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Démission de Ghassan Salamé: La solution à la crise libyenne s'éloigne

par Ghania Oukazi

  Ghassan Salamé a démissionné lundi dernier de son poste de représentant spécial du secrétaire général de l'ONU pour la Libye et chef de la mission d'appui (MANUL), laissant derrière lui un pays en proie à des interventions étrangères militaires et politiques sous-tendues par des marchandages géostratégiques véreux.

«Je dois reconnaître que ma santé ne me permet plus de subir autant de stress, j'ai donc demandé au secrétaire général de me libérer de mes fonctions», a écrit Ghassan Salamé, lundi, sur son compte Twitter. Le diplomate a en évidence prévenu le secrétaire général des Nations unies de sa décision de quitter la table des pourparlers interlibyens ouverts mercredi dernier à Genève à l'effet de trouver une solution à ce conflit. En tant que représentant onusien et chef de la mission d'appui (MANUL), Ghassan Salamé déclare ainsi forfait avant d'avoir pu dénouer l'écheveau d'une crise dont la complexité dépasse l'entendement. Après deux ans et demi de travail en tant que tel, le diplomate franco-libanais laisse un héritage certes important mais très insuffisant pour en sortir une solution politique. «Durant presque trois ans, j'ai tenté de rassembler les Libyens, de restreindre les interventions étrangères et de sauvegarder l'unité du pays», a-t-il ajouté sur son compte Twitter. Salamé a largement contribué à l'adoption, le mercredi 12 février dernier, ypar le Conseil de sécurité de la résolution 2510 «condamnant la recrudescence des violences en Libye et réclamant la mise en place d'un cessez-le-feu durable sous la surveillance de l'ONU ainsi que la fin des interventions étrangères dans ce conflit». Il avait en effet réuni, quelques jours avant à Genève, une commission militaire libyenne composée par cinq représentants de Faiez Esseradj et cinq autres de Khalifa Haftar, pour exiger que la teneur du texte onusien précise clairement ces préalables.

Ingérences étrangères et non-respect d'engagements

Ce sont d'ailleurs ces mêmes exigences qu'il avait mises en avant lors du sommet pour la Libye tenu un peu moins d'un mois avant (19 janvier) à Berlin. Dix sept jours après (le 29 février dernier), Salamé anime une conférence de presse à Genève pour dénoncer le non-respect de la résolution onusienne et des recommandations de la conférence de Berlin. Salamé mettra dos à dos belligérants libyens et pays intervenant directement dans le conflit et sur le champ des batailles en Libye. C'est sur un ton ferme et désabusé qu'il a fait savoir que «les Libyens ne respectaient pas les engagements qu'ils avaient pris à Berlin ». Il a en même temps et encore une fois dénoncé les ingérences étrangères dans ce pays et a pointé du doigt les pays membres du Conseil de sécurité qui ne veulent pas convaincre les parties libyennes qu'ils soutiennent chacun de son côté, de respecter le cessez-le-feu qui devait intervenir le 12 janvier 2020 à minuit sur appel des présidents turc et russe. Un cessez-le-feu consigné dans un document paraphé à Moscou par Esseradj mais pas par Haftar. Un mois avant (décembre 2019), l'ONU avait accusé la Turquie, la Jordanie et les Émirats arabes unis de violer l'embargo sur les armes qu'elle a imposé à la Libye en 2011. L'ONU sait que les Etats-Unis, la Russie, la France, l'Egypte, l'Arabie Saoudite participent tous dans l'enlisement de la Libye dans des affrontements impitoyables. Chacun de ces pays soutient politiquement, encourage, finance, arme soit Haftar soit Esseradj. Après la conférence de Berlin, les interférences étrangères se sont poursuivies sans relâche. «Restez hors de Libye ! Le pays souffre de toutes ces interventions étrangères, souffre d'armes vendues, données à la Libye, souffre d'interventions militaires étrangères qui cherchent à installer des bases dans le pays. Toutes ces interventions étrangères rendent les choses vraiment difficiles. Ce que je demande au Conseil de sécurité, et à ces pays, est très clair : restez hors de la Libye ! Il y a assez d'armes dans le pays, ils n'ont pas besoin de plus. Il y a assez de mercenaires. Donc, arrêtez d'en envoyer, comme c'est le cas actuellement», a lancé Salamé devant le Conseil de sécurité en janvier dernier avec colère.

Coups fourrés et échec patent d'un processus

Le diplomate onusien part aujourd'hui en laissant les choses telles quelles depuis que l'OTAN avait, en 2011, décidé sur pression de la France, alors présidée par Sarkozy, de bombarder la Libye sous le prétexte fallacieux de protéger les populations des raids du leader de la Jamahiriya, le colonel Maâmar Kadhafi. Après Berlin, Salamé avait convaincu, disait-il, plus de 200 Libyens de le rejoindre à Genève pour se mettre autour de la table des négociations en vue d'amorcer une réconciliation nationale et mettre fin aux hostilités armées. S'il a réussi à en lancer un premier round, il se rendra tout de suite compte que les parties en conflit se rejettent les accusations les unes les autres. C'est encore une fois le signe d'un échec patent d'une tentative de règlement de leur crise.

Sous le titre «Algérie-Pays du Golfe : la diplomatie à l'épreuve du feu», nous écrivions dans un article paru dans l'édition du samedi 29 février dernier que «l'organisation de pourparlers entre les Libyens à Genève sous la présidence de Ghassan Salamé, le représentant onusien semble «caler» devant des sautes d'humeur de certains Libyens qui viennent à la table des négociations pour la quitter tout de suite après. C'est là un signe de tergiversation qui risque d'éparpiller les efforts de règlement de ce conflit sur plusieurs rounds comme ça été le cas, il y a quelques années». Le plus évident est que les forces bloquantes évoquées dans le même article semblent avoir encore une fois miné ce nouveau processus de dialogue. Salamé a d'ailleurs avoué que ce qu'il a entrepris à Genève a été «sans résultats». Il a confié que «les participants avaient eu, à Genève, trois jours de discussions fructueuses qui ont réussi à planifier un ordre du jour et des termes de référence pour la prochaine série de pourparlers (mais) sans aucune mesure concrète vers un cessez-le-feu».

Les signes d'un faux départ

Un aveu d'échec avéré d'autant qu'il s'était contenté de réunir uniquement des représentants de la société civile et des personnalités mais en l'absence d'Esseradj et de Haftar qui ont refusé tous les deux de faire le déplacement à Genève.

Il a aussi constaté avec étonnement que dès le premier jour des pourparlers, 13 représentants du Haut Conseil d'Etat se sont retirés sur instruction de leurs responsables?

Ancien professeur de sciences politiques, Ghassan Salamé a été directeur de recherche au Cnrs, ministre dans le gouvernement libanais sous Rafik Hariri et a été l'émissaire de Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies, en Birmanie, pour défendre les Rohingyas. Il a aussi été conseiller politique pour la mission d'assistance des Nations unies en Irak. Il a travaillé au centre Henry Dunant pour le dialogue humanitaire, «un organisme privé dédié à la médiation pour réunir à Genève tous les acteurs du conflit libyen», avait écrit la presse internationale.

C'est probablement ce qui a encouragé Guterres à le nommer, le 20 juin 2017, au poste qu'il vient de quitter. Il avait succédé à l'Allemand Martin Kobler dont le mandat prenait fin le même mois.

Salamé est le 6ème envoyé spécial onusien pour la Libye qui s'en va sans avoir réussi à faire sortir ce pays du bourbier dans lequel les «Alliés» l'ont précipité depuis dix longues années. L'Algérie aura certainement à en pâtir en l'absence d'un appui sûr pour qu'elle abrite de nouveaux pourparlers interlibyens comme elle l'a fait savoir depuis Berlin et à maintes reprises. L'étau se resserre sur la région Maghreb-Afrique du Nord pendant que les armes en provenance des pays occidentaux et arabes et musulmans se déversent sur la Libye et les groupes terroristes renforcent leurs positions. Encouragé et armé par des pays bien connus par l'ONU, Haftar n'a pas encore décidé de mettre fin à l'offensive qu'il a lancée le 4 avril 2019 pour la prise de Tripoli.