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Dialogue, constitution, loi électorale: Tebboune dévoile ses priorités

par Ghania Oukazi

« Le dialogue, le dialogue, le dialogue sans exclusion, » a répété le nouveau président de la République. Ses premiers actes, une révision profonde de la Constitution, une nouvelle loi électorale, dissolution des assemblées élues. En réaction au commentaire du président français sur son élection, Tebboune lancera sans hésiter : « je ne lui réponds pas».

Abdelmadjid Tebboune a effectué sa première sortie médiatique, vendredi dernier, en début de soirée, au CIC club des pins, en présence de ses nombreux invités venus de divers horizons, partisans et socioprofessionnels et d'un nombre importants de médias nationaux et internationaux. Si la veille, le candidat Tebboune était accessible sans protocole aucun à tous ceux qui voulaient discuter avec lui, le vendredi a été un calvaire pour les journalistes qui étaient accrédités pour couvrir sa première conférence de presse, en tant qu'élu à la magistrature suprême, conséquemment aux résultats préliminaires de l'élection présidentielle, rendus publics par l'ANIE. Le dispositif sécuritaire qui s'était déployé tout autour de la zone d'Etat club des pins à l'est d'Alger, était plus qu'impressionnant. Les services de sécurité avaient les nerfs à vif. Tebboune est, depuis, devenu inaccessible comme l'exigent les usages sécuritaires et protocolaires nationaux en vigueur quand il s'agit d'un président de la République. Son premier hommage, il l'a voulu appuyé au général de corps d'armée, le vice-ministre de la Défense, le chef d'état-major de l'ANP Ahmed Gaïd Salah. Il rendra aussi hommage au chef de l'Etat Abdelkader Bensalah mais ne dira mot à l'égard du Premier ministre Nouredine Bedoui et de son gouvernement. L'euphorie de la victoire passée, Tebboune lancera «le temps du travail est venu (...), on doit ouvrir une page nouvelle avec une nouvelle éthique, une nouvelle mentalité, de nouvelles normes et un esprit nouveau.» Enjeux politiques obligent, le président élu dans une Algérie en ébullition, lancera -à la Boudiaf- «je tends ma main au Hirak pour un dialogue sérieux, avec tout le monde ou avec ceux qu'il choisit comme représentants, je lui promets qu'il n'a y aura pas de continuité du 5ème mandat.» Il n'aura de cesse de réitérer son appel au dialogue «sans exclusion, sans marginalisation, je suis prêt à dialoguer avec tous ceux qui acceptent d'éloigner le spectre de la ?fitna' et de la division.»

«Il n'y aura pas d'esprit de vengeance»

Tebboune paraphrasera Gaïd Salah pour affirmer que «nous continuerons d'assainir le pays de l'argent sale et des corrompus, on continuera à punir ?el issaba' (...).» Ceci, même s'il promet plus loin qu' «il n'y aura aucune espèce de vengeance.» Pour rassurer davantage, il affirme que «la corruption ne bénéficiera pas de la grâce présidentielle.» Mais «on pourra réfléchir à des allégements de peine pour les délits à caractère social.» Autre hommage, celui-là «aux femmes,» dira-t-il et «je m'engage à donner des réponses aux besoins moraux et matériels des catégories sociales défavorisées (...).» Il saluera la communauté algérienne à l'étranger qui, a-t-il rappelé «a subi la colère de ceux qui voulait l'empêcher de voter.» Il lui promet, d'ores et déjà, «la création auprès de la présidence de la République d'un fonds pour financer le rapatriement des Algériens qui décèderont à l'étranger.» Ses premières décisions, «je me suis engagé à dialoguer avec le peuple et le ?Hirak' avec sincérité, ma mission est de réhabiliter la crédibilité et la fiabilité de l'Etat, auprès du peuple.» Il affirme à cet effet, «je m'engage à ne jamais prendre de décision d'une manière unilatérale». Il annoncera que dès sa prise de fonction, il procédera à un changement profond de la Constitution «en conformité avec les réalités du terrain». Avec en prime «restreindre les prérogatives du président de la République et permettre à toutes les institutions de jouer convenablement leur rôle.» Il promet à cet effet que «dans les prochains jours, je prendrai contact avec les universitaires spécialistes du droit constitutionnel, avec les experts, avec tous ceux qui veulent participer à ce changement, et la première mouture de cette révision profonde de la Constitution sera soumise à discussion à l'intérieur du pays et auprès de la communauté à l'étranger.» Et «une fois le projet finalisé, il sera adopté par un référendum populaire, on sera alors entré dans la nouvelle République,» promet-il.

«Les assemblées élues seront dissoutes»

Le second chantier repose, selon lui, sur l'élaboration d'une nouvelle loi électorale. «La loi électorale en vigueur ne permet pas aux institutions élues de prendre une quelconque décision, il y aura une nouvelle loi, on séparera, définitivement, l'argent de la politique, les gens pourront se présenter à toutes les élections,» affirme-t-il. Il promet alors aux jeunes qui le feront que «l'Etat prendra en charge les financements de leur campagne électorale.» Argent public ou pas, Tebboune assure de le mettre à la disposition de «ceux qui ont subi les affres de la bande, on leur redonnera leurs droits moraux et matériels.» Soulignant que «tout est possible excepté les pronostics en politique», l'heureux élu à la présidence de la République estime que «dès qu'il y aura une nouvelle loi électorale, les assemblées élues seront dissoutes et de nouvelles élections législatives seront organisées.» Il fera savoir que «je n'ai pas l'intention de créer un parti ou un mouvement politique, ma principale mission est de restaurer la crédibilité de l'Etat et redonner confiance au peuple (...), j'ai été candidat au nom de la société civile et des jeunes.» Pour lui, «il existe des associations bien plus fortes que les partis politiques, on leur donnera leur caractère d'intérêt général.» Il indiquera que «je me suis engagé auprès des jeunes, à leur transmettre le flambeau, je me considère comme un trait d'union entre les jeunes et ma génération, je crée une nouvelle classe sans exclure les vieux.» Il appelle à «oublier le passé, on passe à la nouvelle République sans exclusion». Interrogé sur les dépassements durant le vote de jeudi dernier, il répondra «je pense que tout processus s'évalue par son résultat final et celui du vote, c'est ce que nous vivons aujourd'hui.» Parmi ses priorités aussi «la relance de l'économie nationale, mettre un terme au gaspillage des ressources du pays, Inchallah, dans peu de temps, on mettra en place des mécanismes qui nous permettront de ramener l'argent d'ici et de l'extérieur.» Comment pourra-t-il le faire ?, lui est-il demandé.

«Je ne lui réponds pas»

«Vous me demandez de dévoiler ma stratégie (..), pour qu'une contre stratégie se mette en place ?!?,» dit-il avec un grand sourire. «Je me suis engagé de ne rien interdire à tout Algérien qui voudra importer, le problème c'est le gonflement des factures, c'est une catastrophe ! Si on arrive à le régler, on aura économisé 25% de la facture des importations,» pense-t-il. Versant dans un populisme national, le président élu promettra au peuple «la surprise de voir dans le nouveau gouvernement des jeunes filles et jeunes hommes de 25-26 ans.» Il avouera, cependant, que «la plus dure mission c'est la désignation d'un nouveau gouvernement parce qu'elle passe sous le microscope.» Il s'abstiendra d'expliquer de quel microscope s'agit-il... Il indiquera, par ailleurs, qu'il se déplacera à l'étranger que «s'il y a un agenda qui exige la présence du chef de l'Etat.» Mais, a-t-il ajouté «je commencerai par me déplacer à travers le pays, je me suis engagé à rendre visite, village par village aux régions du Sud.» Interrogé tout à fait au début de sa conférence de presse sur ce qu'il pensait de la réaction du président français, dès l'annonce de sa victoire à l'élection présidentielle, Tebboune élaguera le sujet d'un revers de la main et lâchera «je ne lui réponds pas, il est libre de commercialiser la marchandise qu'il veut dans son pays, moi, j'ai été élu par les Algériens.» Interrogé sur les relations avec le royaume du Maroc, il lancera en premier que «je suis très sensible quand on touche à la souveraineté nationale.» Il enchaîne en notant que «je connais très bien le peuple marocain qui a de la finesse (...), il y a des problèmes, ils ne seront résolus que si leurs causes sont éradiquées, ceux qui veulent notre amitié, on est prêt.» Tebboune affirme, par ailleurs, que «je suis avec la liberté de la presse jusqu'au bout, mais je combattrai aussi les fléaux qui lui portent atteinte comme la diffamation (...).» Le nouveau président de la République n'a pas omis de préciser que «conformément à ce qui se fait dans le monde, le taux de participation à l'élection présidentielle du 12 décembre dernier ne remet pas en cause la légitimité du président élu.»