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Le journalisme, ce « champ de mines et de ruines » !

par El-Houari Dilmi

Le premier responsable en charge du secteur de la communication a encore planté une autre banderille dans le bon dos de ces «historiens du présent» pour dénoncer « l'exercice médiocre de la profession de journaliste en Algérie, un champ de mines et de ruines » a-t-il dégainé. Mais il paraît, selon une langue morte depuis des temps (dé) passés, que quand la plume a pour faiblesse de chialer, l'écrit n'a jamais eu le courage de rire jaune. C'est pourquoi peut-être, par et pour ce seul et petit «hic» que le bouche-à-oreille est devenu le média le plus « croyable » et la rumeur la seule... diseuse de choses vraies. C'est alors que par une matinée trop sombre, Larbi, pour fêter son anniversaire à lui, décida de donner libre cour à son cœur en rendant visite au douar des Bani-Maskhoutine. Débarquant dans une tenue trop « endimanchée » pour être celle d'un gars venu du coin d'à côté, il est très vite « dégrisé » pour se (ré) apprivoiser avec une vérité qu'il avait cru avoir, par tous les temps, choisi son camp (la vérité) déserté.

- Mais, qui pourrait bien être ce Larbi, caché derrière son blouson noir-corbeau, un jean Lee Cooper, une paire de savates luisant comme du faux cuivre, un stylo « fourré » dans l'oreille et quelque chose comme une besace en bandoulière, s'interrogent les sages du douar.

- Un expert venu nous déclamer que le blé pousse partout sauf dans les poches, un agent de recensement, un élu venu troquer ses chimères contre nos utopies, un enfant du douar de retour d'une longue absence... Non, Larbi n'a rien de tout cela. Qui est-il alors ?

- Je ne suis qu'un journaliste. Je viens de la ville de..., répond apeuré, Larbi.

- Et c'est quoi un « journaliste » ?, le fusille des yeux K'bir El-Douar...

- Un journaliste, c'est un homme. Lui aussi. Son métier, c'est d'abord un quidam qui veille à son souffle « coupé » de la vie. Et surtout, à son pain... noir. Un journaliste, ça peut même poser des questions « carrées » même si tout le monde ne veut pas lui faire des réponses trop « rondes », répond, haletant, Larbi.

- Et qu'êtes-vous venu faire ici M. Larbi...?

- Je suis venu vous parler de mon métier qui ne nourrit plus son homme, même si les gens d'aujourd'hui sont plus occupés à courir derrière leur âge qu'à rattraper le temps perdu.

- Ce n'est pas trop subversif ce que vous racontez là ? Avec tout ce qui se passe dans le pays et les discours menaçants du Raïs...?

- Non, non, rien de tout de cela. Je suis venu vous parler de mon métier. Un job pas trop bien rémunéré mais chèrement payé. Moi, Larbi, qui croit faire l'Histoire du présent, je suis miséreux, envié, suspect de tout et de rien, infréquentable mais quand même bien dans ma peau. Je suis même coupable. De tout et aux yeux de tous. Je suis même responsable de la pluie qui ne tombe pas. Le Corona qui ne fait peur à personne dans mon pays. Le pétrole qui ne vaut plus un rond. La lune qui ne veut rejoindre sa cache. De la valetaille qui menace notre pain national et ses coups fourrés. De la giga-crise qui tourmente la planète. Et c'est pour tout cela que moi Larbi, je suis condamné à passer toutes mes nuits dans un bain maure. Ça me change des tayabet el-hammam voyez-vous ? Plumitif, journaleux, manbar, sekhaffa, écrivaillon, kh'bardji, tous les mots ne suffisent pas pour me traiter de tous les... maux. Peut-être parce qu'aujourd'hui est journaliste qui veut. Ou presque... Il suffit juste de faire comme si...

Un cartable « dévidé » à la main, un calepin dans le revers de la veste et un stylo à l'encre invisible derrière l'oreille et vogue la galère... moi, Larbi, on m'accuse même d'être un inconsistant correspondant. Peut-être parce que j'ai suivi des cours... par correspondance... Je suis même traité sans coup férir de pigiste; parce que je suis à peine capable d'épeler l'alphabet de A à J. comme Journaliste...

- Ça suffit Larbi, trêve de balivernes ! Ecoutez, de ce côté-ci du bled, vos plumes sont subversives. Vos petites lucarnes piégées. Vos papiers trop douteux, vos journaux séditieux. Ils n'ont jamais servi la bonne cause : la nôtre, à quoi sert votre métier sinon, « par des fois, à aider le petit peuple à dessiller les yeux. Garder l'oreille et les sens aiguisés. Tourner le dos aux diseurs de bonnes (més) aventures. Aux vérités aseptisées, aux discours « stérilisés ». Aux pièges bien tendus.

- Monsieur Larbi, désapprenez surtout à ne jamais vous occuper de ce qui ne vous regarde pas. Votre métier ne vaut pas plus que bouse fertilisante de nos vaches. Dans les villes, l'on voit de vous que vos canards ne servent à rien d'autre qu'à nettoyer les carreaux brisés. Emballer du poisson pourri. Essuyer « l'inessuyable »... Revenez, M. Larbi, de là où vous êtes venus, nos récoltes, nos femmes et nos enfants ont horreur de vos « cuisines » trop touillées qui retournent l'estomac et la tête...

- Oui, je ne suis qu'un... pas un...

- Aller ! Partez vite Larbi, votre métier se reflète dans toutes les lumières sans jamais briller dans aucune étoile. C'est là votre « tare » irréparable. Et surtout, cachez-nous votre métier, que nous ne saurons voir... Même si on a oublié de vous offrir un stylo pour vous consoler de toutes vos plumes cassées...!