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Pourquoi le 24 février 2020 est la 2ème nationalisation des hydrocarbures

par Reghis Rabah*

Le hirak du 22 février 2019 a dit non à une gabegie de deux décennies avec une main mise directe et indirecte du secteur de l'énergie récupéré sur la sueur des travailleurs et un grand courage d'une poignée de patriotes responsables un 24 février 1971. Il se trouve qu'en avril 1999, son contrôle a échappé au peuple sous l'influence d'un régime autocratique et corrompu. Comment s'est déroulé chronologiquement ce passage à cette deuxième nationalisation ? Contrairement à ce qui est dit ici et là, Chakib Khelil n'est pas venu dans les bagages de Bouteflika lors de son premier voyage aux Etats Unis en juillet 2001 mais il pourrait en être l'artisan puisqu'il a été désigné son conseiller très proche à l'énergie avant de prendre en charge le secteur dans sa totalité. Il faisait partie de ce que les medias ont préféré appeler carrément « les hommes du président » Il a réussi à reproduire le schéma d'en haut à la perfection. Il est le seul ministre à s'impliquer directement dans la politique et ouvertement dans la compagne électorale à travers des contributions personnelles et non en tant que ministre dans les journaux nationaux. La première au moment du déclenchement de la polémique sur la maladie de Bouteflika. Dans cette contribution, il vantait les mérites du président sous la forme d'une vraie précampagne dans laquelle il s'engage au point où de nombreux observateurs le donnaient comme le prochain chef du gouvernement. La 2éme plus tard dans laquelle il livre un bilan perspectif de secteur de l'énergie et des mines. Dés sa prise en main du secteur il a d'abord commencé à placer ses hommes. Son bref passage de plusieurs mois à Sonatrach en cumulant en même temps la fonction de ministre lui a largement suffit pour et, il n'est exagéré de le dire procéder à un « viol » de la structure des valeurs de base que l'entreprise a développées depuis près de 40 ans et qui lui a permis de surmonter ses problèmes d'adaptation externe ou d'intégration interne. Il a acculturé l'entreprise pour avoir imposé des procédures ramenées d'ailleurs et pour lesquelles l'entreprise n'était pas encore prête à accepter comme les brainstormings et les « R » qui marginalisent le code des marchés. Son objectif l'a ouvertement exprimé dans l'exposé des motifs lors du débat entamé à partir 2002 sur la loi des hydrocarbures. En effet, sous le prétexte de reprendre les prérogatives dévolues à Sonatrach qui acte pour le compte de l'Etat, pour rechercher, produire, exploiter, transporter, traiter les hydrocarbures dans le seul but d'en faire une entreprise qui obéirait selon sa vision aux critères économiques et la mettre dans un environnement concurrentiel déloyal. Il visait son déverrouillage de ses trois « I » Inaliénable, Incessible et Insaisissable dans le seul dessein d'ouvrir son capital dont ses actions sont détenues totalement par l'Etat. Il n'a heureusement pas réussi grâce à une forte mobilisation populaire hostile à cette démarche pour qu'en 2006 Bouteflika revienne sur sa décision pour modifier cette loi sur les hydrocarbures par ordonnance. Tout en gardant son ministère, Bouteflika le gratifie formellement en compensation pour de larges prérogatives sur tout le secteur de l'énergie. Résultat, Il a vidé la Sonatrach de ses cadres en touchant au cœur de sa « marmite », la division Production Engineering Développement (PED) qui s'occupait de la gestion des réservoirs pétroliers et gazier existants. Cette division pour ne citer que celle là de part son importance stratégique a perdu plus de 50 hauts cadres formés en partenariat avec l'université de l'Oklahoma. Ensuite profitant d'une hausse appréciable du prix du baril de pétrole, il a intensifié la production pour vendre plus et amasser des dollars au détriment du profil de production des gisements existant productifs notamment les plus grands d'entre eux comme Hassi Messaoud et Hassi R'mel. Il a trituré et déstructuré le centre de recherche et développement (CRD) et l'Institut Algérien de Pétrole (IAP) pour le privatiser en cédant une part à la norvégienne Statoil. Il a ainsi par cette restructuration qui s'est avérée plus tard et à ce jour un vrai désastre qui a privé Sonatrach de son processus de capitalisation, consolidation et fertilisation du savoir et savoir faire pétrolier et gazier payé par la sueur du contribuable algérien dans la formation à coût de devises. Après les élections du troisième mandat de Bouteflika, il est devenu encombrant pour son ami d'enfance il quitte le poste de ministre de l'énergie et des mines mais garde son influence soit à travers le président lui-même soit son frère Said pour être derrière toutes les nominations des ministres qui lui sont succédés et les PDG de Sonatrach jusqu'à la démission de son ami en avril 2019. Cependant, la période 2014- 2017lui a échappée par la perturbation du dossier corruption qu'il a eu avec le tribunal de Milan et le mandat de recherche lancé contre lui par la justice algérienne. C'est durant les deux dernières années de cette période que Sonatrach a soufflé pour reprendre son rythme de développement. Après un intérim de l'année 2014 confié au vice président amont, le mastodonte a réussi en mai 2015 de promouvoir en l'interne une équipe jeune sous la direction d'un polytechnicien ayant fait son doctorat en France et très imprégné de la situation de Sonatrach pour la redresser en si peu de temps

1-Période de redressement de Sonatrach sous la direction d'Amine Mazouzi

Cette équipe s'est appuyée sur une approche intensive pour arrêter les investissements budgétivores, par reconvertir les réserves pétrolières probables et possibles en prouvées.

Le déclin des gisements des années précédentes a été contrôlé, arrêté, pour avoir ensuite amorcé la croissance, ces performances ont été réalisées sans investissements majeurs. Le retour à une capacité de production de plus de 200 Millions de tonnes équivalents pétrole (TEP) à partir d'octobre, et plus de 205 Millions de TEP en Décembre 2016.Plus de100 000 bbl / j de production de brut à partir d'octobre (issus d'actions d'optimisation et d'introduction de nouvelles technologies principalement).33 découvertes d'hydrocarbures réalisées à fin octobre 2016 (contre 23 en 2015) Dont 32 en effort propre.

L'augmentation de plus de 11 millions de TEP des exportations. Le recouvrement de la position de Sonatrach comme de deuxième fournisseur de gaz en Italie. La reprise de la Raffinerie d'Adrar sur efforts propres. La reprise de la production à Khrechba le jour même de l'incident 18 mars 2016, malgré la démobilisation du personnel de BP et Statoil après la sécurisation du site. La reprise du revamping de la raffinerie d'Alger. La signature du Boosting HRM III suite à un retard cumulé. L'extension du GR5 (GR7) signé avec ENAC et COSIDER en juillet. Lancement du FEED des 3 nouvelles raffineries et acquisition des licences des procédés de fabrication. La clôture de l'ensemble des contentieux avec la signature de plusieurs Accords avec CNPC, SINOPEC, ANADARKO, PERTAMINA, CEPSA, ENI et l'arbitrage international Repsol / Sonatrach sur la TPE, et Sonatrach/MEDEX, remportés par Sonatrach .Le lancement des travaux pour la mise en production en synergie à travers les installations existantes, d'Erg Issaouane et Bourarhat Nord (gisements en Association Sonatrach / Medex), l'inauguration de la première centrale photovoltaïque avec ENI

2- le cinquième mandat de Bouteflika a tout chamboulé

En dépit de ses déboires, Chakib Khelil a été appelé en renfort par les Bouteflika pour préparer un cinquième mandat ne serait ce que par ses orientations et conseils. La première mesure c'est de mettre un des leurs à Sonatrach, caisse principale de financement occulte. En Mars 2017 Amine Mazouzi fut limogé à la surprise générale des organes statutaires du groupe et du Fond Monétaire International (FMI) qui a considéré cette période comme la plus prospère de l'histoire du mastodonte. Il nomme Abelmounene Ould Kaddour très proche de Khelil mais traine des casseroles judiciaires pour une affaire d'espionnage mais semble arranger les affaires du cinquième mandat. Depuis Sonatrach a renoué brutalement avec le déclin de ses gisements. Avec l'équipe en place, incompétente, ayant provoqué la démobilisation du personnel, l'outil de production a été saboté. Pour maintenir un niveau permettant d'honorer la livraison de gaz, les responsables de Sonatrach sous la direction de ce PDG ont décidé d'aller vers le massacre des gisements de Hassi R'mel et Hassi Messaoud. La production de gaz a énormément baissé partout sur les champs gérés par Sonatrach. Pour compenser ce déclin, les responsables de Sonatrach ont choisi l'option de passer à la violation de la conservation et préservation des gisements, consistant en le détournement des volumes destinés à la réinjection, vers la vente.La chute des niveaux des pressions est provoquée par le détournement, au quotidien, d'un volume de gaz destiné à la réinjection pour le maintien de la pression. Ce gaz est vital pour les champs de Hassi Messaoud, mais le management de Sonatrach a décidé de le vendre à l'international et sacrifier certains secteurs de Hassi Messaoud. Pour donner une illusion fausse et biaiser les chiffres et le bilan réel de l'équipe. La même chose pour R'hourde El Baguel où des quantités de 6 millions de mètres cube étaient détournés quotidiennement vers les marchés internationaux du gaz. Ait El Kheir a également vu ses champs privés des opérations de cyclage et de maintien de pression.A R'hourde Ennous, sur les 24 millions de mètres cube par jour, destinés au cyclage, conformément au plan de développement approuvé pour la préservation des gisements, 17 millions sont détournés vers le marché de la vente.

Cette situation induit systématiquement une perte immédiate de grandes quantités de condensat et de GPL, ainsi qu'une chute importante de la pression de gisement, ceci provoquera un épuisement accéléré et irréversible de tous ces gisements avec la perte des réserves qui avaient été mobilisé à prix fort.

A Sonatrach, on essaye d'expliquer ce déclin de la production par les retards dans la mise ne production des gisements de Sud Ouest (Touat Gas, Groupement Timimoune et groupement Reggane Nord). Or, l'ensemble de ces projets ne va pas produire plus de 25 millions de mètres cube par jour. (Reggane Nord: 8 millions m3/j, Touat gas: 12,8 millions m3/jour et Timimoun: 4,6 millions m3/jour). En sommes, même si ces gisements commencent à produire immédiatement, il y aura toujours la moitié qui manque sur un déficit déclaré de 50 millions de mètres cube par jour

3- Conclusion

Aujourd'hui un nouveau pilote a pris les rênes de l'avion et affiche sa volonté de redresser la situation, les nominations se font en toute transparence et sans coup de fils comme à l'accoutumé, le programme du gouvernement a préféré évacuer les faux débats pour se concentrer sur l'essentiel et le concret, reste uniquement à réhabiliter ceux qui ont été sacrifiés gratuitement par un régime gabegique qui a exposé le secteur de l'énergie à une externalisation déloyale , sauvage, et préjudiciable.

*Consultant, Economiste Pétrolier