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Le virus plus fort que la géopolitique

par Akram Belkaïd, Paris

Il va falloir s’y habituer. Le coronavirus qui sème la panique un peu partout dans le monde est de plus en plus présent dans la presse économique (alors que son bilan létal n’a absolument rien à voir avec les ravages habituels de la grippe «normale»). Cela vaut pour les marchés boursiers qui plongent ensemble ou pour les cours de l’or noir. Il y a quelques semaines un optimisme mesuré régnait dans le camp des «haussiers». Aujourd’hui, les prévisions revues à la baisse se multiplient. Alors que l’on pensait le baril de Brent capable de franchir la barre des 60 dollars, on le voit glisser lentement mais sûrement vers le seuil fatidique des 50 dollars.

Cours du pétrole en berne

Interrogé par nos soins, un cadre d’une grande major est dubitatif. Pour lui, en d’autres temps, les cours auraient tout de même progressé en raison de plusieurs facteurs. La fin, certes temporaire, des bisbilles commerciales entre la Chine et les États-Unis, la réduction de la production américaine de brut non conventionnel, la persistance des tensions dans le Golfe arabo-persique et, enfin, la quasi-cessation de la production libyenne qui est passée de 1,3 million de barils par jour à moins de 150 000 barils par jour. Tout cela aurait motivé un marché haussier, mais ce n’est pas le cas.

Autrement dit, le coronavirus est plus fort que la géopolitique et les conflits. En touchant les populations de pays industrialisés comme la Corée du Sud et l’Italie, il fait peser la menace d’une pandémie qui ne serait plus limitée à la Chine. Dans ce cas de figure, ce n’est pas juste l’atelier du monde qui serait à l’arrêt mais aussi les «machines à valeur ajoutée». Et c’est loin d’être négligeable.

Dans cet ordre d’idée, on est en droit de s’interroger sur l’étendue des moyens d’action dont disposent l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et son alliée, la Russie. Une réunion est prévue le 3 mars prochain et elle pourrait déboucher sur l’annonce d’une diminution de la production pour essayer de réduire l’excédent qui caractérise actuellement l’offre d’or noir. Une réponse classique, habituelle, à une situation de crise qui est tout sauf normale. Il ne faudra donc pas être étonné si les prix de l’or noir continuent de stagner.

Les cours n’explosent plus

La semaine dernière, dans les colonnes de cette chronique, c’est la fin de la mondialisation telle qu’on l’a connue qui était évoquée. Avec les difficultés chinoises, les réflexions sur les relocalisations industrielles sont d’ores et déjà engagées (notamment en ce qui concerne la production de médicaments). Cette fois, la crise nous montre que les marchés du pétrole ont visiblement perdu de leur «explosivité». Précisons ce terme : il semble que les cours du brut ne soient plus capables, comme par le passé, de connaître des hausses subites et de grande ampleur puisque même la guerre qui menace au Proche-Orient ne crée plus le désordre d’antan.

Il y a quelques années, un trader nous avait confié qu’il considérait désormais le marché du pétrole comme un «petit terrain de jeu» ayant atteint ses limites. Certes, la planète aura encore besoin d’or noir, et de gaz naturel, durant le siècle qui vient. Mais tout de même. N’importe quel producteur d’hydrocarbures devrait intégrer ce constat dans ses politiques de développement : le pétrole n’est plus la vache à dollars qu’il a pu constituer par le passé.