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OPEP+ : Pourquoi même une coupe de 1,5 million bbl/j n'aurait pas suffi

par Reghis Rabah*

La crise mondiale provoquée par l'épidémie de coronavirus était un nouveau test pour l'alliance entre l'Arabie saoudite et la Russie.

Depuis plus de trois ans, l'OPEP et dix autres pays producteurs de pétrole menés par Moscou se sont associés pour soutenir les cours du brut. Ils ont jusqu'à présent toujours réussi à s'entendre pour réduire leur production afin de faire face aux Etats-Unis qui inondent la planète de leur pétrole de schiste, pesant de façon permanente sur les prix de l'or noir. Les treize pays du cartel et leur allié russe se sont retrouvé en conclave jeudi et vendredi dernier à Vienne, au siège de l'OPEP, alors que les cours se sont effondrés du fait de la baisse de la demande en Chine et des perspectives de ralentissement de l'économie mondiale . Le baril de Brent s'est ressaisi depuis le début de la semaine, il se cotait à plus de 52 dollars mercredi après-midi, mais il reste au plus bas depuis fin 2018. Pour la première fois cette réunion de l'OPEP et de ses alliés à Vienne n'a pas été ouverte à la presse en raison de l'épidémie. Le nombre de délégués des 23 pays est limité au strict nécessaire. La traditionnelle conférence de presse de clôture se tiendra plutôt sur Internet. Pourtant cette nouvelle mesure que les membres ont jugée utiles, n'a pas emballé les marchés pétroliers qui ont non seulement laisser précipiter la chute des prix du baril mais aussi doutaient d'une issue pour le désaccord des deux principaux acteurs de cette organisation informelle à savoir l'Arabie Saoudite et la Russie. En effet, du début de décembre, date de l'apparition de ce virus en Chine à la date de la veille de la réunion, le prix du baril du Brent de la mer du Nord, référence proche du Sahara Blend Algérien était côté en moyenne à 60,72 dollars le baril avec un point haut de 71,75 dollars le baril et un point bas de 45,18 dollars le baril. Il faut tout de même remarquer que les prix ont plongé de 49,99 dollars le baril le jeudi 5 mars fortement déçus par la divergence entre les membres de l'OPEP et leurs 10 alliés conduits par la Russie, au plus bas le lendemain vendredi 6 mars avec la confirmation du désaccord.

L'Arabie saoudite, leader de facto du cartel, poussait pour des quotas de production supplémentaires qui permettraient au moins de stopper la chute. Riyad en concertation avec les autres producteurs de l'OPEP voudrait retirer 1,5 million de barils par jour du marché, en plus de la réduction de 2,1 millions déjà en vigueur depuis le début de l'année. Pour Moscou, qui semble résister mieux que ses alliés de l'OPEP à un prix bas ne l'entend pas de cet oreille et estime que l'impact de l'épidémie ne sera que passager. Rappelons que Moscou peut équilibrer son budget dès que le baril de Brent dépasse les 42 dollars, selon le FMI, alors que l'Arabie saoudite est en déficit dès qu'il descend sous la barre des 84 dollars. Autre avantage de la Russie, le rouble est une monnaie flottante qui varie avec les cours du brut. La dévaluation du rouble -6 % depuis le début de l'année face au dollar mais atténue le recul des revenus pétroliers du pays. Le riyal saoudien, de son côté, est accroché au billet vert. Vladimir Poutine doit aussi tenir compte des intérêts des compagnies comme Rosneft et Gazprom. Contraintes de brider leur production depuis trois ans, elles militent pour un assouplissement des quotas. Pour les majors russes, tout baril retiré du marché implique une baisse des rentrées financières et le risque de céder des parts de marché aux États-Unis qui inondent la planète de leur pétrole de schiste. Pour tenter de convaincre ses alliés, l'OPEP leur ont proposé de ne prendre à leur charge qu'un tiers de l'ensemble des nouvelles coupes, soit 500.000 barils par jour et partager le million entre les 13 membres dont le plus gros autour de 600 000 baril /jour pour le royaume Wahhabite.

1- Est-ce la fin de l'alliance OPEP+ ?

Pour la première fois depuis la naissance de leur alliance en 2016, l'OPEP et la Russie ne sont pas parvenues à s'entendre pour stabiliser les cours du pétrole alors que cette alliance était pour cet objectif .Les treize Etats exportateurs du cartel et leurs dix alliés menés par Moscou sont sortis de leur réunion à Vienne sur un échec vendredi. Plus grave si l'on réfère à la déclaration du ministre russe de l'énergie, à partir du 1er avril, compte tenu de la décision prise aujourd'hui, personne n'a d'obligation de baisser la production. . Ni l'OPEP, ni ses alliés, ne seront contraints par des quotas à compter de cette date. Le marché fait maintenant face au spectre d'une production incontrôlée, ou du moins tout porte à croire que les membres de l'OPEP seront à même de prendre une décision qu'ils jugeront utile. Le pacte qui avait permis de faire remonter les cours après l'effondrement de 2014 et 2015 est menacé. L'alliance, née d'une manière informelle à Alger en 2016, pourrait prendre fin dans les mêmes formes car l'échec des négociations du Week End dernier reste une vraie surprise pour de nombreux analystes et observateurs qui en voient une fragilisation de l'axe politique Moscou ?Riyad qui a aidé la Russie à étendre son influence diplomatique et militaire au Moyen -Orient ces dernières années.

2-L'accumulation des stocks augmente l'offre du pétrole

En l'absence de cet accord, les cours risquent de rester durablement déprimés. Car dans le même temps, la demande s'écroule en raison des conséquences de l'épidémie de coronavirus sur l'économie mondiale. La consommation de pétrole de la planète devrait chuter de 2,7 millions de barils par jour au premier trimestre, selon Wood Mackenzie dont 2,3 millions en Chine, le recul le plus sévère depuis la crise financière fin 2008. Les stocks de pétrole s'accumulent en Chine: ils ont atteint le niveau sans précédent de 782 millions de barils et donc vont continuer à faire progresser l'offre qui prendrait plusieurs mois pour l'éponger même si une solution est immédiatement trouvée pour enrayer les conséquences du Coronavirus. La situation pourrait encore s'aggraver. Certains experts, dont ceux de Goldman Sachs, prévoient désormais un recul de la consommation mondiale sur l'ensemble de l'année 2020. « Personne ne connaît l'intensité de l'impact du virus sur la demande, ni combien de temps durera l'épidémie, même si l'activité chinoise montre enfin des signes de reprise progressive », soulignent les analystes d'Energy Aspects. Face à cet effondrement, l'offre mondiale, elle, continue à progresser dans les pays qui ne sont pas liés aux quotas de l'OPEP : Etats-Unis, Norvège, Brésil et bien d'autres. L'impact de la chute des cours devrait toutefois avoir des conséquences pour eux aussi. Aux Etats-Unis, en particulier, les producteurs de pétrole de schiste, déjà sous pression, limiteront encore leurs investissements pour préserver leurs marges. Il faut peut être, préciser par ailleurs que la crise du coronavirus à laquelle sont confrontés les producteurs de pétrole est liée à l'effondrement de la demande. C'est très différent des précédentes liquidations dues à des excès de pétrole sur le marché, souvent imputés au boom de la fracturation aux États-Unis et à son offre de brut bon marché et inépuisable. En théorie, lorsque vous pompez moins de pétrole, le brut stocké ou en circulation s'épuise plus rapidement, ce qui entraîne un resserrement de l'offre. Mais si la demande s'effondre plus vite que ce que vous avez réduit, alors vous restez toujours confrontés au même problème.

3- Il appartient à L'OPEP de sortir d'un rôle défensif qui lui est imposé.

Le prix du baril de Brent, qualité qui se rapproche du Sahara Blend Algérien se maintient difficilement au dessus des 50 dollars.

L'augmentation de la production américaine de pétrole, une baisse circonstancielle de la demande et l'entretien des raffineries n'ont pas permis de remédier à la baisse des prix causée par le surplus mondial depuis 2014. Une hausse trop rapide des cours ferait cependant courir à l'OPEP le risque de stimuler la production Le comité ministériel, selon son président actuel Mohamed Arkab, ministre de l'énergie Algérien a demandé au secrétariat de l'OPEP de passer en revue le marché du pétrole et de continuer à faire des recommandations d'un éventuel redressement des prix. Il est possible que les marchés soient déçus et il serait attendu de la part du comité qu'il effectue une recommandation immédiate d'extension. Ce n'est selon toute vraisemblance pas le cas car cet accord se limiter uniquement à faire barrage à un prix plancher de 50 dollars le baril. Pourquoi ? Parce que l'effort de réduction fait par chacun des membres n'a pas suffit d'éponger le surplus de plus de deux millions de barils sur le marché. Les marchés réalisent que si l'OPEP produit moins, les Etats-Unis augmentent leur production, ce qui fait que les prix vont baisser. Automatiquement, les membres se réuniront encore une fois pour examiner d'autres possibilités, les prix reprendront légèrement et ainsi de suite. De cette manière, les prix du baril resteront plombés dans une fourchette entre 50 et 60 dollars et le panier de l'OPEP dépassera difficilement le seuil des 50 dollars.

Cette oscillation des prix dans une fourchette ne dépassant pas les 60 dollars et ne descend pas moins des 50 semble agréer tous les acteurs à l'exception de ceux dont l'économie reste fortement dépendante des hydrocarbures comme l'Algérie. Cette règle dure dans le temps et impose un nouveau modèle qui distribue un rôle à chacun des acteurs. Les producteurs de gaz de schiste réguleront la partie haute c'est-à-dire le plafond des prix et les producteurs dont l'OPEP joueront le goal qui ne laissera pas passer le ballon au dessous des 50 dollars. A moins qu'il est un événement géopolitique qui chamboulera ce modèle ce qui est peu probable. Le cas de l'attaque américaine en Syrie est édifiant car les prix du Brent ont fait un saut de 4 dollars en une séance. Mais il ne faut pas s'en réjouir car il s'agit d'un simple avertissement. La problématique est que les premiers, les attaquants font des efforts de recherche immense pour adapter leur tactique : Aujourd'hui, on constate que les compagnies qui produisent le pétrole et le gaz de schiste ont développé des techniques qui leur permettent de produire d'une manière rentable pour un prix de 50 dollars. La défense quant à elle ne fait qu'accentuer sa dépendance des hydrocarbures et, partant mettre leur développement en péril.

4-L'Arabie Saoudite a déclaré la guerre des prix.

Déçu par la position des russes de ne pas accéder à la demande du cartel de retirer de l'offre de 1,5 millions de barils par jour, le royaume se sent donc totalement libre pour défendre ses parts de marché par des artifices comme il l'a fait en 1986 puis en 2014 consentir une réduction de prix de ses différentes qualités de pétrole à ses clients notamment asiatiques. Conséquence, les prix ont plongé le lundi dernier à leur plus bas niveau soit 33, 76 dollars le baril . En baissant ses prix et en rouvrant ses vannes, une attitude à l'opposé de ce qu'il souhaitait mettre en place avec l'ensemble de ses alliés, membres ou non de l'OPEP, le royaume espère limiter le recul de ses parts de marché. Il en a d'autant plus besoin que l'épidémie gagnant du terrain en Arabie, les pèlerinages, notamment à La Mecque, ont été suspendus, ce qui réduit ses revenus. Cette attitude que le royaume considère légitime va asphyxier ses alliés dont la dépendance de leurs économies des recettes pétrolières est vitale comme l'Algérie et le Venezuela.

*Consultant, économiste pétrolier