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L'Agence américaine de l'énergie : chute de production de schiste en juin

par Reghis Rabah*

L'Energy Information Administration (EIA), prévoit une chute du pétrole de schiste de l'ordre de 197 000 barils jour à la fin du mois de juin 2020. Cette chute va impacter bien entendu la production américaine à partir de juillet 2020 dans les sept bassins les plus productifs dans ce pays. Elle sera de 7,8 millions de barils jour contre 8,02 millions de barils jour en mai 2020. C'est la première fois aux Etats unis où l'élan de schiste va être rompu pour permettre un rebond des prix du pétrole américain qui reprend progressivement son ascension à la suite de ce revers qu'il a subi le 20 février dernier. C'est en quelque sorte la contribution américaine des producteurs de schiste pour le rétablissement de l'équilibre du marché mondiale des hydrocarbures. En effet, rappelons le mois d'avril 2020, voilà un peu plus d'un mois le cours du pétrole était en chute libre et à entendre les dernières nouvelles de la Bourse, l'optimisme n'était pas de mise notamment à cause d'un manque de capacité de stockage dans le monde aussi bien sur terre que sur mer. Le prix du West Texas Intermediate (WTI) pour une livraison en mai a atteint la valeur négative de -39,44 dollars. Les cours des barils de Brent et les autres références n'ont pas manqué de dégringoler eux-aussi, ceci devait bloquer de nombreux pays producteurs en les obligeant de revoir leur budget voire même craindre le pire. Les entrepôts de stockage étaient pleins à ras bord et l'effondrement total du marché n'est plus une question de mois mais de jours, voire d'heures. Cette prise de conscience de la ruée vers l'or noir était le résultat des faillites et des abandons de projets qui a touché de nombreux producteurs qui n'ont pas pu résister à cette baisse qui risquerait d'entrainer dans son sillage le système financier américain dans son ensemble par manque de remboursement des dettes comme cela a été le cas lors de la crise de subprimes (subprime mortgage crisis) en 2008. D'ailleurs, l'EIA fait remarquer que les compagnies américaines réduisent leur production beaucoup plus rapidement que prévu. Cette diminution ne concerne pas le pétrole de schiste uniquement mais le gaz de schiste aussi. En effet, la production de gaz de schiste devrait connaitre durant la fin du mois de juin prochain une chute d'environ 779 millions de pieds cube par jour (22 millions de m3 jour). Anadarko selon cette même source connaitra la plus forte baisse avec 244 millions de pieds cubes par jour (7 millions de barils par jour) pour atteindre 6,5 milliards de pieds cubes par jour (182 millions de m3 par jour). La chute la plus importante est prévue dans le fameux bassin du permien pour le gaz ou le pétrole de schiste. Les prix du pétrole ont continué leur ascension la semaine dernière suite à cette nouvelle publiée dans le site de l'EIA, dans un climat optimiste porté par la baisse effective de l'offre et les espoirs d'une reprise de la demande en or noir. Le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en juillet a fini à 36,06 dollars à Londres, en hausse de 0,9% ou 31 cents par rapport à la clôture de mercredi. A New York, le baril américain de WTI ,e West Texas Intermediate (WTI), aussi appelé Texas Light Sweet, est une variation de pétrole brut faisant office de standard dans la fixation du cours du brut et comme matière première pour les contrats à terme du pétrole auprès du Nymex (New York Mercantile Exchange), la bourse spécialisée dans l'énergie, pour juillet a gagné 1,3% ou 43 cents, à 33,92 dollars. Les deux barils de référence sont au plus haut depuis le mois de mars, où l'impact de la crise liée au coronavirus a commencé à peser sur les prix de l'or noir. Malgré l'énorme incertitude qui entoure l'avenir de l'économie mondiale, les investisseurs parient sur un rebond relativement rapide de la demande de pétrole, notamment en provenance d'Asie, ont estimé plusieurs analystes. Pour les analystes de JBC Energy, « il est assez clair que la hausse des cours est alimentée par la baisse de la production américaine, combinée aux réductions massives de l'OPEP+ pour lequel la Norvège a donné le coup d'envoi pour les alliées du cartel. La production aux États-Unis, premier producteur mondiale, s'est établie à 11,5 millions de barils par jour (mbj) la semaine dernière selon les chiffres publiés mercredi par l'Agence américaine d'information sur l'Energie (EIA), au plus bas niveau depuis octobre 2018 et après un plus haut historique à 13,1 mbj atteint mi-mars. L'OPEP+, c'est-à-dire les membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et leurs principaux partenaires, avait pour sa part décidé en avril de réduire collectivement sa production de brut de 9,7 mbj à partir du 1er mai. Cet accord semble être pour l'instant respecté par les pays producteurs, Arabie saoudite en tête, selon les analystes du cabinet Kepler qui se basent sur l'état des stocks et les exportations en surveillant notamment les va-et-vient des tankers. « L'OPEP+ parvient à stabiliser les marchés pétroliers, le taux de conformité à l'accord est actuellement de 98% », affirment-ils jeudi dernier dans une note.

La crise sanitaire a baissé la fièvre du boom de schiste aux Etats-Unis

Après plusieurs années fastes, le secteur est de nouveau à la peine, rattrapé par son modèle économique bancal et par son endettement colossal. Dans le bassin permien, une vaste région aride à cheval sur le Texas et le Nouveau-Mexique, les puits de pétrole tournent à plein régime. Depuis une dizaine d'années, la fièvre de l'or noir a reconquis cette zone grande comme un tiers du territoire français. Ses origines : la fracturation hydraulique, une méthode aussi controversée qu'efficace pour débloquer le potentiel jusqu'alors inexploité des roches de schiste. Ces gisements ont propulsé la région au rang de premier bassin de production mondial. Chaque jour, près de 5 millions de barils en sont extraits. C'est davantage qu'aux Émirats arabes unis et qu'au Koweït. Et presque autant qu'en Irak. Grâce au développement du pétrole de schiste, la production américaine a doublé en sept ans, permettant aux États-Unis de redevenir, quarante-cinq ans plus tard, le premier producteur mondial, devant l'Arabie saoudite et la Russie. Fin 2018, le pays est même temporairement redevenu exportateur net. Il se trouve désormais que la réalité est toute autre, Derrière cette réussite se cache cependant une réalité bien plus contrastée: des dizaines de faillites, des dettes abyssales à rembourser, des investisseurs qui demandent des comptes et des doutes grandissant sur la pérennité de la filière. Ces difficultés se traduisent dans l'évolution de la production de pétrole de schiste. Au cours des neuf premiers mois de l'année, celle-ci n'a progressé que de 9%, selon les données de l'agence américaine d'information sur l'énergie (EIA). En 2018, elle avait grimpé de 27%, et de 39% en 2017. Cette tendance devrait se poursuivre. La crise qui menace ne serait pas la première. À partir de 2014, le secteur a en effet dû affronter l'effondrement des cours. En moins de deux ans, le prix du baril est divisé par quatre. Car l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) inonde le marché de brut pour éliminer cette nouvelle concurrence. Le schiste américain vacille- la production chute de plus de 10% et une centaine d'entreprises d'exploration-production (E&P) font faillite. Le coronavirus a mis ce système à rude épreuve pour que rien ne soit comme avant.

Tant que Trump est là, le schiste résistera encore

Le secteur, bien que surendetté, ne risque pas de disparaître avec la dernière dégringolade de prix car Trump en fait un slogan de sa compagne électorale. Pour autant, il est certain qu'on se dirige vers une période difficile». Si le prix se confine dans une fourchette entre 25 à 30 dollars de nombreux producteurs risquent l'extinction. Il faut dire aussi que l'effondrement des cours du brut représente un coup de massue pour le pétrole de schiste aux États-Unis. Déjà lourdement endettés, de nombreux opérateurs pourraient ne pas s'en relever. Personne y compris le président des Etats Unis qui détient la carte ne s'attendait à ce début de mars 2020 où le système de schiste est visé par les leaders de l'OPEP+. Le baril de brut s'était échangé à New York, le WTI, a connu sa pire chute depuis la première guerre du Golfe en 1991, plongeant de plus de 30% à cette date, jusqu'à 27 dollars. En cause: la décision de l'Arabie saoudite de baisser drastiquement, et unilatéralement, le prix de son or noir, après l'échec de négociations en ce début de mars avec la Russie. Moscou avait alors refusé de baisser de nouveau sa production de brut, ne souhaitant pas perdre du terrain face aux États-Unis, qui inonde le marché mondial avec leur pétrole de schiste. Les producteurs américains ont profité de nouvelles techniques de fracturation hydraulique et de forage horizontal, souvent décriées par les défenseurs de l'environnement, pour multiplier depuis une dizaine d'années les puits au Texas, au Nouveau-Mexique, dans le Dakota du Nord ou en Pennsylvanie. Le secteur « ne va pas disparaître »avec la dernière dégringolade des prix, prédisent de nombreux spécialistes du marché de l'énergie pour Commoditiy Research Group. « Mais il est certain qu'on se dirige vers une période difficile», ajoutent-ils. « Si on reste autour des 30 dollars le baril. » Les majors pétrolièrs, qui sont arrivés plus tard dans l'exploitation du schiste mais y ont récemment pris de l'ampleur, pourront résister car les sociétés de services gagnent de jour en jour une bataille de plus sur les coûts de production. Cependant l'événement les a touchés plutôt au niveau de la bourse de New York, ExxonMobil avait chuté de 8%, Chevron de 13% et ConocoPhillips de 23%. En tout cas cette chute des prix du pétrole non attendue et conjuguée aux hésitations des scientifiques quant à l'issue de cette pandémie mondiale, toutes les bourses mondiales ont paniqué. Elles ont connu un nouveau plongeon sur les marchés boursiers. Le CAC 40 a débuté à cette date sur une très forte baisse, retombant tout près des 4.700 points. Il s'agit de son plus bas niveau depuis fin 2018. A la clôture, l'indice parisien a chuté de 8,4%, soit la plus forte baisse depuis 2008. Le 19 février, l'indice parisien évoluait encore au-delà des 6.100 points. Déjà sur la défensive en raison de l'épidémie de coronavirus, les marchés sont désormais plombés par le plongeon spectaculaire des cours du pétrole. Sous l'effet d'une guerre des prix déclenchée par l'Arabie saoudite, le baril de brut recule de près de 20%, après avoir plongé de plus de 30% repassant même sous la barre des 30 dollars. Même constat ailleurs en Europe. A Francfort, le Dax a baissé lui de 7,5%. Le Footsie londonien a abandonné 7,2%, alors que l'indice élargi Eurostoxx 600 a perdu 7%. La Bourse de Milan a cédé plus de 10% après la quarantaine imposée dans les régions du Nord, poumons économiques du pays.

A Wall Street, les marchés ont également ouvert en forte baisse, entraînant la suspension des échanges pendant 15 minutes. A 17h35, le Dow Jones chutait de 6%, le Nasdaq de 4,9% et le S&P 500 de 5,6%. Plus tôt dans la journée, le Nikkei japonais avait plongé de 5% et le Kospi coréen avait reculé de 4,2%. La Bourse de Hong Kong avait perdu 4,2%, alors que celle de Shanghai avait baissé de 3%. Du côté des valeurs, Total a plongé de 16,6%. Les groupes parapétroliers ont encore plus souffert: Vallourec a perdu de 21,5%, CGG s'est effondré de 34,5% et TechnipFMC a laissé 23,3%. A l'étranger, Shell a reculé de 16,3% et BP de 29,5%. Les valeurs bancaires ont aussi enregistré une très forte baisse, alors que les taux américains à 10 ans continuent de s'écrouler, touchant de nouveaux plus bas historiques. BNP Paribas a perdu 12,3%, Société Générale a chuté de 17,7% et Crédit Agricole abandonnait 16,9%.

Les banques s'impatientent et surtout s'inquiètent

Les compagnies américaines plus spécialisées dans le schiste, Chesapeake Energy (-19%) et Whiting Petroleum (-33%) étaient aussi punies lourdement. Le boom du schiste, qui a permis aux États-Unis de devenir le premier producteur mondial d'or noir devant la Russie et l'Arabie saoudite, a aussi nécessité des milliards de dollars que banques et investisseurs, avec des taux d'intérêt particulièrement bas, ont été généreusement accordés. Résultat: les sociétés d'exploration et de production aux États-Unis et au Canada ont environ 86 milliards de dollars de dette à rembourser entre 2020 et 2024, selon un rapport de l'agence Moody's dévoilé mi-février. Et 62% de cette dette est considérée comme spéculative, ajoute Moody's. « Il doit sûrement y avoir beaucoup de conversations enflammées actuellement entre les producteurs et les banques, des négociations sur un possible prolongement de leur dette », avance un banquier Il est difficile selon lui de fixer un seuil moyen en dessous duquel le baril n'est plus rentable, chaque entreprise fonctionnant différemment. « Mais il est clair que plus l'entreprise est grande, plus ce seuil est bas dans la mesure où elle a un accès à un crédit moins cher et qu'elle peut faire des économies d'échelle », explique-t-il. Le prix de revient dépend par ailleurs de la localisation des puits, soulignent les analystes de JP Morgan Chase. Selon leurs calculs, il se situe à environ 45 dollars le baril dans le bassin Midland au Texas, ou à environ 55 dollars dans le bassin du Delaware. Si le baril reste en dessous de 45 dollars, cela devrait ralentir la croissance de la production.

Et « contrairement à ce qui avait pu se passer lors de précédentes périodes aux bas prix, comme quand le baril évoluait sous les 30 dollars début 2016, les sociétés devraient (cette fois-ci) plutôt utiliser leurs liquidités pour rémunérer leurs actionnaires plutôt que de défendre des niveaux spécifiques de dépenses d'investissement par rapport aux volumes ».

En 2016, la demande paraissait encore très solide, contrairement à la forte baisse attendue en 2020 à cause de l'épidémie de Covid-19, et la marge de progression était encore grande. Quand les cours ont de nouveau fléchi fin 2018, les compagnies pétrolières ont répondu par des fortes mesures d'économies pour répondre aux inquiétudes des investisseurs. Leur situation financière est aujourd'hui plus précaire. Pour un analyste, du cabinet Lipow Oil Associates, il ne faut pas non plus oublier la situation fragile de « toutes les entreprises de sous-traitance ou de services » associées au secteur, souvent encore plus petites.

*Consultant, économiste pétrolier