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Pour désamorcer la crise en Libye: Ballet diplomatique à Alger

par Ghania Oukazi

La décision de la Turquie d'intervenir militairement en Libye a poussé de nombreux pays englués dans la guerre en Libye à recourir à l'Algérie pour reprendre langue avec les parties en conflit comme elle l'avait fait dès le déclenchement de la crise.

Après la visite éclair lundi dernier du président du Gouvernement d'Union Nationale (GNA) libyen et du ministre truc des Affaires étrangères, sont arrivés jeudi dernier à Alger les chefs de la diplomatie égyptienne et italienne Sameh Khouri et Luigi Di Maio. Comme l'ont été les hôtes d'Alger qui les ont précédés, les deux ministres ont été reçus en début d'après-midi, de la même journée, par le président de la République au palais d'El Mouradia. Le ministre égyptien était porteur d'un message du Président Abdel Fattah Al Sissi à son homologue algérien. En évidence, au cœur des entretiens entre le Président Abdelmadjid Tebboune et le MAE égyptien, les derniers développements survenus sur la scène libyenne. Le MAE algérien, Sabri Boukadoum s'était entretenu, un peu avant, avec le ministre italien, Luigi Di Maio qui était arrivé, mercredi soir, à Alger. « La coordination avec Rome est très bonne », a déclaré Boukadoum. Ce dernier a insisté, comme l'exige la position immuable de l'Algérie sur la crise libyenne, sur un retour à la table des négociations avec «le soutien de la communauté internationale notamment celui des pays de la région». Son homologue italien a, lui, affirmé que «tout le monde est d'accord pour un cessez-le-feu en Libye». Une affirmation que le maréchal Khalifi Haftar a tout de suite démentie, en rejetant l'appel au cessez-le-feu auquel ont appelé mercredi soir à partir d'Ankara les Présidents turc Recep Tayyip Erdogan et russe Vladimir Poutine. Jeudi soir, le maréchal qui mène depuis le 4 avril dernier une guerre militaire pour conquérir l'ensemble des territoires libyens a fait part de sa décision de poursuivre ses opérations militaires contre les forces loyales du GN, pourtant reconnu par l'ONU et la communauté internationale. Son message, il l'a fait lire par son porte-parole Ahmad al-Mesmari, qui citant son chef a indiqué que « la stabilité ou la relance du processus politique en Libye ne pouvait être possible avant l'éradication des groupes terroristes et la dissolution et le désarmement des milices qui contrôlent la capitale libyenne».

Le pied de nez de Haftar

Gardée par les forces loyales du GNA que préside Fayez Esseraj, Tripoli est la dernière ville que Haftar veut prendre pour décréter sa suprématie sur l'ensemble des territoires libyens. Cette situation de pourrissement en Libye a été largement soutenue par la communauté internationale et même les Nations unies qui ont fermé les yeux sur les interventions militaires de plusieurs pays arabes après que l'OTAN leur ait ouvert la voie en bombardant ce qui était la Jamahirya et en autorisant d'une manière implicite le 20 octobre 2011 l'assassinat de son leader le colonel Maamar Khadafi, en toute impunité et en violation flagrante du droit international. Le maréchal Haftar fait un pied de nez à tout le monde en rejetant le cessez-feu auquel appellent pays occidentaux et arabes.

Ces derniers semblent aujourd'hui dépassés par les développements en Libye. S'ils y ont tous intervenu pendant plusieurs années, avec les moyens qui leur ont paru nécessaires en dehors de toute légalité, aujourd'hui le marasme dans lequel ils ont précipité la Libye porte atteinte aux intérêts qu'ils voulaient protéger ou accaparer sur place. L'on pense qu'ils se sont rendu compte qu'ils se sont fait hara-kiri en transformant le pays en champ de bataille. L'on rappelle que c'est la communauté internationale qui avait empêché l'Algérie en tant que pays médiateur de faire conclure un accord avec plus de 200 Libyens militaires et politiques, responsables et chefs de tribus qu'elle avait reçus depuis juin 2015 au titre des différents rounds de négociation qu'elle a parrainés.

Alger avait même reçu le maréchal Haftar un 16 décembre 2016 pour renforcer son insistance sur l'impérative solution politique au conflit libyen. Soutenu, armé et encouragé par les Etats-Unis, la France, l'Egypte, les Emirats Arabes Unis et autres, la présence à ses côtés de troupes militaires soudanaises, tchadiennes, mercenaires russes et terroristes venus de Syrie et d'Irak, ce va-en -guerre a réussi à s'imposer en Libye par la force des armes et les menaces. « (...) Nous pouvons transférer la guerre de l'Est à l'Ouest, en peu de temps », a-t-il même lancé à l'adresse de l'Algérie, le 8 septembre 2018 tout en accusant son armée d'avoir pénétré les territoires libyens.

Très étonnée par ces accusations, l'Algérie par la voix de Abdelkader Messahel, lui a répondu qu'aucune déclaration ne pouvait porter atteinte aux «relations fraternelles» entre les deux pays et qu'elle poursuivrait ses efforts en faveur d'une «solution politique» à la crise libyenne.

L'Algérie appelée en pompier

Les pays puissants ont tout fait pour émietter ses efforts et ce en éparpillant le processus de dialogue politique et de négociation entre les belligérants libyens à travers plusieurs capitales arabes et occidentales. C'est ainsi qu'après des rounds de négociations au Caire, Rabat, Rome, Paris, Bruxelles et d'autres Genève, Dakar, les Nations unies et les pays puissants avaient décidé de faire signer à Skhirat la marocaine, un accord d'entente nationale entre les antagonistes libyens. Un accord qui a vite fait de démontrer les limites de sa mise en œuvre sur le terrain. Les ingérences étrangères de tout bord n'ont permis aucun répit à la Libye.

«Si Tripoli tombe, Tunis et Alger tomberont à leur tour, car Haftar veut la destruction de la région,» avait prévenu le ministre libyen de l'Intérieur du GNA, Fethi Bachagha, dans une conférence de presse qu'il a animée à Tunis, jeudi 26 décembre dernier. La décision de la Turquie d'intervenir militairement pour empêcher Haftar de prendre Tripoli et d'anéantir les forces loyales aux côtés d'Esseraj, semble avoir secoué les consciences des prédateurs qu'ils l'ont précédé sur le terrain des affrontements. Leur appel à l'Algérie est considéré comme celui à un pompier pour éteindre le feu.

Le président de la République a eu comme réponse substantielle à toutes les sollicitations «diplomatiques» étrangères de ces derniers jours «l'exhortation de toutes les parties libyennes à retourner rapidement à la table des négociations». Lundi dernier, en recevant le chef du GNA, Fayez El Serraj, le Président Tebboune a réitéré «l'attachement de l'Algérie à préserver la région de toute ingérence étrangère.» L'Algérie a appelé la communauté internationale, en particulier le Conseil de sécurité, à « prendre ses responsabilités » et à « imposer un cessez-le-feu ».