formation son inadéquation avec les besoins du développement économique.Donc, chercher des solutions à ces situations, demande à agir sur les programmes, les contenus, le système d'orientation (modes d'articulations entre les paliers (primaire-moyen ; moyen-secondaire ; moyen-technique et professionnel ; secondaire-université ; professionnel-université ; etc.)), ainsi que sur le mode de formation des enseignants, et bien d'autres considérations.

Devant ce vaste sujet,notre contribution s'intéressera à un des aspects :les incidences de l'organisation du baccalauréat sur la réussite des politiques de développement économique et industrielle du pays, en relation avec les évolutions scientifiques et technologiques du monde.

Dans cette équation, agir sur le baccalauréat en Algérie, devenu une « institution sociale incontournable», semble important dans la recherche de la cohérence entre l'Ecole et l'environnement socioéconomique, car le baccalauréat conditionne dans une très large part, l'organisation du système national d'enseignement et de recherche.           

Le baccalauréat dont la préparation commence au passage du collège au lycée, et qui détermine l'accès à l'université, est le produit d'un mode d'orientation inadéquat. En effet, les problèmes de rendement de notre système d'enseignement et de formation, et son inadaptation avec l'environnement économique, sont essentiellement induits par ce système national d'orientation, censé définir les mécanismes qui organisent les passages aux différents paliers et les passerelles entre les composantes de ce système (éducation - formation - enseignement supérieur). L'architecture du baccalauréat est le reflet le plus visible des défaillances du système d'orientation, comme le montre la structure des candidats d'il y a deux années, et qui n'a pas beaucoup changé, aujourd'hui :

Lettres et philosophie : 22.73 % (du nombre total de candidats)

Langues étrangères : 9.66 %

Gestion et économie :10.81 %

Sciences expérimentales :46.36 %

Mathématiques : 4.19 %

Technologie : (génie mécanique ; génie électrique ; génie civil ; génie des procédés) : 6.26 %.

Ainsi, le baccalauréat sciences capte la moitié des candidats (47%). Ce diplôme peut être obtenu, juste avec de bonnes notes en arabe, en français, en histoire et en sciences islamiques, même si les notes de sciences naturelles, physique et mathématiques sont médiocres. Cela n'incite pas à l'effort et à l'amélioration du niveau de l'enseignement. Par ailleurs,le baccalauréat sciences permet de s'inscrire en médecine, en technologie, en architecture, en informatique, en physique, en biologie, en droit, en économie, en sociologie, etc., sans une réelle préparation à suivre ces filières. Il est évident qu'on ne peut pas améliorer le taux de réussite en première année d'université, avec une telle structuration (quelques 40% réussissent en première année d'université). D'un autre coté, la structure du baccalauréat ne favorise pas l'ouverture de l'université sur l'environnement professionnel. Le souhait est que, par exemple, l'université assure des formations en agriculture ou dans l'agroalimentaire, alors qu'aucune préparation en agronomie n'est prévue au lycée.

Egalement, il en ressort clairement de ce schéma, que les mathématiques n'ont pas la part nécessaire à l'accompagnement du développement économique,et que l'enseignement technique et l'enseignement professionnel sont délaissés par rapport à l'enseignement académique.

Le baccalauréat« mathématiques »représente 4.19%, et le baccalauréat technologie 6.26%, sachant que ce dernier a été introduit provisoirement, au départ de la réforme, en attendant le bac professionnel qui n'est «jamais arrivé », alors que le baccalauréat technique, quant à lui, a tout simplement disparu.Cette faible part qu'occupent les mathématiques ne permet pas à l'Algérie de « garder le contact » avec le développement scientifique et technologique universel.

Sur un autre plan, le handicap majeur au développement économique et industriel, induit par l'architecture actuelle du baccalauréat, est la quasi absence d'enseignement technique et d'enseignement professionnel, que l'UNESCO évoque comme un ensemble de «processus d'enseignement qui incluent, en plus de l'enseignement général, l'étude des technologies et sciences connexes et l'acquisition de compétences pratiques, d'attitudes, de compréhensions et de savoir liées aux métiers dans les différents secteurs de l'économie et de la vie sociale ».Ce parcours qui est prévu formellement et qui est à différencier de la formation professionnelle, n'a pas pu s'implanter dans le paysage éducatif, et répondre aux objectifs qui lui sont assignés par la dernière réforme, d'il y a une quinzaine d'années. A l'absence de vision claire sur le rôle que peut jouer l'enseignement professionnel, se rajoutent des considérations sociales, qui handicapent son évolution. En effet, l'enseignement professionnel n'accueille pas de nombreux élèves admis au cycle post obligatoire, comme prévu par la réforme (30 à 40% des admis au cycle post-obligatoire), et ne prend pas en charge les filières techniques qui étaient assurées par l'éducation nationale, par le passé. Les raisons à cela sont multiples, notamment des considérations sociétales qui dévalorisent un métier par rapport à un autre, une spécialité par rapport à une autre, et de façon générale le manuel et le technique, devant le reste. Mais incontestablement l'essentiel de l'explication réside dans l'impossibilité pour les élèves de l'enseignement professionnel, d'obtenir un bac professionnel, et d'accéder, un jour, à un enseignement supérieur (licence professionnelle, par exemple).

Aujourd'hui, il devient impératif de donner de l'attractivité et du prestige à l'enseignement professionnel et technique, qui doit jouer un rôle important dans le monde du travail et dans le développement de l'économie nationale, par la formation de cadres techniques moyens, ainsi que d'une main d'œuvre polyvalente et qualifiée, et faciliter ainsi l'employabilité. Egalement, l'enseignement professionnel doit occuper sa place dans la société, notamment en matière de lutte contre la déperdition, et comme contribution à l'élévation du niveau scolaire, professionnel et social de la population. Ce cursus universel, qui est dispensé dans la plupart des pays, mérite d'être consacré comme une autre voie de réussite destinée aux jeunes Algériens en quête de qualifications.L'exemple de la Suisse où l'enseignement professionnel d'élite commence dès le jeune âge, est, à ce sujet, édifiant : 90% des Suisses sont diplômés ; seuls 4.7% sont au chômage (chiffres de l'OCDE). Dans cet ordre d'idées,le diplôme sanctionnant l'enseignement professionnel secondaire, peut être le baccalauréat professionnel, comme le font la plupart des pays, ou tout autre diplôme préparé en 3 années après l'enseignement post obligatoire, et donnant le droit à l'accès à l'université. Cette démarche diminuera de la pression sur le baccalauréat « général », devenu une question sociale importante, difficile à gérer.

D'un autre côté, la valorisation et la réorganisation de l'enseignement professionnel, amèneront plus de cohérence à notre système national d'enseignement et de formation. Car le management de l'utilisation de la ressource humaine organise les « équipes » en pyramide, ayant à sa tête un cadre supérieur (ingénieur par exemple, pour une usine) pour 4 à 5 cadres moyens (techniciens supérieurs, par exemple), et enfin, 4 à 5 agents d'exécution pour un technicien (ouvriers qualifiés, par exemple). Or, actuellement, le dimensionnement de notre système d'enseignement et de formation national évolue presqu'à l'inverse de ce schéma : les statistiques montrent clairement qu'on forme beaucoup plus en licence et master, qu'en technicien ou CAP (capacité d'aptitudes professionnelles).

La faiblesse de l'enseignement professionnel et technique dans notre pays, s'est aggravée depuis l'avènement de la réforme LMD de l'enseignement supérieur, puisque l'effort de l'université est orienté vers la préparation de diplômes sanctionnant un enseignement académique.L'Algérie a arrêté (ou presque) la formation d'ingénieurs, puisque moins de 3000 ingénieurs (en fait masters-ingénieurs) sont formés annuellement, aujourd'hui, contre plus de 30.000, il y a quelques années. Et c'est pourquoi, il parait vital aujourd'hui, pour un développement harmonieux de notre économie, de reprendre la formation classique d'ingénieurs (qui n'est pas celle des masters et masters-ingénieurs, devenus trop théoriques), dans nos écoles supérieures et nos universités de sciences et technologie, d'ailleurs encore pourvues d'encadrement spécialisé et d'équipement adéquat. L'ingénieur doit être formé aux techniques et technologies, adaptées au développement industriel et à l'entreprise.

Pour résumer, et au-delà des considérations sociales qui l'entourent, des grandes contraintes dans sa gestion, et de la faiblesse de son rendement, le baccalauréat devenu une institution importante dans la vie du pays, doit être réformé, pour améliorer l'efficacité du système national d'enseignement et de formation, et l'amener à mieux contribuer au développement social et économique. Dans la présente réflexion, nous ne nous sommes intéressés qu'à un des nombreux aspects du sujet, celui de l'incidence du baccalauréat sur le développement économique, au vu des évolutions scientifiques et technologiques du monde. En fait, de nombreux sujets doivent être pris en charge, dans le cadre d'une éventuelle réforme : objectifs du système national d'orientation ; nature des baccalauréats à retenir ; place des mathématiques ; place de l'enseignement technique ; place de l'enseignement professionnel (et à partir de quel niveau ?) ; spécialisation de l'élève(et à partir de quel moment ?) ;etc.

Mais d'ores et déjà, il apparait vital de prendre en charge toutes les filières techniques abandonnées, depuis l'avènement de la réforme, et dont le pays a grandement besoin, et ce, quel que soit le secteur ministériel qui les abritera. Egalement, l'enseignement professionnel et technique mérite d'être sanctionné par un baccalauréat, et se dérouler jusqu'à un enseignement professionnel supérieur, ce qui valorisera ce cursus et donnera une motivation pour les candidats à ce parcours.Cette démarche induira de nombreux avantages, dont celui d'alléger la surcharge des classes dans les lycées d'enseignement général, et d'améliorer les performances de ces derniers. En plus, ces dispositions amélioreront le rendement des élèves et leur réussite, dans des cursus différents et adaptés à leurs aptitudes, au lieu de les maintenir, tous, dans le même enseignement général, avec le taux de déperditions inquiétant, annoncé (entre 500.000 et 600.000 élèves quittent l'enseignement général sans diplôme, ni qualification ; chiffres du MEN de 2018). Enfin, à l'orientation par l'échec, actuelle, doit se substituer une orientation intelligente, selon les aptitudes de chacun.

*Universitaire