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Les raisons de la colère

par Belkacem Ahcène-Djaballah

Il ne faut pas se bercer d'illusions sur nos comportements sociétaux et si les manifestations verbales et pacifiques, bien que profondément contestatrices de l'ordre établi ( le «Système»), sont devenues au fil du temps (presque une année, ce qui est extraordinaire) une façon de «faire» de la politique «ensemble», façon citée en exemple et suivie, ça et là, avec plus ou moins de bonheur et de heurts, il y a encore, beaucoup d'arbres monstrueux cachés par la belle forêt populaire.

Cela n'est pas nouveau. A chaque époque ses ogres. Ainsi, par le passé lointain, on a eu des «révolutionnaires» plus «marsiens» que «novembriens» qui voyaient partout du «réactionnaire», du «contre-révolutionnaire» et du «petit-bourgeois» et du «régionaliste». Puis, on a eu des intégristes devenus «terroristes» ou «justiciers» qui étaient même allés jusqu'à l'élimination physique des «autres». Par le passé récent, profitant surtout de la liberté d'expression retrouvée et la présence de nouvelles chaînes privées de télévision, on a eu des charlatans et des «intellos» illuminés (dont des «journalistes»), à la religiosité exacerbée, qui voyaient partout du laïc, du «francouche», de l'assimilationniste, du juif, du chrétien, du franc-maçon, du croisé, du complot. Voilà donc qu'une nouvelle étape est abordée avec l'apparition des «révisionnistes» qui «tirent dans tous les coins», profitant de la liberté de dire et de faire favorisée par le mouvement populaire et par l'accès quasi illimité -et souvent dans l'anonymat - à la diffusion électronique de l'«information» (sic !) : déclarations régionalistes, puis racistes et enfin «harkistes», sous couvert d'un «nationalisme» bien éloigné du «patriotisme». Nos nouveaux «censeurs» (hélas encore jeunes ce qui repose la question du système éducatif national qui a plus «formaté» que «formé») s'érigent en «historiens» et se mettent même à juger -et à condamner, ce qui est le comble- ceux qui sont morts pour l'indépendance du pays. Il est vrai que de l'autre côté, traumatisés certainement par les horreurs de la décennie rouge puis perturbés par les dérives communicationnelles et verbales des «gardiens de l'identité uniformisée», certains ? mortellement anti-système - ne s'en laissent pas compter et osent dire leur «vérité». Avec, parfois, là aussi, des dérives regrettables. Y compris contre leurs proches (cf. les récents reproches à l'endroit de Kamel Daoud qui a «osé» analyser à sa manière le Hirak).

Trop, c'est trop ! Car, il est admis qu'au-delà d'une certaine limite, les dangers vont en s'accroissant rapidement, attisant les feux non plus de la colère mais de la haine. Il faut donc y mettre le holà.

Le président de la République a déjà «vu rouge», demandant au gouvernement la confection d'une loi contre le racisme et les discours incitant à la haine et le régionalisme en Algérie. Une loi ? Nouvelle ! Encore ? Et si, tout simplement, on appliquait très sérieusement, et à tous, sans exception... et non pas seulement à un petit fonctionnaire de wilaya, les textes déjà existants. Des articles à revoir et à élargir à d'autres corps, à d'autres groupes, comme celui des héros de la guerre de libération nationale tombés au champ d'honneur! Bien sûr, l'injure dépasse le cadre de l'opinion, mais se contenter de très, très fortes amendes. Payables immédiatement, sinon ! Car, si l'Etat algérien a besoin de beaucoup de morale et de bons exemples, il lui faut, aussi, le nerf de la lutte, l'argent. A condition qu'il soit bien utilisé !