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Le temps de l'«accroissance» ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Pas facile de se débarrasser de concepts depuis des décennies répétés : Développement ! Croissance ! Progrès ! Surtout si l'on a été bercé, durant toutes les années 60, par les leçons de libéralisme de Tiano et de collectivisme de Benhassine (de grands profs' d'économie politique des années 60).

Il est évident que les concepts (et les idées philosophiques) ont, généralement, une durée de vie qui peut couvrir des siècles. Mais, il est tout aussi évident qu'ils peuvent sinon disparaître du moins se dissoudre presque aussi rapidement qu'ils étaient nées grâce (ou à cause) à des crises comme les guerres planétaires ou les pandémies. Les épidémies, non durables et localisées, les crises économiques et financières conjoncturelles, ainsi que les guerres picrocholines ou locales et régionales n'ont aucun effet durable et ce, bien souvent, malgré les dégâts humains et matériels désastreux. Tout au plus, la géographie politique s'en trouve bouleversée sans trop de changements dans les comportements sociétaux. On rencontre même des rétropédalages pour la plupart regrettables : le souverainisme et/ou le nationalisme dans les pays ex-colonialistes ne supportant pas la montée (et l'immigration) des «autres», une religiosité exacerbée allant jusqu'au crime, un racisme chez certaines populations s'estimant «déclassées» ou ignorées par le développement, de l'homophobie dans les pays touchés par des maladies sexuelles (nouvelles, donc plus craintes) ainsi que par le féminisme. Une manière non de défendre des acquis mais surtout de se «protéger» et de garder son statut, réel ou illusoire.

Donc, avec les pandémies (et les guerres «mondiales», visibles ou non, car la virtualité a changé la donne), les concepts habituels, classiques, reposant la plupart sur l'économie et le profit et non sur le génie des peuples, éclatent, disparaissent ou se transforment et, inéluctablement, donnent naissance, à moyen et long termes, à une autre façon de vivre et de voir le monde. Jacques Attali observe ainsi que chaque épidémie majeure, depuis mille ans a conduit à une réorganisation radicale de la politique et de la culture des nations. De ce fait, la crise sanitaire actuelle est en train de servir de révélateur économique, écologique, sociétal et politique. Elle vient renforcer la thèse de Paul Ariès, un essayiste français, l'un des intellectuels français les plus réputés dans les questions de décroissance qui a «inventé» un mot nouveau : «l'accroissance». Comprenez : la croissance différente, raisonnable, centrée sur l'humain et la préservation des ressources. Pour sa part, Muhammed Yunus, économiste et Prix Nobel de la paix, estime que «la pandémie actuelle a brutalement changé la donne et l'économie n'a plus à agir tel un piège mortel conçu par quelque puissance divine pour punir».

L'accroissance, un beau mot qui fera, difficilement mais sûrement, son chemin. Car, enfin, un mot qui rassemble tout. Finis Croissance, Développement, Progrès ? Du 3 en 1 ! Why not !

Voyons les choses de plus près en ce temps de première «angoisse planétaire» à nulle autre pareille !

Sur le plan international, bien qu'il ne faille pas se faire trop d'illusions sur la rapidité des changements («le mouvement des idées ne suffit jamais à dégoupiller les machines infernales» écrit un éditorialiste) on a déjà noté - après un premier temps de repli sur soi, surtout chez ceux qui se considèrent comme les plus «forts» - une plus grande solidarité dans les échanges d'aide matérielle et des résultats de la recherche scientifique.

Les actions, les intentions et les bravades guerrières des uns et des autres apparaissent désormais comme faisant partie d'un «autre monde» et ne «trumpent» plus personne. Vous verrez, après la fin de la pandémie, les grands puissances - exemple de la Chine et des USA - se débarrasseront de leurs oiseaux de mauvais augure et vont, à nouveau, se rapprocher pour ne plus revivre le même cauchemar sanitaire, économique et démographique. Désormais, un vieux couple.

Il y a, aussi, une conscience bien plus aiguisée des dégâts commis par une industrialisation sans limites et les agressions aveugles contre la nature (on note moins de pollution et réapparition d'animaux que l'on croyait disparus). De nouvelles valeurs ? Une nouvelle morale ? Wait and see.

Sur le plan national, tout a l'air, mais l'air seulement, de changer. On évolue. On s'adapte. On pense autrement. On s'habitue. On s'habitue tout en ronchonnant sauf aux mesures de distanciation sociale (surtout dans certains quartiers et en certains lieux, ce qui a obligé les autorités à revenir sur la décision de «dé-confiner» certains commerces) aux règles de distanciation routière (les gens sont encore plus fous que d'habitude) et à l'obligation de non-utilisation du téléphone au volant.

Bénie soit la pandémie ? Non, car trop de morts. Paix à leurs âmes. Quant à l'épidémie (sic !) de la corruption, due à un super-virus, qui a fait tant de mal au pays, on compte encore beaucoup sur l'anti-virus nommé Hirak ! D'autant que, je le pense, tout en espérant ne pas me tromper, que les leçons déjà données par la nouvelle Justice de la nouvelle Algérie ont, déjà, été bien comprises. Pourvu que ça dure et, surtout, que ça s'améliore pour le bien des peuples. L'essentiel est de ne pas s'engluer (toujours le même «piège» !) dans les détails comme les dérives langagières (lesquelles souvent n'ont rien à voir avec les «fake-news») de jeunes (journalistes et autres) seulement très ou trop ambitieux pour leur pays et comme les «condamnations», déclarations, dénonciations et autres interpellations en veux-tu, en voilà, bien souvent malencontreuses et dommageables pour l'image de marque - interne et externe - de l'Etat démocratique en construction.